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Au-delà de la distraction du président Trump, le profilage très sérieux des chefs d’État en visite aux Etats-Unis

21 juillet 2025
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Au-delà de la distraction du président Trump, le profilage très sérieux des chefs d’État en visite aux Etats-Unis

Le 9 juillet 2025, le président Donald Trump a convié à la Maison-Blanche les dirigeants de cinq pays d’Afrique — Sénégal, Libéria, Guinée-Bissau, Mauritanie et Gabon — pour un mini-sommet sans précédent axé sur le commerce, la sécurité et les partenariats économiques. Une initiative diplomatique que Gilles Yabi, fondateur du think tank WATHI, analyse comme révélatrice des nouveaux rapports de force entre les États-Unis et l’Afrique. Il y voit le passage d’une diplomatie basée sur l’aide à une diplomatie axée sur le commerce, illustrée par la dissolution de l’USAID et le lancement de ce qu’il appelle une « diplomatie commerciale ».


Gilles Yabi, fondateur du think tank WATHI : On n’arrive toujours pas à résister à la distraction que sait trop bien imposer le locataire de la Maison Blanche à une partie de la planète intéressée aux affaires du monde. Ce fut ces derniers jours le tour de présidents africains – cinq en une fois – de faire l’expérience des rencontres avec le président Donald Trump diffusées en direct.

La photo de groupe avec Donald Trump assis et souriant, la casquette rouge Make America Great Again posée sur la table, ses hôtes debout autour de lui, l’air plutôt gêné, a fait le tour des réseaux sociaux et a suscité des milliers de commentaires d’Africains y voyant des dirigeants déconsidérés, voire humiliés.

Le 9 juillet dernier, les hôtes du déjeuner de travail étaient les présidents du Gabon, de la Guinée Bissau, du Liberia, de la Mauritanie et du Sénégal.

Cinq pays riverains de l’Océan Atlantique. Aucun ne fait partie des dix premières économies africaines ou des dix pays les plus peuplés. Ils ne font pas partie non plus des partenaires stratégiques les plus importants des Etats-Unis même si ce sont des pays amis de longue date comme le Sénégal ou le Liberia, seul pays africain qui pourrait être qualifié de quasi ancienne colonie des Etats-Unis compte tenu de son histoire particulière liée au retour d’esclaves africains affranchis. Ce lien unique n’a pas empêché le président Donald Trump de s’étonner de l’excellent anglais de son homologue Joseph Boakai du Liberia, pays dont la langue officielle est l’anglais.

Les cinq présidents conviés ont présenté les atouts de leurs pays respectifs, insistant sur leur richesse en ressources naturelles et sur leur très bonne disposition à accueillir des investissements d’entreprises américaines. Ils ont aussi fait ce que les autres dirigeants venus rencontrer Donald Trump essaient tous de faire pour échapper à un traitement agressif ou humiliant, ou bien plus grave, pour échapper à de nouveaux droits de douane punitifs : flatter l’ego de leur hôte, vanter ses qualités exceptionnelles.

Ils ont vivement félicité le président Trump pour avoir mis fin à 30 ans de guerre dans l’est de la République démocratique du Congo, faisant tous semblant de confondre la signature d’un accord de paix certes prometteur avec la fin d’un conflit de très longue durée et d’une immense complexité. Répondant à une question très appréciée par le président Trump, les hôtes africains ont bien sûr estimé avec plus ou moins d’entrain et de conviction que Donald Trump mériterait l’attribution du Prix Nobel de la Paix.

Ces visites, ces images, ces déclarations décrivent la triste réalité des pratiques politiques de la première puissance mondiale et de la diplomatie entre spectacle, business et deals mêlant intérêts privés et publics, intérêts politiques et commerciaux. Mais les présidents africains font comme tous les autres, à part les chefs d’une poignée de grandes puissances rivales : ils prennent acte du fait que les Etats-Unis sont la première puissance militaire, la première puissance économique et la deuxième puissance diplomatique au monde, avec 271 représentations diplomatiques derrière la Chine (274), selon le classement 2024 de The Lowy Institute.

Les Etats-Unis peuvent se permettre de privilégier des relations bilatérales avec une multitude de pays y compris les plus petits sur tous les continents, et de peser lourdement dans chacune de ses relations.

Cette visite de chefs d’État africains à Washington DC m’a surtout rappelé une publication d’un diplomate de haut rang des Etats-Unis que j’avais trouvée très instructive. Ce diplomate s’appelle Judd Devermont.  Il a occupé les fonctions de directeur principal des affaires africaines au Conseil national de sécurité sous le président Joe Biden, de responsable du renseignement national pour l’Afrique et d’analyste principal de la CIA, l’agence de renseignement extérieur des Etats-Unis pour l’Afrique. Il fut le principal architecte de la Stratégie des Etats-Unis pour l’Afrique subsaharienne élaborée sous le président Biden.

Il publia l’année dernière un article intitulé « Intelligence Advantage: Profiling African Leaders’ Meeting with US Presidents” qui peut se traduire ainsi : « Avantage en matière de renseignement : profilage des réunions des dirigeants africains avec les présidents des États- Unis ». Le texte commence par ces mots que j’ai traduits de l’anglais : « Lorsque les présidents américains accueillent des dirigeants étrangers à Washington, ils sont submergés de documents. Des points de discussion et des projets de déclaration aux plans de table et aux menus du dîner, le personnel de la Maison Blanche prépare tout, à l’exception d’un document essentiel : le dossier sur la visite des dirigeants qui est préparé par la CIA. C’est cette analyse, présentée sous forme d’évaluation indépendante ou intégrée au rapport quotidien du président (The President’s Daily Brief, PDB), qui donne un avantage décisionnel au président des États-Unis.

Judd Devermont explique que ce document est bien plus qu’un résumé écrit des faits marquants de la carrière d’un dirigeant étranger ou un aperçu des points susceptibles d’être abordés : « Lorsqu’il est bien rédigé, il s’agit d’une étude révélatrice et pourtant remarquablement succincte des espoirs et des rêves d’un dirigeant, de ses attitudes et de son comportement, ainsi que de ses amis et ennemis dans son pays et à l’étranger. En d’autres termes, c’est une feuille de route pour comprendre qui est assis en face de vous et comment faire avancer les intérêts de la sécurité nationale américaine. » 

Le document de la CIA, explique Judd Devermont, comprend généralement cinq éléments : une analyse en profondeur de la personnalité du dirigeant attendu, ses objectifs, le contexte de la rencontre, en particulier la situation politique, économique et sécuritaire de son pays, une section «alerte», « warning », indiquant les points de friction potentiels entre le chef d’État invité et les Etats-Unis, et enfin une section consacrée aux perspectives politiques.

Judd Devermont qui est passé maintenant du côté du secteur privé termine son article en expliquant que cette note devenue précieuse pour les présidents américains devrait être améliorée par une intégration de l’intelligence artificielle. L’IA pourrait générer des profils supplémentaires sur l’ensemble de la délégation qui accompagne un président, et pourrait aussi permettre de compléter le document destiné au président de notes additionnelles plus détaillées destinées aux hauts responsables américains qui doivent tenir des réunions avec les membres des délégations en visite.

Les Etats-Unis font leur homework, leurs devoirs de maison, depuis des décennies et ce profilage des présidents en visite par la CIA n’en est qu’une illustration. Il n’y a pas de doute que beaucoup d’autres grandes, moyennes et même petites puissances font à peu près la même chose avec moins de moyens que la CIA. Même si Trump est passé maître dans l’art de distraire tout le monde, qu’il n’est probablement pas aussi intéressé que ses prédécesseurs par une compréhension fine des traits de personnalité de ses interlocuteurs, les Africains probablement encore moins que les autres, et même si ses pratiques affaiblissent les institutions et la motivation de certains des fonctionnaires, l’administration continue à faire son homework.

Nous devons nous inspirer de ce que font les institutions des pays qui se prennent au sérieux et prennent l’avenir de leurs populations au sérieux. Il faut travailler plus et mieux, s’organiser, veiller au meilleur usage possible des capacités de collecte d’informations, d’analyse, d’anticipation et de prospective. Des jeunes étudiants accueillis comme stagiaires dans un ministère ou une agence, aux fonctionnaires qui préparent les notes des plus hautes autorités politiques, la conscience professionnelle et l’envie de faire chacun son travail avec la plus grande efficacité font toute la différence entre les pays qui peuvent défendre un peu leurs intérêts vitaux et ceux qui ne se donnent aucune chance de pouvoir le faire.

Pour aller plus loin :

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Intelligence Advantage: Profiling African Leaders’ Meetings with U.S. Presidents, Judd Devermont


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