Soft power à la russe : de Wagner au Renseignement militaire russe (GRU), comment Moscou façonne les opinions publiques africaines

Rédaction par Bréhima Sidibé et Mohamed Ibrahim
Deux ans plus tard, cette stratégie s’est intensifiée et diversifiée. Les canaux de diffusion sont devenus multiples : faux médias, comptes anonymes sur les réseaux sociaux, chaînes Telegram recyclées, partenariats avec des télévisions locales, vidéos virales ciblant l’opinion publique francophone. Depuis la mort d’Evgueni Prigojine, les activités africaines du groupe Wagner ont été progressivement reprises en main par le service de Renseignement militaire russe (GRU), qui a intégré ces opérations dans une approche plus structurée et discrète.
Décryptage de la manière dont les médias, anciens comme nouveaux, sont devenus les fers de lance de l’influence russe en Afrique.
Des outils de propagande bien rodés - Le cas de l’African Initiative, un recyclage de l'appareil médiatique wagnérien
Artem Kureev, rédacteur en chef de l’African Initiative
Lancée officiellement en septembre 2023, l’African Initiative se présente comme une agence d'information multilingue diffusant en cinq langues (français, anglais, arabe, espagnol et russe). Affichant comme objectif de « permettre aux Russes et aux Africains de mieux se connaître », l’entité se donne l’apparence d’un média panafricain neutre.
« Nous voulons ouvrir la Russie à nos partenaires en Afrique, leur parler des possibilités offertes par notre pays, des projets auxquels les Africains peuvent participer, de notre coopération commune. Et, bien sûr, notre tâche principale est d’informer objectivement et rapidement nos lecteurs et collègues de ce qui se passe sur le continent », écrit l’organisation sur son site Internet en français. Mais selon plusieurs analystes, l’African Initiative constitue en réalité l’un des instruments centraux de la nouvelle stratégie d’influence russe sur le continent.
Le média a été créé un mois seulement après la mort d’Evgueni Prigojine, fondateur du groupe paramilitaire Wagner et proche de Vladimir Poutine, avant de devenir un ennemi. L’African Initiative est en partie pilotée par d’anciens collaborateurs de Wagner dont certains utilisent désormais l’étiquette journalistique comme couverture, une méthode bien connue dans le milieu du renseignement et de l’espionnage. Autrement dit, certains employés du média sont reconnus comme d’anciens employés des institutions dissoutes et affiliées à Prigojine. Son rédacteur en chef s’appelle Artem Kureev. Ce personnage, né le 24 octobre 1980 en Russie, est décrit comme un agent du cinquième service du FSB (Service fédéral de sécurité) russe. Il est également fondateur de « Rusafro », qui se présente comme le premier forum international d'affaires B2B Russie-Afrique.
Artem Kureev fait partie des personnalités russes dont les avoirs ont été gelés en Europe. L’explication donnée par le Trésor français sur son site Web est qu’ « il mène des campagnes d’influence en Europe, notamment en organisant la diffusion d’articles en russe et leurs traductions en anglais sur des sites Internet auxiliaires et en effectuant des paiements pour la publication d’articles pro-russes, dans le but de diffuser la désinformation russe en Europe. Il a fondé deux médias en Afrique et a mené des campagnes de désinformation délibérées visant à nuire à des projets occidentaux dans le domaine de la santé en Afrique en répandant des théories du complot, comme des allégations selon lesquelles l’Afrique serait utilisée pour des expériences de guerre biologique et des essais illicites de divers médicaments réalisés par des entreprises pharmaceutiques occidentales. »
Sous couvert de « pont d'information entre la Russie et l’Afrique », l’African Initiative contribue activement donc à la propagation d’un discours pro-Kremlin en Afrique et anticolonial ciblant l’Occident, et tout particulièrement la France, ex-puissance coloniale dont l’action est plus que jamais contestée dans de nombreux pays francophones. L'exploitation de ce ressentiment historique sert à légitimer la présence russe, tout en alimentant la défiance envers les acteurs occidentaux.
Outre l’animation de son site d'information multilingue, une chaîne YouTube, ainsi que cinq chaînes Telegram comptabilisées, dont certaines sont issues de comptes plus anciens liés à Wagner, simplement reconditionnés pour cette nouvelle mission, l’African Initiative organise également des événements culturels sur le terrain. Il s’agit donc d’une opération de recyclage de l'appareil médiatique wagnérien, désormais recentré sur le continent africain.
Une influence qui passe aussi par la société civile : le cas malien
Loin de se cantonner à la production de contenus depuis Moscou, la capitale russe, African Initiative déploie une stratégie d’influence enracinée localement en Afrique, en s’appuyant sur un maillage composé d’associations partenaires, de journalistes et d’influenceurs numériques. Au Mali, cette approche prend corps à travers l’association La Perspective Sahélienne (APS) dirigée par le blogueur Mamadou Bah, et désormais identifiée comme l’un des relais locaux d’African Initiative. Derrière une façade de coopération culturelle, l’organisation œuvre à diffuser les récits stratégiques pro-Kremlin, en ciblant les jeunes et les professionnels des médias.
Perspective Sahélienne a organisé plusieurs séjours en Russie à destination de journalistes, d’étudiants en journalisme et d’influenceurs, dans le but affiché de renforcer les liens entre Bamako et Moscou sur les plans culturel, médiatique et idéologique.
Comme en 2024, La Perspective Sahélienne a coordonné cette année la participation d’une délégation malienne au Global Digital Forum, qui s’est tenu du 5 au 6 juin dans la ville de Nijni Novgorod, en Russie. Ce forum digital mondial a rassemblé des experts russes, africains et internationaux autour de thématiques telles que l’intelligence artificielle, la cybersécurité et la coopération numérique.
Parmi les invités maliens figuraient plusieurs journalistes et influenceurs, dont le TikTokeur populaire Wara Laban, suivi par des milliers de jeunes sur les réseaux sociaux. En marge du forum, ce dernier a par ailleurs suscité une vive controverse après la diffusion d’une vidéo le montrant mimant des gestes de singe devant des touristes russes, une scène jugée humiliante par une partie de l’opinion publique malienne.
Ce type de témoignage qui s’inscrit pleinement dans l’objectif recherché par l’African Initiative
Info Brut, une Web TV malienne invitée à couvrir l’événement aux côtés d’autres médias africains, a recueilli plusieurs témoignages de participants. Dans une interview accordée à ce média la responsable de l’information et des médias de l’association La Perspective Sahélienne (Djénéba Gueye) a livré un retour d’expérience enthousiaste sur son séjour : « La Russie est un pays magnifique, très différent de l’image véhiculée par les médias internationaux (occidentaux, NDLR) que nous consommons au quotidien. C’est un pays accueillant, sans racisme, et loin d’être une dictature. J’ai découvert un peuple libre, et j’ai été impressionnée par son haut niveau de développement artistique. »
Ce type de témoignage s’inscrit pleinement dans l’objectif recherché par l’African Initiative lors du Forum : déconstruire les perceptions négatives de la Russie auprès des publics africains.
Au cœur de la rencontre, l’organisation a même animé un panel intitulé « Les mythes sur la Russie en Afrique », réunissant trente blogueurs venus de tout le continent. L’objectif : démonter les récits négatifs véhiculés, selon l’organisation, par les médias occidentaux. Artem Kureev, rédacteur en chef d’African Initiative, y a rappelé la mission fondatrice de la structure, lancée fin 2023 : « briser les stéréotypes » qui freinent, d'après lui, la coopération entre la Russie et l’Afrique.
L’un des mythes qu’il dénonce concerne la chute de l’URSS (Union des Républiques Socialistes Soviétiques) en 1991, souvent attribuée à son soutien aux pays socialistes, notamment africains. « Ce récit est ancré dans la conscience collective depuis les années 1990. Pourtant, les États-Unis ont eux aussi fourni de l’aide, principalement militaire, pour sécuriser leurs intérêts. L’URSS, elle, a investi dans la formation et les infrastructures », défend-il. Pour le chef d’orchestre des opérations de l’African Initiative, c’est la mémoire de ces investissements qui permet aujourd’hui à la Russie de rebâtir des partenariats solides sur le continent.
Il a également dénoncé la caricature encore persistante du Russe « monté sur un ours, armé d’une kalachnikov et jouant de la balalaïka, un verre de vodka à la main », comme le fruit de décennies de propagande. « Les mythes se construisent sur des décennies, voire des siècles. Les déconstruire demande une approche systématique », résume Artem Kureev.
Parmi les leviers de cette stratégie de réhabilitation de l’image russe, il cite : la promotion de la littérature classique, la création de contenus audiovisuels, le travail des influenceurs, et une présence accrue dans les espaces médiatiques africains.
Des propos qui ne peuvent que satisfaire les stratèges de l’African Initiative
Intervenante de ce panel, la journaliste camerounaise Céleste Capen, de la controversée chaîne Afrique Média, a abondé dans le sens du diagnostic posé par Artem Kureev. Elle a pointé la difficulté croissante pour les journalistes africains, affirme-t-elle, à produire une couverture équilibrée sur les sujets liés à la Russie, évoquant des pressions et suspicions qui visent ceux qui refusent de diaboliser Moscou.
Autre voix du panel : la Béninoise Okpeyemi Ayodé Majidat Ouro-Jeri, spécialiste en communication numérique. Elle renchérit en ces mots : « La jeunesse africaine perçoit encore largement la Russie à travers le prisme de la désinformation. »
Ainsi, pour changer la donne, elle estime que : « La Russie et l’Afrique doivent former un front uni contre les mensonges. Pour cela, il ne suffit pas de réfuter les contrevérités, il faut aussi montrer concrètement ce que la Russie apporte aux pays africains. Signer des accords intergouvernementaux, c’est bien, mais les populations doivent comprendre ce qu’elles en retirent concrètement dans leur vie quotidienne. »
Des propos qui ne peuvent que satisfaire les stratèges de l’African Initiative : ils témoignent que le travail d’influence auprès des opinions publiques africaines et, en particulier, de la jeunesse porte ses fruits. Mais cette stratégie d’influence ne se joue pas uniquement lors de grands forums ou sur les plateformes numériques. Sur le terrain, Moscou s’appuie aussi sur des médias locaux africains pour relayer ses messages, consolider sa présence et renforcer son récit.
Des médias locaux sous influence
Le 27 juillet 2023, un article du média allemand Deutsche Welle a révélé que plusieurs médias africains, y compris des stations de radio et des journaux, reçoivent un financement direct de Moscou. Parmi les plus importants, la radio Lengo Songo, diffusée depuis la capitale centrafricaine, Bangui, et ses environs. Créée en 2018, cette station, devenue la principale de la région et surnommée à juste titre « la radio des Russes », émet en langue locale sängö (ou sango) et en français (toutes les deux langues déclarées officielles dans le pays).
La propagande russe en République centrafricaine a été largement documentée. Elle consiste à manipuler l’opinion publique, en publiant des articles trompeurs et rémunérés dans la presse locale ou dans des médias en ligne.
« Quand les Russes sont derrière certains décrets, ils cherchent à en faire la promotion. Ils voulaient démontrer par tous les moyens - notamment via les ondes de la radio Lengo Songo - que l'ensemble de la population y était favorable », témoigne dans une enquête de Forbidden Stories et partenaires (médiatiques) le journaliste centrafricain Éfrim Yaliki, « un ancien propagandiste » qui a accepté de lever « le voile sur les rouages de la désinformation russe » après sa fuite de Bangui, la capitale.
Ce système, explique-t-il, inclut également l’organisation de manifestations rémunérées, l’embauche d’experts pour parler aux médias, et la création ou le soutien direct de médias locaux.
Des liens directs avec Wagner et Moscou
Un ancien agent de Wagner a révélé au média britannique Africa Confidential, sous le couvert de l’anonymat, l’étroite relation entre le groupe Wagner et Afrique Média. Cette source anonyme a travaillé pour Media Patriot, une organisation russe basée à Saint-Pétersbourg et spécialisée dans les opérations d’influence en ligne pour soutenir les intérêts commerciaux et politiques russes dans le monde.
Les documents divulgués, rédigés en russe, incluent des présentations au format PowerPoint, des relevés bancaires et des reçus liés à la société camerounaise Bang and Partners, dirigée par Jérôme Ebosama, le directeur des programmes d’Afrique Média. Cette société est soupçonnée, selon l’African Digital Democracy Observatory, de faciliter les transactions entre Moscou et la chaîne pour financer ses opérations pro-russes en Afrique.
Afrique Média entretient en effet un partenariat étroit avec le groupe Wagner. En 2019, elle a participé à une campagne de désinformation en faveur du Congrès national africain (ANC - le parti au pouvoir ) contre l’Alliance démocratique en Afrique du Sud (alors parti d’opposition), d’après le « Mapping Disinformation in Africa » publié en mai 2022 par Africa Center for Strategic Studies (un centre d’études stratégiques du ministère américain de la Défense sur des questions africaines).
D’après les documents publiés par Africa Confidential, ce média camerounais est le plus grand bénéficiaire des financements du groupe Wagner.
En retour, la chaîne soutient activement la présence russe au Cameroun et les intérêts de Moscou. Elle contribue en outre au maintien au pouvoir du président Paul Biya, âgé de 90 ans, qui cherche à renforcer sa sécurité face à la toute récente vague de coups d’État intervenus sur le continent (au Mali en août 2020 et mai 2021, en Guinée en septembre 2021, au Soudan en octobre 2021, au Burkina Faso en janvier et septembre 2022, au Niger en juillet 2023 et au Gabon en août 2023). En échange, Moscou bénéficie d’avantages miniers dans un Cameroun riche en diamants et autres ressources naturelles comme le pétrole, le gaz, le fer ou encore l’étain.
Quand le service de Renseignement militaire russe (GRU) prend le relais de Wagner avec des « paquets de survie» sur la table de dirigeants africains
Selon un rapport publié en février 2024 par le Royal United Services Institute (RUSI), la Russie propose à certains gouvernements africains un « paquet de survie du régime ». Cette offre inclut un soutien militaire, diplomatique et politique, en échange d’un accès préférentiel aux ressources naturelles stratégiques (l’uranium, l’or ou les hydrocarbures). Ce dispositif est désormais mis en œuvre par le GRU, le service de renseignement militaire russe, qui a repris les opérations africaines du groupe Wagner après la mort en août 2023 de son dirigeant Evgueni Prigojine.
Dans des pays comme le Mali ou la République centrafricaine, ce « paquet » comprend la protection rapprochée des dirigeants, un appui aux campagnes de propagande interne et un encadrement militaire, en particulier via des « corps expéditionnaires » russes.
Au Mali, ce mécanisme a été particulièrement renforcé après la bataille de Tinzaouatène, en juillet 2024, où l’armée malienne, appuyée par ses partenaires russes de Wagner, a affronté une coalition de groupes jihadiste et séparatiste du Nord. Le modèle appliqué reprend celui de la Centrafrique, où les forces russes assurent la sécurité rapprochée du président Faustin-Archange Touadéra (au pouvoir depuis 2016) tout en influençant directement les centres de décision.
Si la société paramilitaire privée fondée par Prigojine a officiellement annoncé le 6 juin son départ du Mali, cela ne marque en réalité ni un retrait ni une rupture de la présence russe dans le pays. L’organisation a été remplacée par « Africa Corps », une structure directement liée au ministère russe de la Défense, conçue pour reprendre les activités de Wagner sous contrôle étatique. Cette transition illustre le passage d’un soutien opaque et paramilitaire à une présence plus structurée et institutionnalisée, dans une logique de continuité stratégique pour Moscou.
Le Niger, un exemple emblématique de la stratégie d’influence structurée dans la région
Le Niger constitue un exemple emblématique de la stratégie d’influence structurée dans la région. Dès février 2024, le Royal United Services Institute (RUSI) avertissait que Moscou pourrait utiliser ses relations bilatérales pour menacer l’approvisionnement français en uranium, en ciblant des gisements clés comme celui de Somaïr. Cette stratégie semble porter ses fruits : le 20 juin 2025, la junte nigérienne a annoncé la nationalisation de Somaïr, jusqu’alors exploitée à 63 % par Orano (ex-Areva), principale source d’uranium de la France.
Les autorités nigériennes ont qualifié Orano d’« irresponsable » et d’« illégal » dans ses pratiques, et présenté cette décision comme un acte de souveraineté. Niamey en rupture avec Paris depuis le coup d’État contre le président démocratiquement élu (Mohamed Bazoum), accuse notamment Orano d’avoir violé les termes de l’accord en exportant une quantité d’uranium supérieure à la part qui lui était légalement attribuée, en contradiction avec les règles de répartition prévues dans l’entente entre l’État du Niger et la société française.
En réaction, le groupe Orano dénonce dans un communiqué ce qu’il appelle une « politique de spoliation des actifs miniers, en violation des accords liant le groupe et l'État du Niger » et indique qu'il « entend réclamer la compensation de l'ensemble de son préjudice et faire valoir ses droits sur le stock correspondant aux productions de la Somaïr à date ».
Russia Today (RT) et Sputnik, les autres médias qui façonnent les opinions publiques africaines
En mars 2022, dans le contexte de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, l’Union Européenne a interdit la diffusion des médias Russia Today (RT) et Sputnik sur son territoire, les qualifiant d’« outils de désinformation » au service du Kremlin. Présentés comme des relais directs de la propagande d’État, ces deux médias ont alors été bloqués dans l’espace numérique européen.
Privés formellement d’accès au public européen, et malgré la création des sites miroirs pour contourner l’interdiction de l’UE afin de permettre aux internautes de les y accéder sans avoir besoin de faire recours au VPN (réseau privé virtuel), les deux organes médiatiques ont par ailleurs redéployé leurs efforts vers le continent africain, où leurs sites et contenus restent pleinement accessibles. RT et Sputnik y ont trouvé un nouvel espace d’expansion, en misant sur le discours anticolonial et la méfiance croissante envers les puissances occidentales.
Le réseau Russia Today (devenu RT) est aujourd’hui implanté dans plusieurs pays africains, notamment en Côte d’Ivoire, au Burkina Faso, au Sénégal, au Cameroun et en Algérie, où il dispose de correspondants ou de bureaux ou encore de partenaires médiatiques. En examinant des contenus des médias d’État de la nouvelle Confédération AES (ORTM au Mali, AIB au Burkina et Télé Sahel au Niger), la BBC Monitoring a conclu dans une récente publication qu’« il semble y avoir un certain degré d'influence russe ou d’engagements » avec la Russie, consolidant sa présence dans une région en plein basculement stratégique.
Dès décembre 2022, une collaboration officielle a également été conclue entre Russia Today et la chaîne camerounaise Afrique Média, sous le slogan explicite : « Lutter contre la propagande mensongère occidentale ». Cette alliance, annoncée avec fracas par le média camerounais, illustre la manière dont Moscou s’appuie sur des relais locaux pour diffuser ses narratifs, en particulier dans les pays francophones.
La désinformation comme stratégie globale - Le retour du projet Doppelgänger
La Russie ne se contente pas de messages idéologiques. Elle mène aussi des opérations d’influence et de propagande complexes. Le projet African Initiative, rappelle une autre opération d’influence russe de grande envergure et baptisée « Doppelgänger » en raison des méthodes employées pour ce faire. Ce projet consiste notamment à publier de faux articles et vidéos d'opinion sur des questions politiques et culturelles controversées en Occident, particulièrement aux États-Unis, en France, en Allemagne et en Ukraine.
Repérée depuis au moins 2022, l’opération s'est appuyée sur la reproduction complète de sites web appartenant à des institutions médiatiques établies, avec leurs logos, les noms réels des journalistes, ainsi que des articles et des caricatures falsifiés. Ces sites visaient, d’après le média d’investigation allemand Correctiv, à attirer des internautes ordinaires via des publications sur les réseaux sociaux, souvent diffusées de manière automatisée. En avril de cette année-là, des journalistes d'investigation allemands ont révélé l'existence de 30 faux sites d'information, imitant notamment certains des plus grands médias du pays, comme Frankfurter Allgemeine Zeitung, Der Spiegel, Bild, ainsi que le site britannique Daily Mail. De plus, Le Monde en France et Le Washington Post aux Etats-Unis sont aussi concernés.
Depuis, des entreprises technologiques et des laboratoires de recherche ont minutieusement suivi, documenté et supprimé plusieurs publications de Doppelgänger sur Internet. Deux sociétés russes initialement identifiées comme liées au Kremlin, Social Design Agency (SDA) et Structura National Technology (Structura), sont impliquées dans la campagne Doppelgänger : elles ont été par conséquent sanctionnées (avec leurs responsables aussi, Ilya Andreevich Gambashidze et Nikolai Aleksandrovich Tupikin) par l’Union Européenne (UE) et les États-Unis. « Cela signifie que les entreprises européennes et américaines ne sont pas autorisées à leur fournir des services ou des ressources économiques, directement ou indirectement. », explique Correctiv en juillet 2024 dans une publication.
Deux autres sociétés russes impliquées dans Doppelgänger (Argon Labs, ANO Dialog)
Le média allemand d’investigation renseigne qu’une autre entreprise moscovite supposée de marketing (Argon Labs) a été plus tard identifiée par l’ONG internationale ISD (Institute for Strategic Dialogue) comme faisant partie des sociétés incriminées et que d’autres non identifiées sont probablement aussi concernées. « L'ISD a découvert de nouveaux éléments qui semblent lier une troisième société, Argon Labs, à Doppelgänger. Argon Labs, une société moscovite, prétend proposer des services de marketing d'affiliation et de développement Web sur mesure à ses clients. En réalité, Argon Labs et les individus qui se cachent derrière sont impliqués dans des tactiques de monétisation douteuses, notamment en infectant des victimes sans méfiance avec des logiciels malveillants publicitaires », écrit en anglais l’ONG dans un rapport publié le 13 juin 2024.
Malgré les sanctions européennes et américaines prises à l’encontre de SDA et Structura (ainsi que leurs dirigeants), et l’identification d’un troisième acteur, les campagnes de désinformation émanant du projet Doppelgänger persistent toujours. En septembre 2024, dans un contexte d’élection présidentielle états-unienne et voulant justifier ses dernières sanctions contre la Russie, mais aussi dans une tentative de contrer ses opérations d’influence de grande envergure, le département américain de la Justice (sous l’administration Joe Biden) « a révélé les schémas organisationnels des opérations d’influence russes en Occident.», rapporte dans une analyse l’organisme public polonais spécialisé dans la recherche analytique, OSW Centre for Eastern Studies.
Tama Média a consulté ce document de 277 pages publié par le ministère américain de la Justice, qui avait en effet annoncé avoir saisi 32 noms de domaine utilisés par le projet « Doppelgänger », exposé ses méthodes utilisées ainsi que les acteurs impliqués à travers les sociétés russes SDA (Social Design Agency), Structura (Structura National Technology), ANO Dialog; sans compter Argon Labs identifiée par l’ONG ISD (Institute for Strategic Dialogue).
Pour certains analystes, le rapprochement de Washington avec Moscou, après le retour en janvier 2025 du président Donald Trump dans le Bureau ovale, pourrait servir de levier pour renforcer, encore un peu plus, les activités médiatiques pro-russes en Afrique.
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