GRAND ENTRETIEN – Deux jours après le retrait de Joe Biden de la course à la Présidentielle, Kamala Harris avait déjà convaincu une majorité de délégués démocrates de voter pour elle à la convention d’investiture prévue pour la troisième semaine d’août dans la ville de Chicago. Malgré ce fort soutien de l’establishment du parti démocrate et un engouement populaire suscité par sa candidature, quelles sont les chances réelles de Kamala Harris d’être élue à la tête de la première puissance mondiale ? Des éléments de réponse avec Christopher Fomunyoh, politologue et directeur régional pour l’Afrique au National Democratic Institute for International Affairs.
Pensez-vous que Kamala Harris a une chance de succéder à Joe Biden en tant que candidate du Parti démocrate, et pourquoi ?
À ce jour, la candidature de Kamala Harris dans cette course à la présidence contre Donald Trump est une réalité absolue. Elle a déjà une réputation en tant que vice-présidente de Joe Biden, c’est-à-dire le numéro deux du pays et du parti démocrate. Ancienne procureure générale de l’État de Californie, elle a une influence dans l’un des États les plus importants du pays.
Dans l’électorat des Démocrates, elle a des alliés de taille, notamment les anciens chefs d’État Bill Clinton et Barack Obama, ainsi que Nancy Pelosi, l’ancienne présidente de la Chambre des représentants, et beaucoup de gouverneurs d’États.
Vingt-quatre heures après le désistement de Biden, plus de quarante mille femmes ont créé des cellules de mobilisation pour soutenir sa candidature. En quarante-huit heures, elle a pu collecter près de 80 millions de dollars pour financer sa campagne. Elle génère donc des ressources énormes qui pourraient effrayer ses rivaux.
Sans oublier qu’elle est plus jeune que Donald Trump et cela suscite déjà beaucoup d’engouement auprès de la jeunesse américaine. En tant que femme, issue des minorités, elle aura des barrières à contourner, mais elle dispose aussi, de ce fait, d’atouts non négligeables.
Elle est aussi très bonne oratrice et n’aura aucun mal à tenir tête à son adversaire en cas de débat. À mon sens, elle est bien placée pour battre campagne et peut-être devenir la première femme présidente des États-Unis d’Amérique.
Quels sont les principaux défis auxquels Kamala Harris pourrait être confrontée pendant la campagne ?
Il va falloir expliquer et vendre aux populations américaines, dont certains ne sont pas encore prêtes à élire une femme comme présidente de la première puissance du monde, qu’elle est capable de diriger le pays.
Autre défi, celui du financement de la campagne. Le débat se lève pour savoir si les fonds déjà alloués à Joe Biden peuvent être transférés à Kamala Harris. Au sein du parti démocrate, certains estiment que Kamala devrait partir d’une page blanche et collecter ses propres fonds de campagne.
Avec les origines afro-asiatiques de ses parents, on ne peut pas écarter l’hypothèse des préjugés raciaux d’une certaine frange de l’électorat.
Donald Trump sera-t-il obligé de réajuster sa stratégie face à la candidature de Kamala Harris ?
Il n’a pas le choix, ayant beaucoup axé sa stratégie sur la personnalité de Joe Biden avec ses difficultés d’expression et son état physique ou mental. Il a désormais face à lui un adversaire plus jeune, plus explicite, avec un background différent et qui, pour couronner le tout, est une femme.
Par exemple, Trump ne pourra pas se moquer de Kamala ou l’attaquer de manière vicieuse et frontale comme il le faisait avec Joe Biden, au risque de voir cela se retourner contre les Républicains si son électorat a l’impression qu’il l’attaque parce c’est une femme. Les électeurs ne sont pas sans oublier que Donald Trump a dans sa vie privée et publique beaucoup de difficultés à communiquer avec l’électorat féminin.
Quelle est votre évaluation globale du bilan de Joe Biden dans les relations entre les États-Unis et l’Afrique ?
Le bilan complet de l’administration Biden se fera en 2025 quand il ne sera plus en poste, mais on peut déjà retenir que le bilan est mitigé. Beaucoup de déclarations ont été faites, certains projets lancés dont on ne voit pas encore les impacts directs.
En regardant les choses de manière globale, on peut se dire qu’en dépit de l’intérêt suscité lors du Sommet USA-Afrique et des déclarations faites, l’évolution de la situation politique et sécuritaire sur le continent, des priorités de la politique africaine de Biden, le bilan laisse à désirer.
En matière de soutien à la démocratie et à la bonne gouvernance, force est de constater que pendant les trois dernières années, la démocratie a connu énormément de recul sur le continent, y compris dans des pays partenaires des USA.
Durant cette période, les crises au Soudan, dans le Sahel ou encore dans l’Est de la République Démocratique du Congo ont contribué à fragiliser l’élan de la politique africaine de Biden. Aujourd’hui, des conflits persistent alors qu’on aurait pu souhaiter voir un engagement plus marqué de la part des États-Unis et d’autres partenaires dans leur résolution.
Que ce soit en termes de soutien à la sécurisation, dans le développement économique ou la création d’infrastructures sur le continent, les intentions aussi bonnes soient-elles n’ont pu être concrétisées.
Si Kamala Harris est élue, est-ce que cela changera quelque chose dans les relations USA-Afrique ?
Si Kamala est élue, avec son attachement pour le continent, elle aura beaucoup plus de regard sur la politique américaine vis-à-vis de l’Afrique. Elle aura le temps d’apprendre ce qui a bien marché dans la décennie de l’administration Obama, ce qui a fonctionné ou pas sous celle du président Biden, et cherchera à faire davantage et mieux que ses prédécesseurs.
Quelles sont donc les prochaines étapes de cette course serrée pour la Maison Blanche ?
Les démocrates envisagent de faire voter les délégués du parti de manière virtuelle pour pouvoir confirmer la candidature de Kamala Harris avant la convention de Chicago qui démarre le 19 Août.
C’est à ce moment-là que Kamala Harris va dévoiler le nom de son colistier. Les noms circulent déjà, pour la plupart des hommes, notamment des gouverneurs d’États qui pèsent dans l’électorat et qui pourront apporter des atouts supplémentaires à la candidature de Kamala.
Un débat est également envisagé avec Donald Trump avant l’élection prévue en novembre.