[PORTRAIT] Formée au Conservatoire des arts et métiers multimédia de Bamako, au Mali, et à la prestigieuse École des Sables du Sénégal, membre de la compagnie franco-belge « Faso danse théâtre », qui est la danseuse contemporaine Bibata Ibrahim Maïga, lauréate en 2021 du grand prix de la compétition continentale de chorégraphie en solo, Africa Simply The Best, pour sa création « Esprit bavard » ? Comment a-t-elle forgé son destin et son parcours de danseuse malgré les préjugés et les obstacles ? Tama Média l’a rencontrée chez elle, à Bamako.
« Je parle beaucoup », commence-t-elle par nous prévenir. Celle qui, visiblement, semble pourtant timide. Nous avons rendez-vous ce jour-là avec Bibata Ibrahim Maïga. C’était à Bamako, au Palais de la Culture, portant le nom de l’écrivain malien Amadou Hampâté Bâ, un classique de la littérature malienne et africaine d’expression francophone. Elle marchait timidement à l’intérieur de cet espace culturel, quand elle venait. Personne ne portait quasiment attention à cette jeune dame, habillée en tenue de sport, décontractée, mais Bibata Ibrahim Maïga est bien dans ses baskets, à sa façon.
« J’étais une enfant très à part, très épanouie, très libre et très solitaire dans mon esprit. J’aimais m’isoler, m’asseoir souvent dans un coin, sous un arbre, au bord du fleuve pour regarder l’eau, les enfants jouer dans le fleuve, le paysage », décrit-elle son enfance, assise dans un espace vert aménagé dans l’enceinte du palais, au milieu des arbres. Bibata Maïga, Malienne, est née à Gao, une ville située au nord du pays, où elle a fait ses études primaires jusqu’au lycée. Enfant, outre ses études et la bibliothèque, elle a commencé à pratiquer les arts martiaux très tôt, à l’âge de quatre ans. Elle tient cette pratique sportive de son père Ibrahim Attino, enseignant de son état, maître en taekwondo, président du club de taekwondo de Gao, mais aussi maraîcher.
« J’ai commencé le karaté quand j’avais 4 ans, j’étais très douée et, souvent, on me donnait même de l’argent quand je faisais bien les choses. Ensuite, j’ai quitté le karaté pour faire le taekwondo », raconte-t-elle, les bras en mouvement. « Depuis toute petite, j’étais déjà quelqu’un qui était plus démonstratif que combatif, dans les compétitions. Je mettais beaucoup de sérieux dedans car je voulais faire la fierté de la maman [commerçante] et du papa », poursuit-elle.
Ce qui a eu un impact sur ce qui est devenu son métier, la danse. « L’impact, c’est que je me suis rendu compte que je n’ai pas pratiqué les arts martiaux pour rien. Ça m’a facilité mon admission au Conservatoire puisque je n’avais jamais eu de formation en danse », admet-elle. En effet, Bibata Maïga danse depuis toute petite, mais en cachette. « Elle danse toujours, même pendant la nuit quand tout le monde dort. Elle est capable de me réveiller à 2h du matin pour m’expliquer l’idée qu’elle vient d’avoir », nous confie sa grande sœur Mariam Ibrahim Maïga, artiste plasticienne. Sa petite sœur est aujourd’hui une professionnelle de danse, connue du milieu au Mali et ailleurs à travers le monde. Alors que la jeune dame ne s’imaginait pas devenir un jour danseuse professionnelle.
Devenir psychologue et écrivaine ?
Personne ne m’imaginait danseuse. Parce que les gens pensent que la danse est pour les personnes qui n’ont pas étudié
A ses dires, elle voulait devenir écrivaine et psychologue. « Un jour à l’école, mon directeur me demande : “Biba, qu’est-ce que tu veux devenir plus tard ?”. Écrivaine. “Tu sais, tu peux faire autre chose et devenir écrivaine aussi.” », se remémore-t-elle de ses échanges avec son ancien directeur d’école au collège. Depuis qu’elle a appris qu’elle pouvait faire autre chose en plus du “métier de l’écriture livresque”, elle a développé de la passion pour la psychologie. « Après, j’ai dit que je voulais devenir psychologue et écrivaine. C’est en même temps la psychologue et l’écrivaine qui dansaient toutes les nuits et tardivement en cachette », raconte-t-elle, toute souriante. « Au lycée, j’étais parmi les meilleurs. Du coup, personne ne m’imaginait danseuse. Parce que les gens pensent que la danse est pour les personnes qui n’ont pas étudié, qui ont juste leurs corps pour bouger sur le rythme », rappelle-t-elle comme pour pointer du doigt le poids de la société et les préjugés qui planent encore sur la danse dans la société malienne et africaine. « En tant que danseuse et artiste, Bibata croit en ses idées et compétences. Toute chose qui est importante quand on a une société qui ne sait pas généralement valoriser les talents de certains comme ceux qui sont dans l’art », estime Aïssata Ibrahim Maïga, l’aînée de leur fratrie.
Après son baccalauréat en série Langues et Littérature, Bibata voulait aller étudier la psychologie à la faculté des sciences humaines et des sciences de l’éducation [FSHSE] à l’ULSHB [Université des Lettres et des Sciences Humaines de Bamako] mais elle a fini par opter pour l’étude de l’Anglais, sur suggestion de sa mère, à la faculté des lettres et des sciences du langage [FSL]. Elle fait une année dans cette faculté puis décide de la quitter pour le Conservatoire des arts et métiers multimédia [Balla Fasséké Kouyaté] de Bamako. « Je fais une première année superbe. J’avais de très bonnes notes. Je passe en deuxième année et je décide de partir faire le concours d’entrée au Conservatoire », rappelle Bibata. Pourquoi ce choix ? « A chaque fois que je partais là-bas avec ma grande sœur Mariam Ibrahim Maïga [artiste plasticienne], c’est comme si mon âme trouvait son espace. », justifie-t-elle son choix d’abandonner ses études d’Anglais au profit de la danse.
« Avec Bibata, on ne s’ennuie jamais, toujours débordante d’énergie entre la musique, la danse, l’art en général. Elle est toujours inspirée par tout ce qui l’entoure, toujours à la recherche de nouvelles idées, elle cherche en elle, mais aussi avec d’autres personnes. », témoigne Mariam Ibrahim Maïga, sa sœur aînée qu’elle accompagnait au Conservatoire. « Bibata est sincère dans ses expressions corporelles, c’est pourquoi elle touche le cœur de ceux qui la suivent », ajoute l’artiste plasticienne de la famille Ibrahim Attino.
“La danse n’est pas qu’un moyen d’expression. Elle est aussi un moyen de thérapie, qui permet de libérer l’esprit”.
Au Conservatoire, en deuxième année, elle fait le concours d’entrée à la prestigieuse École des Sables au Sénégal. Elle est retenue. Elle cumule alors les deux écoles pendant trois mois. Au bout de l’effort, elle s’offre une première consécration : elle réussit à intégrer une compagnie franco-belge, “Faso danse théâtre”, dirigée par le célèbre chorégraphe burkinabè Serge Aimé Coulibaly. Ce qui lui a permis de voyager à travers le monde, dans divers pays en Afrique et en Occident, à tel point qu’elle a du mal à citer tous les pays déjà visités. « C’est grâce à cette compagnie que je fais tous ces voyages. », avoue-t-elle toute reconnaissante. Parallèlement à cette compagnie, elle mène plusieurs activités en solo comme danseuse, performeuse et créatrice. « Du coup, cela fait que je suis aussi jeune chorégraphe, qui fait des créations », se définit-elle.
Sa première création officielle en solo est intitulée « Esprit bavard ». Au départ, elle a été pensée dans le cadre de son mémoire de fin d’année. « L’idée de l’Esprit bavard m’est venue quand j’étais au Sénégal, à l’École des Sables. Au départ, c’était “Entre corps et esprit” pour mon mémoire de fin d’année au Conservatoire », explique l’auteure. « C’était créé sur les maladies de double personnalité, les maladies psychologiques, mises en rapport avec la danse de possédés », détaille-t-elle. J’essaie de questionner cette histoire de guérison pour expliquer les similitudes entre ces maladies et cette danse de possédés, afin de montrer que la danse n’est pas qu’un moyen d’expression. Elle est aussi un moyen de thérapie, qui permet de libérer l’esprit. »
“Les morts ne sont pas morts“
Cette première création en solo lui a valu le grand prix d’Africa Simply The Best en 2021, secondée respectivement par la Sud-africaine Asanda Ruda (Acogny d’Argent) et le Camerounais Tchinatadi Ndjidda (Acogny de Bronze). « J’étais partie pour gagner. Quand j’ai postulé, j’étais très confiante en réalité malgré certaines remises en question. Donc, j’ai mis le paquet pour me préparer. J’ai été vraiment fière d’avoir gagné ce trophée », exprime fièrement celle qui est habituée des compétitions. Elle rappelle d’ailleurs avoir gagné sa première compétition quand elle était au lycée, en poésie, puis retenue parmi les finalistes du concours de musique de Maxi-vacances, de la télévision nationale. Elle a aussi en son actif une création intitulée “Tchii”, portée sur la corruption ; et une autre toujours en cours, intitulée au départ « Terre promise ». Plus tard, cette création deviendra « Reb’elles ». « Terre promise questionne l’esprit de nos martyrs. C’est une sorte de sentiment personnel pour montrer que ces morts ne sont pas morts : ils sont là, ils existent parmi nous, ils sont avec nous et continuent de nous aider pour le combat parce qu’ils ne sont pas morts pour rien », explique la passionnée de livres. Les morts ne sont pas morts comme pour faire un clin d’œil à l’écrivain sénégalais Birago Diop, auteur notamment du célèbre poème Souffles dont est tiré le refrain — publié dans Les Contes d’Amadou Koumba aux éd. Fasquelle en 1947 puis Présences Africaines en 1960 —, devenu un classique de la poésie africaine, qui rappelle la conception (métaphysique) qu’on fait des morts en Afrique traditionnelle.
« Avec la danse, j’ai le pouvoir de changer les choses »
Dans ses créations artistiques, Bibata y met toujours sa passion pour la psychologie : elle interroge l’esprit sur des questions notamment existentielles et d’actualité. « Sa danse est assez originale comme approche, engagée et d’actualité. Elle a sa propre façon d’écrire, ce qui l’identifie d’ailleurs. », analyse pour Tama Média le danseur-chorégraphe, fondateur et directeur artistique de “Don Sen Folo”, Lassina Koné.
Pour Aïssata Ibrahim Maïga, l’aînée de la fratrie, c’est le résultat d’une éducation qu’ils ont tous reçue. « Elle est une jeune sœur très sensible et affective comme personne, dit-elle de sa petite sœur Bibata. C’est une artiste au vrai sens du mot. C’est une âme remplie de créativité. Tout ce qu’elle regarde, ses idées, tout est art chez elle. » Cette journaliste vedette, auparavant présentatrice à la télévision nationale, et désormais en fonction à la Mission permanente du Mali à l’ONU, décrit l’artiste-danseuse comme une personne « épanouie et indépendante dans son travail » — qui a beaucoup compris de la vie. « Ce qui me rassure d’ailleurs en tant que grande sœur et aussi aînée de la famille, parce qu’on cherche tous une certaine sagesse, surtout quand il s’agit des plus jeunes. », se sent-elle rassurée, ajoutant souhaiter la voir continuer de briller, “hissant le drapeau malien encore plus haut”.
La danse est à la fois thérapie et engagement citoyen pour Bibata, pas que distraction. « Je me sens inarrêtable quand je danse : je me sens bien, libre et puissante. Avec la danse, j’ai le pouvoir de changer les choses, d’éparpiller ma puissance et mon énergie. C’est pour cela que j’ai un faible pour les performances et les spectacles dans les rues. », entonne la jeune chorégraphe, passionnée de dessins animés, la musique, la danse, la lecture et le sport. « Ce sont des choses qui me caractérisent énormément », à l’en croire.
« J’adore son engagement. Ce n’était vraiment pas facile, mais j’ai toujours cru en elle car je sais de quoi elle est capable », témoigne Mariam Ibrahim Maïga. La plus grande fierté de Bibata, nous confie-t-elle, c’est d’abord sa famille, surtout ses deux parents qui ont compris l’importance de la danse en tant qu’art, loin des préjugés dans une société encore fondamentalement conservatrice.
- Ce portrait est réalisé à partir des informations recueillies auprès de l’artiste Bibata Ibrahim Maïga, ses sœurs aînées Aïssata Ibrahim Maïga et Mariam Ibrahim Maïga, ainsi que du chorégraphe-danseur Lassina Koné.