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30 ans après le génocide : les générations plus âgées du Rwanda craignent un retour des tensions ethniques

Par Redaction
07 avril 2024
7 min

Cela fait 30 ans qu’un génocide a ravagé le Rwanda, faisant près d’un million de morts parmi les Tutsis et les Hutus non extrémistes.

Genocide au Rwanda

Chaque année, au début du mois d’avril, le pays entre dans une période de commémoration de 100 jours au cours de laquelle les Rwandais sont invités à se souvenir et à réfléchir aux divisions historiques entre les principaux groupes ethniques du pays : Tutsi, Hutu et Twa. Ces commémorations sont placées sous la bannière de Ndi Umunyarwanda, que l’on peut traduire par “Je suis Rwandais”.

Cette idéologie unifiée post-génocide suit l’interprétation du Front patriotique rwandais au pouvoir de l’histoire du pays. Elle considère les Tutsis, les Hutus et les Twas comme une forme de division socio-économique plutôt que comme des différences ethniques.

Certains universitaires occidentaux, tels que Filip Reyntjens, Alison Des Forges et Catharine Newbury, rejettent cette interprétation de l’histoire. Ils affirment que l’ethnicité a toujours été un aspect important de la société rwandaise et qu’elle n’est pas une construction coloniale.

À mon avis, sur la base de 16 années de recherche sur le Rwanda et ses politiques publiques après le génocide, ils passent à côté d’un aspect essentiel de la raison d’être de Ndi Umunyarwanda. Il a été conçu comme un mécanisme permettant au pays de tourner la page sur ses divisions passées et d’éviter que le génocide ne se répète.

Au cours de mon récent travail de terrain au Rwanda (de décembre 2022 à mars 2023 et d’août à septembre 2023), j’ai accordé une attention particulière à la question de savoir si le Ndi Umunyarwanda s’était imposé à la nouvelle génération d’habitants de Kigali. J’ai assisté à de multiples réunions sociales avec la classe moyenne grandissante de Kigali de Rwandais âgés de 24 à 35 ans.

Au cours des conversations avec 50 membres de la génération Y et de la génération Z, il est apparu que le souhait du gouvernement de voir les jeunes accepter le Ndi Umunyarwanda avait été efficace. Les participants n’avaient guère envie d’évoquer ce qu’ils considéraient comme les divisions de leurs parents et se considéraient plutôt comme des compatriotes rwandais.

À mon avis, ces conversations illustrent le succès de Ndi Umunyarwanda et, plus généralement, le désir du gouvernement rwandais de reconstruire la société après le génocide.

Mais parmi les générations plus âgées du Rwanda, la crainte d’une résurgence des tensions ethniques reste vive. Au sein du gouvernement rwandais, nombreux sont ceux qui s’inquiètent du fait que le temps écoulé n’a pas été suffisant pour favoriser une identité unifiée capable d’évacuer complètement une idéologie qui a provoqué tant de carnage.

Le gouvernement est notamment très sensible aux activités de la milice des Forces démocratiques de libération du Rwanda, basée en République démocratique du Congo (RDC) voisine. Cette force armée de 2 000 hommes comprend des personnes identifieés comme ayant participé au génocide.

La guerre à la frontière

À Kigali, la vague de violence dans l’est de la RDC suscite de plus en plus d’inquiétude. L’armée congolaise a été accusée de coopérer avec les Forces démocratiques pour la libération du Rwanda, qui sont composées de ce qui reste des anciennes forces du génocide rwandais.

Cette situation a alimenté les préoccupations rwandaises concernant l’augmentation des livraisons militaires à ce groupe et de sa légitimation politique. Toutefois, la menace qu’il représente ne découle pas de ses capacités militaires : le groupe dispose de peu de moyens stratégiques, opérationnels ou tactiques pour vaincre l’armée rwandaise et prendre le contrôle du gouvernement de Paul Kagame. La menace perçue provient plutôt des opinions des personnes qui composent la force.

Ces craintes ont été attisées par les actions et le langage utilisés par les fonctionnaires du gouvernement de Félix Tshisekedi à l’encontre de la population banyamulenge. Ce groupe est historiquement originaire du Rwanda mais vit en RDC depuis des générations.

Au cours des deux dernières années, la violence contre eux – souvent de la part de l’armée de la RDC et des Forces démocratiques de libération du Rwanda – s’est intensifiée.

Le langage du gouvernement congolais inquiète les autorités rwandaises. Le ministre congolais de l’Enseignement supérieur Muhindo Nzangi et le porte-parole du gouvernement Patrick Katembwe, par exemple, ont ouvertement appelé à la persécution des Banyamulenge. Le ministre rwandais des Affaires étrangères Vincent Biruta a déclaré que le langage de haine ethnique à l’encontre des Banyamulenge qui émane des responsables congolais lui rappelle le langage utilisé par les auteurs du génocide juste avant le génocide de 1994.

Le langage provenant de la RDC inquiète les autorités rwandaises car il ne menace pas seulement les Banyamulenge, mais s’inscrit également dans des schémas qui ont affligé la société rwandaise. Mais quelle est la gravité de la menace qui pèse sur la reconstruction sociale post-génocide de Ndi Umunyarwanda au Rwanda ?

Les Rwandais font confiance à leur gouvernement et à leur armée pour les protéger contre les menaces sécuritaires, y compris les Forces démocratiques de libération du Rwanda. Néanmoins, l’idéologie que ces menaces véhiculent est considérée comme le principal risque de voir le Rwanda retomber dans ses divisions passées.

À mon avis, ce risque est plutôt faible. Mais l’inquiétude demeure au sein du gouvernement, ainsi que parmi les rescapés du génocide. Leurs souvenirs de divisionnisme et de haine ethnique continue de peser sur leurs préoccupations quant à la sécurité et à l’avenir du Rwanda.

Des cicatrices profondes

De nombreux membres du gouvernement rwandais, en particulier dans les cercles restreints du pouvoir, ont soit lutté pour mettre fin au génocide, soit en ont été victimes. Les cicatrices profondément ancrées de leur expérience influencent leur désir de réorganisation sociale nationale.

Beaucoup craignent encore que l’idéologie extrémiste hutue du passé, qui a encouragé les divisions et la haine, et que les Forces démocratiques de libération du Rwanda promeuvent, ne l’emporte sur les progrès accomplis par Ndi Umunyarwanda. Il est souvent tentant de chercher des boucs émissaires pour ses propres problèmes.

À l’occasion de la 30e commémoration, les ambassades et hauts-commissariats rwandais s’engageront auprès de la diaspora rwandaise. Il y aura des événements nationaux à Kigali, mais la plupart seront organisés dans les villages et les villes du pays pour se souvenir du passé et contribuer à un avenir harmonieux.

Ils n’ont pas besoin de chercher bien loin pour voir les signes avant-coureurs de la façon dont la société peut glisser vers la désignation de boucs émissaires et comment cela peut conduire à la violence. L’escalade de la violence et du discours ethnique dans l’est de la RDC nous le rappellent sans cesse.

Si les menaces physiques provenant de l’autre côté de la frontière ne peuvent être ignorées, le Rwanda se rapproche davantage de l’unité prônée par les Ndi Umunyarwanda que des divisions issues au génocide.

Jonathan Beloff, Postdoctoral Research Associate, King’s College London

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.