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Madagascar : « Le big man des sociétés privées s’est déplacé dans la sphère politique avec ses codes »

20 juillet 2024
11 min

Grand entretien. Madagascar – « Le « big man » des sociétés privées s’est déplacé dans la sphère politique avec ses codes : clientélisme, corruption, voire violence. Si bien qu’aujourd’hui, faire de la politique sans argent mais avec une volonté et des idées est devenu impossible », estime le journaliste malgache Raoto Andriamanambe, rédacteur en chef du magazine bimestriel Politikà de la Fondation Friedrich-Ebert-Stiftung (FES). Pour Tama Média il revient sur les principaux enjeux et enseignements des dernières élections, et surtout les facteurs qui expliquent la « dégradation de l’environnement politique » sur La Grande Île.

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Le journaliste Raoto Andriamanambe

Les faits : Le 12 juillet 2024, soit deux semaines après la proclamation des résultats définitifs des Législatives du 29 mai par la Haute Cour Constitutionnelle (HCC) le 27 juin, les députés malgaches de la nouvelle Assemblée nationale ont procédé, lors d’une session spéciale, à l’élection des 32 présidents de commission. Ils sont, au total, 163 parlementaires dont 84 issus de la coalition au pouvoir ayant obtenu de justesse la majorité absolue fixée à 83 sièges.

Sagaïdou Bilal a contribué à la réalisation de cette interview


Tama Média : quels étaient les principaux enjeux de ces élections législatives ?

Le journaliste Raoto Andriamanambe : Les enjeux étaient triples. Pour l’administration Andry Rajoelina, il s’agissait de légitimer la Présidentielle du 16 novembre dernier, qui avait été boycottée par les principales forces de l’opposition. Ces dernières n’avaient pas reconnu la victoire du président sortant, avec 58,96% des voix, et avaient demandé l’annulation de l’élection. Les électeurs ont boudé les urnes avec un taux de participation famélique de 46,35 %. La configuration des Législatives a été différente. Même si l’opposition est partie en ordre dispersé, elle y a pris part. Pour le camp présidentiel, avec le gain de la majorité absolue de 84 députés, l’objectif a été atteint.

D’un autre côté, l’opposition cherchait à obtenir la majorité parlementaire pour faire un barrage institutionnel, désigner un Premier ministre (issu de ses rangs. L’équipe gouvernementale conduite par Christian Ntsay a présenté le 10 juillet au chef de l’État Andry Rajoelina sa démission, qui a été acceptée. Elle continue néanmoins de s’occuper des affaires courantes en attendant un nouvel attelage gouvernemental, NDLR). Car l’article 54 de la Constitution dispose que : « Le président de la République nomme le Premier ministre, présenté par le parti ou le groupe de partis majoritaire à l’Assemblée nationale ».

Elle voulait aussi peser dans les débats sur les grands problèmes nationaux. Le pari est perdant. Les deux collectifs de l’opposition Firaisankina (solidarité en malgache de Marc Lavalomanana, NDLR) et Kolekitifa an’i Malagasy (collectif malgache en français) n’ont récolté que 23 sièges au total, sur les 163 en jeu. La stratégie de la scission a été un coup mal joué. Certains députés ont perdu leurs fiefs alors qu’ils bénéficiaient d’une notoriété locale importante.

Le troisième enjeu est davantage national. La Grande île sort de législature piteuse avec des scandales impliquant de députés et une image peu reluisante de la fonction parlementaire. Au vu de la nouvelle composition de l’Assemblée nationale, rien ne nous garantit que la situation va s’améliorer.

Ces résultats sont-ils de nature à éviter une nouvelle crise institutionnelle ?

La victoire du camp présidentiel est surtout une défaite de l’opposition qui avait tout à gagner et tout à perdre. Ces résultats, avec une majorité absolue glanée à l’arrache, peuvent éviter l’instabilité que le camp présidentiel a vécue lors de la dernière législature. Mais rien n’est moins sûr.

Les « mallettes » sont des pratiques néfastes utilisées pour faire pencher les votes.

Les indépendants sont plus d’une cinquantaine au sein de l’Hémicycle. Ils peuvent s’allier ou se rallier avec les partis de l’opposition ou le camp présidentiel, selon les intérêts ou quand l’espèce sonnante et trébuchante est mise en jeu. Je n’invente rien, les « mallettes » sont des pratiques néfastes utilisées pour faire pencher les votes.

L’article 103 de la Constitution dispose que « l’Assemblée nationale peut mettre en cause la responsabilité du gouvernement par le vote d’une motion de censure. Une telle motion n’est recevable que si elle est signée par la moitié des membres composant l’Assemblée nationale. (…) La motion n’est adoptée que si elle est votée par les deux tiers des membres composant l’Assemblée nationale ».

L’équation est simple : nous avons une cinquantaine de députés indépendants, additionnés à une vingtaine de l’opposition et quelques électrons libres. Un retournement de veste du côté de quelques têtes dans le camp présidentiel n’est pas à exclure et on pourrait aboutir à cette motion. Rien ne dit qu’il n’y aura pas de « traîtres » parmi les 84 élus du pouvoir. Le camp orange (couleur du parti au pouvoir Jeunes malgaches déterminés TGV, NDLR) est coutumier du fait… Une crise surviendra qu’importent les réalités arithmétiques si des intérêts sont bousculés ou s’il y a une surenchère. Donc, cette victoire présidentielle est relative.

Que pourrait changer cette percée des indépendants (plus de 50 sièges sur les 163) dans le contexte politique actuel du Madagascar, surtout à l’Hémicycle ? Peuvent-ils se constituer comme des arbitres du jeu politique ?

D’abord, je tiens à préciser que je suis contre les candidatures indépendantes. Cela, bien que je comprenne la logique de la démarche et conçoive le fait que beaucoup de candidats ou de citoyens ne se retrouvent pas forcément dans cette polarité Ravalomanana-Rajoelina entretenue depuis plus de 15 ans maintenant. Et les autres partis sont soit des émanations de ces deux pôles, soit ils ont des offres politiques peu satisfaisantes. Ce qui peut pousser les candidats à aller aux différentes élections en tant qu’indépendants. Mais en faisant cela, ils entretiennent paradoxalement une dégradation de l’environnement politique.

La percée des indépendants n’est que le reflet de la décadence des grands partis politiques

Cependant, la percée des indépendants n’est que le reflet de la décadence des grands partis politiques. Des formations historiques ont quasiment été rayées de la carte politique malgache et peinent à exister.

C’est le cas de l’Arema (Association pour la Renaissance de Madagascar, un puissant parti politique fondé par l’ancien président Didier Ratsiraka) et le Leader Fanilo (Libéralisme économique et actions démocratiques pour la reconstruction de Madagascar). Et c’est dommage. C’étaient des vraies écoles du militantisme politique. Au moins, dans ces partis, la déontologie est mise en pratique et il y a des balises, bien que rien ne puisse empêcher les transhumances politiques.

Mais alea jacta est. Le schéma idéal est que ces députés indépendants puissent former un groupe parlementaire réellement indépendant qui puisse garder le cap, qu’importe le marchandage politique, et peser dans les débats. Cela dit, j’estime que les partis politiques sont les noyaux d’un vrai système démocratique.

Pour vous, cette « dégradation de l’environnement politique », comment se manifeste-t-elle ?

La politique malgache est devenue le repère d’affairistes et de businessmen. Le « big man » (concept emprunté du domaine sociologique), qui s’était contenté auparavant des opérations économiques, s’est intéressé à la politique. Il en a fait un moyen pour accroître sa richesse et pour s’acheter un statut. Le « big man » des sociétés privées s’est déplacé dans la sphère politique avec ses codes : clientélisme, corruption, voire violence. Si bien qu’aujourd’hui, faire de la politique sans argent mais avec une volonté et des idées est devenu impossible.

Le règne de l’argent roi

Le règne de l’argent roi, la corruption, le népotisme, etc., ont profondément détérioré le paysage politique avec comme résultats : le dédain et le rejet de la politique par les citoyens. Mais il faut souligner la résilience de certains partis politiques et de certaines personnalités politiques qui continuent à se battre vaille que vaille.

Les Parlements en Afrique sont souvent accusés de ne pas assumer pleinement leur rôle de contrôle de l’action gouvernementale. Comment analysez-vous l’efficience de celui malgache ?

Ce n’est pas seulement dans leur rôle de contrôle de l’action gouvernementale qu’ils sont défaillants, mais aussi au niveau de la production de la légistique. Au moment de voter les lois, les députés doivent absorber des milliers de pages en quelques jours. C’est aussi la faute de l’exécutif qui ne propose qu’une lecture à la va-vite car le texte est déposé très tard durant les sessions. Certains députés sont peu outillés et ne s’entourent pas de personnes compétentes capables de lire, de synthétiser un document comme la loi de finances ou des accords de prêts.

Le député le plus assidu a un taux de présence de 75% alors que le dernier est absent 92% du temps

Ensuite, la faible assiduité des députés pose problème. Si l’on se réfère à l’excellent travail de monitoring effectué par l’ONG Balaky, leur présence aux séances de l’Assemblée n’était que de 23% en moyenne pour l’année 2023. Le député le plus assidu a un taux de présence de 75% alors que le dernier est absent 92% du temps. Imaginez l’argent que le contribuable dépense pour ces élus. Si l’on se fie à ces chiffres, l’Hémicycle est peu efficient. On est même en droit de se demander si le Parlement est utile, du moins, dans sa configuration actuelle.

Nous avons eu un concept traditionnel dans le passé, comme les palabres sous les tamariniers ou au cœur des villages. Ne devons-nous pas nous inspirer de ces legs multiséculaires et les moderniser pour proposer une démocratie plus participative et directe ? Ce questionnement n’est pas propre qu’au Madagascar, il est valable partout en Afrique. Ces réflexions ne remettent pas en cause l’utilité de la démocratie, loin s’en faut, car, comme le disait Winston Churchill, « la démocratie est le pire des régimes, à l’exception de tous les autres. »

Le Madagascar est connu comme une île riche de sa biodiversité. Il dispose de 5% de la biodiversité mondiale et 83% de la flore malgache est endémique, c’est-à-dire qu’on ne trouve ces plantes nulle part ailleurs. Est-ce que la classe politique malgache se préoccupe suffisamment de la protection de cet environnement extraordinaire ?

Une partie de la classe politique s’en soucie réellement. La conservation de la biodiversité ne peut se faire sans une politique publique éclairée et adaptée. Même s’ils sont censés ne pas faire de la politique, beaucoup d’agents de la fonction publique luttent tous les jours contre la destruction de l’environnement. Ils sont souvent sous-payés et sous-équipés. Néanmoins, ils sont en première ligne au péril de leur vie pour protéger ces derniers vestiges des grandes richesses. Lesquels n’appartiennent pas qu’aux Malgaches, mais à toute l’humanité. Cela n’exclut pas qu’il y ait des fonctionnaires véreux.

Il y a aussi une partie de la classe politique prédatrice et destructrice de l’environnement. Elle s’apparente davantage à de la mafia

Il y a aussi une partie de la classe politique prédatrice et destructrice de l’environnement. Elle s’apparente davantage à de la mafia. Certaines personnalités se sont lancées dans la course à la députation pour pouvoir bénéficier de l’immunité parlementaire afin de s’adonner aux trafics de ressources naturelles. Certains opèrent eux-mêmes en toute illégalité et en toute impunité. Le cas du tristement célèbre Ludovic Raveloson, député anciennement élu dans la circonscription de Mahabo, est encore dans tous les esprits. En plus des plaintes de violence et de voies de faits contre lui, il aurait fait raser des milliers d’hectares de forêt primaire au profit de cultures de maïs et d’arachides destinées à des multinationales de l’agro-alimentaire. Au regard des profils des députés élus ou réélus, je n’ai qu’un mince espoir.