Pour contrer la vague de désinformation et accélérer la vérification des faits, plusieurs médias et organisations africaines de fact-checking expérimentent désormais l’intelligence artificielle (IA). Une évolution technologique qui a donné naissance à des solutions innovantes, adaptées aux réalités locales.
Exemples : Akili (Mali, Côte d'Ivoire, Sénégal), Mydatacheck (Cameroun), Dubawa AI (Nigeria), Nubia AI (Nigeria)
Une révolution pour les citoyens
Il y a encore quelques années, un internaute qui doutait d’une information devait attendre qu’un média ou un organisme de fact-checking s’y intéresse pour obtenir une réponse. Dans le meilleur des cas, certains fact-checkeurs proposaient des canaux de contact via lesquels poser des questions. Mais la lenteur des procédures et des retours décourageait souvent les utilisateurs.
Avec l’essor de l’IA générative, ce modèle est en train de changer. L’Afrique, consciente de l’ampleur des risques liés à la désinformation dans un contexte politique, sécuritaire et sanitaire fragile, ne veut pas rester en marge de cette révolution numérique.
Akili (Mali, Sénégal, Côte d’Ivoire)

Développée par Tama Média en partenariat avec Ineximius Group, une agence de développement web basée à Abidjan, ainsi que La Voix de Mopti (Mali) et Sétanal Media (Sénégal), Akili se distingue par une approche hybride qui marie intelligence artificielle et expertise humaine.
L’application mobile, également accessible via un site web, WhatsApp, Instagram et Facebook Messenger, propose d’abord une vérification automatisée des contenus (textes, audios, vidéos). Lorsque l’IA ne trouve pas de réponse satisfaisante ou si l’analyse demeure approximative, l’utilisateur peut immédiatement solliciter l’aide d’un journaliste en appuyant sur un simple bouton. La demande est alors transmise à la rédaction de Tama Média et à ses partenaires, qui reçoivent une alerte et apportent une réponse personnalisée.
Cette articulation entre machine et humain constitue la véritable promesse d’Akili : offrir à la fois la rapidité de l’IA et la rigueur d’une vérification journalistique approfondie.
Disponible aujourd’hui en français, anglais, espagnol, arabe et bambara, Akili ambitionne d’intégrer d’autres langues africaines, notamment le fulfulde, le wolof ou le swahili. L’objectif est clair : permettre aux populations locales d’accéder à un fact-checking dans leur langue maternelle, y compris celles qui ne maîtrisent ni l’anglais ni le français.
En plaçant le multilinguisme et la proximité au cœur de sa stratégie, Akili veut s’imposer comme une plateforme panafricaine de lutte contre la désinformation, accessible au plus grand nombre.
Mydatacheck (Cameroun)
Au Cameroun, l’organisation Datacheck a lancé le 1er septembre Mydatacheck, une plateforme intégrant l’IA pour démocratiser la vérification. Présenté comme une « boîte à outils » accessible sur WhatsApp, l’outil permet de soumettre textes, images ou vidéos et d’obtenir en quelques secondes un verdict : vrai, faux, trompeur ou non vérifiable.
« Avec Mydatacheck, nul besoin d’être un fact-checkeur. Chacun peut vérifier une information suspecte depuis son téléphone », souligne Marthe Mounyol, rédactrice en chef de Datacheck. L’outil fonctionne pour l’instant uniquement en français et compile ses résultats en puisant dans plusieurs bases de données et sites de vérification.
L’accès est gratuit et pensé pour être utilisé partout en Afrique francophone.
Dubawa AI (Nigeria)
Au Nigeria, le réseau Dubawa, déjà reconnu en Afrique de l’Ouest, a développé Dubawa AI. L’outil, plus technique, s’adresse d’abord aux professionnels des médias. Il fournit une première évaluation automatisée des déclarations publiques et contenus textuels, avant qu’une équipe de fact-checkeurs n’affine et ne valide l’analyse.
Dubawa AI couvre plusieurs pays anglophones (Nigeria, Ghana, Sierra Leone, Liberia, Gambie). Il applique une méthodologie stricte, basée sur des bases de données documentées. Limite : comme tout système automatisé, ses performances dépendent de la qualité et de l’actualité des données disponibles. L’accès reste surtout adapté aux journalistes anglophones.
Outre la vérification, Dubawa AI vise aussi à former les journalistes africains aux outils numériques de fact-checking.
Nubia AI (Dataphyte, Nigeria)
Lancée en 2022 par Dataphyte Nigeria, Nubia AI se distingue par son approche orientée données. Elle automatise la transformation de données brutes – textes, audios, images, données géospatiales – en rapports, articles ou alertes structurées.
Destinée aux chercheurs et journalistes, elle facilite la collecte, l’analyse et la rédaction de contenus fiables. Nubia AI s’insère dans tout le cycle rédactionnel, offrant gain de temps et contextualisation. Elle est capable d’extraire rapidement des informations clés de jeux de données complexes.
Mais comme pour tout outil automatisé, la qualité des résultats dépend de la précision des données fournies. L’intervention humaine reste indispensable pour valider et interpréter les analyses produites.
Un équilibre à trouver
Ces expériences traduisent une tendance de fond : en Afrique, l’intelligence artificielle devient un allié dans la lutte contre les fake news. Pour les citoyens, elle offre un accès rapide et gratuit à l’information vérifiée. Pour les journalistes, elle permet de déléguer certaines tâches répétitives et de se concentrer sur les enquêtes plus complexes.
Comme le résume Samba Dialimpa Badji, journaliste et ancien rédacteur en chef d’Africa Check :
« L’IA apporte un souffle nouveau au fact-checking en Afrique. Tout est une question d’équilibre : savoir ce que l’on peut confier à la machine pour gagner du temps, et ce qui doit rester entre les mains de l’humain. Car le fact-checking, pour rester efficace, ne pourra jamais se passer de l’humain. »
Par Lamissa Diarra
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