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Sénégal : le président Bassirou Diomaye Faye veut renégocier les contrats pétroliers, mais dans quel cadre juridique peut-il le faire ?

24 juillet 2024
8 min

CONTRIBUTION – Dans l’opposition, les Patriotes africains du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité (Pastef) reprochaient au régime du chef de l’État Macky Sall (2012-2024) d’avoir signé des contrats léonins avec des investisseurs étrangers. Porté au pouvoir le 24 mars dernier, à l’issue du premier tour de l’élection présidentielle, Bassirou Diomaye Diakhar Faye promet de tout remettre à plat dans l’intérêt de son peuple à qui appartiennent les ressources naturelles d’après la Constitution en vigueur. Mais jusqu’où peut aller le nouvel homme fort du Sénégal dans les futures négociations ?

Éléments de réponse dans cette contribution du Dr Moustapha Fall, enseignant-chercheur, maître de conférences en droit public à la Faculté des Sciences Juridiques et Politiques (FSJP) de l’Université Cheikh Anta Diop (Ucad) de Dakar.


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En Afrique, certains pays ont procédé à la renégociation des contrats extractifs afin de mieux sécuriser leurs intérêts économiques et d’assurer une meilleure répartition équitable de la rente au bénéfice des citoyens.

Au Sénégal, l’article 25-1 de la Constitution confère la propriété des ressources naturelles au peuple et l’article 5 du Code pétrolier de 2019 dispose que la gestion des revenus pétroliers garantit une épargne intergénérationnelle et répond au besoin de développement économique.

Dans le pays, plusieurs générations de Codes miniers (1988, 2003, 2016) ou pétroliers (1998, 2019) se sont succédé au fil du temps. Ces législations sont marquées par l’attractivité des investissements, la valorisation du secteur, la sécurisation des intérêts économiques de l’État, la participation du secteur privé national et celle de l’État.

Le président de la République du Sénégal, Bassirou Diomaye Faye, a réaffirmé la volonté non équivoque de l’État de renégocier les contrats pétroliers lors d’un entretien avec la presse le 13 juillet 2024. Cette option stratégique du pays annoncée devra s’inscrire dans un cadre juridique, contractuel et fiscal approprié. Ainsi, la renégociation des contrats pétroliers peut être qualifiée de bonne foi (I) ou de mauvaise foi (II).

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Le 25 juin 2024 – Le président Bassirou Diomaye visite le champ pétrolier de Sangomar situé à environ 100 km au Sud de Dakar. Le projet est le fruit d’un partenariat public-privé entre la Société des pétroles du Sénégal (PETROSEN) et Woodside Energy, un géant de l’industrie énergétique.
  1. La renégociation de bonne foi

En principe, les contrats extractifs doivent être exécutés de bonne foi par les parties (Pacta sunt servanda). Les contrats peuvent prévoir des clauses de renégociation (A). Les parties au contrat peuvent également décider de renégocier les termes contractuels même en l’absence de clause de renégociation (B).

  1. L’existence d’une clause de renégociation

Il peut s’agir des clauses de révision des prix comme dans les contrats gaziers ou une clause soulignant la renégociation en cas de variation des conditions économiques du contrat. Dans cette hypothèse, la renégociation va de soi et ne soulève aucune difficulté majeure.

Le contrat peut aussi contenir une clause de changement fondamental de circonstances ou de flexibilité qui amène les parties à renégocier pour rééquilibrer les contrats.

Dans le secteur minier ou pétrolier, il est tout à fait loisible pour l’État de revoir les termes du contrat si le prix du baril du pétrole ou du minerai augmente afin de rétablir l’équilibre économique initial du contrat. Les contrats pétroliers sénégalais ne semblent pas prévoir de clause de renégociation.


Lire aussi : Le Sénégal devient producteur de pétrole : ce qui pourrait changer dans le pays


B. L’absence de clause de renégociation

En l’absence de clause expresse, l’État hôte ou l’investisseur privé peut demander la renégociation en invoquant une circonstance exceptionnelle ou un cas de force majeure ayant entrainé un déséquilibre de l’économie du contrat.

Dans ce cas de figure, les parties peuvent renégocier de bonne foi pour rétablir l’équilibre économique du contrat en question. Il convient de rappeler que la force majeure est définie dans les contrats pétroliers comme « tout évènement imprévisible, irrésistible et indépendant de la volonté de la partie qui l’invoque tels que tremblement de terre, guerre, émeute, insurrection, troubles civils, sabotage, faits de guerre ou conditions imputables à la guerre » (Cf. art. 31 du modèle de contrat).

En l’espèce, les autorités ne sauraient invoquer ces faits bien qu’une alternance politique ne soit intervenue. Dans d’autres pays, les changements de gouvernement ont favorisé le déclenchement de la renégociation des contrats.

  1. La renégociation de mauvaise foi

Généralement, c’est lorsque l’État décide d’imposer des mesures unilatérales (application d’un nouveau Code ou modification des règles d’imposition) sans le consentement de l’investisseur.

Si l’État invoque des arguments de contrats mal négociés, déséquilibrés ou de changements de conditions économiques, l’investisseur peut brandir la clause de stabilisation (A) et le risque du contentieux arbitral (B) devient éminent.

  1. L’activation de la clause de stabilisation

Les contrats pétroliers sénégalais contiennent des clauses de stabilisation visant à protéger l’investisseur privé contre les aléas législatifs et fiscaux (Cf. art. 33 du modèle de contrat). En plus, l’article 72 du Code pétrolier de 2019 prévoit que « le contrat pétrolier peut inclure une clause de stabilisation du contexte législatif et règlementaire… ».

Cette clause de gel du droit de l’État hôte est une soupape de sécurité pour l’investisseur car la jurisprudence arbitrale a souligné que la stabilité juridique du cadre de l’investissement est une condition essentielle du traitement juste et équitable.

Toute tentative d’appliquer une nouvelle disposition législative ou fiscale, sous réserve du consentement des parties, antérieure aux contrats se heurterait à l’obstacle de la clause de stabilisation. Toute renégociation forcée peut mener à un comportement illicite de la part de l’État et s’apparenter à de l’expropriation.

B. Le risque du contentieux arbitral

Tout différend né de l’exécution des contrats pétroliers, en plus de l’approche amiable, sera vidé par voie arbitrale. Il est établi que l’arbitrage coûte cher à l’État en termes de frais de procédures et de condamnation pécuniaire avec des montants astronomiques.

Le règlement arbitral du Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (Cirdi) s’applique aux contrats pétroliers (art. 32 du Contrat de Recherche et de Partage de Production d’Hydrocarbures, CRPP). Les procédures arbitrables sont longues et ne garantissent pas la transparence en raison de la confidentialité.

À ce niveau, en cas de contentieux, l’État devra gérer les attentes du public sur la question de la renégociation en indiquant de manière claire les positions et les dispositions à défendre bien que le pays ait déjà l’expérience du contentieux arbitral (Kumba Resources ; Arcelor Mittal).

Conclusion

La renégociation des contrats pétroliers reste possible si elle s’effectue d’un commun accord ou si l’État estime que les contrats contiennent des clauses manifestement ou objectivement inéquitables ou déséquilibrées.

L’État peut légitimement invoquer des arguments découlant de la pratique contractuelle (définition des risques, programme de travail, partage du profit, obligations de contenu local, etc.).

Mais la démarche doit reposer sur la bonne foi comme l’a rappelé la sentence arbitrale « Aminoil », c’est-à-dire le maintien des négociations, la connaissance des intérêts de l’autre partie et la quête d’un compromis acceptable. Il y va de la réputation du pays vis-à-vis des investisseurs.

Tout compte fait, la renégociation nécessite des compétences spécifiques en droit, en géologie, en économie, en modélisation financière… pour évaluer les impacts des différents projets sur le plan fiscal. Les outils essentiels à la disposition de l’État sont notamment le modèle de contrat et la société nationale.

Avant d’aller en renégociation, l’État devra s’assurer que les instruments juridiques en vigueur sont adaptés au contexte national et international, mais aussi que le modèle de contrat offre toutes les garanties de clauses négociables (part de l’État, coûts recouvrables, commercialisation de la production, prix…).