Depuis trente ans, le 10 janvier est un jour de célébration au Bénin, c’est la fête du vaudou, une religion animiste pratiquée dans plusieurs pays d’Afrique depuis le XVIIè siècle. Souvent associée à une science occulte, une religion mystique, le vaudou fait parfois l’objet de fantasmes et d’amalgames.
Pour avoir un avis pragmatique et scientifique sur cette pratique, nous avons interrogé Philippe Charlier, Directeur de la recherche et de l’enseignement au Musée du Quai Branly Jacques Chirac à Paris, médecin légiste, anthropologue et archéologue.
“Dans le cadre de ses recherches scientifiques, il a côtoyé et adopté la religion vaudou dont il nous livre la quintessence dans son livre « Vaudou – l’homme, la nature et les dieux – Bénin »* publié en octobre 2022, avec une préface inédite de Jean Malaurie (ethno-historien, géographe spécialisé en géomorphologie et écrivain français).”
Il nous éclaire sur cette religion avec son regard de « scientifique initié ».
Comment décririez-vous le vaudou avec votre vision de scientifique ?
Le vaudou est une religion et une culture qui place l’individu humain au cœur d’un système global prenant en compte la nature et les dieux. Un grand tout au sein duquel circulent des énergies dont certaines sont cristallisées sous la forme de lieux sacrés, de « divinités-autels » (dits « fétiches »), et de « divinités-circulantes ». L’initiation permet de mieux prendre conscience et comprendre cette vision dynamique du monde, et l’entrée dans les sociétés secrètes (sortes de « spécialités du vaudou ») ouvre la voie vers une tentative de maîtrise de ces courants.
Quelles sont les zones géographiques concernées par ce culte en Afrique à l’origine et aujourd’hui ?
Trois pays principalement : le Bénin, le Togo et le Nigeria (zone frontalière ouest), surtout les 500 km les plus proches de l’Océan Atlantique. Mais certaines divinités du panthéon vaudou passent les frontières, comme Mamy Wata que j’ai retrouvée récemment au Cameroun, en territoire Bamiléké, par exemple.
Pourquoi cette culture/religion a-t-elle fait l’objet de tant de diabolisation ces dernières décennies ?
On prête au vaudou des pratiques de sorcellerie, en confondant d’abord le vaudou « africain » et sa forme caribéenne (haïtienne, en l’occurrence), prenant pour exemple les poupées vaudou (inexistantes au Bénin). C’est confondre « culture » et « religion », d’une part, et « sorcellerie » d’autre part. En marge de toutes les religions se trouvent des pratiques de sorcellerie, à commencer par le catholicisme romain, l’islam ou le judaïsme. Mais il est vrai que les sacrifices sanglants d’animaux – ils existent, et font en effet totalement partie de la pratique du vaudou – ont fait couler beaucoup… d’encre ! La vitalité du sang participe de l’activation des « divinités-autels » et des offrandes aux divinités (voduns) ; mais la nourriture est ensuite partagée avec les officiants et l’ensemble de la communauté. Le sang est pour les dieux, la chair est pour les hommes.
Que représente le festival du vaudou au Bénin, en quoi consiste-t-il et qui en est à l’initiative ?
Ce festival dépasse le seul cadre du vaudou pour mettre en avant les religions traditionnelles d’Afrique de l’Ouest et de la diaspora afro-caribéenne. Plus qu’une fierté, c’est une nécessité de maintenir vives ces cultures et traditions qui font le lien entre générations, mais aussi entre cultures que l’esclavage a séparé (mais que les religions traditionnelles lient encore). Par l’organisation d’une telle manifestation internationale, la République du Bénin, laïque, montre son respect total des différentes religions, dans un esprit de concorde et de conservation culturelle.
Comment un médecin légiste – donc un scientifique – peut-il s’intéresser aux disciplines ésotériques et même être initié au Vaudou ?
Je suis « rentré » dans le vaudou par des séjours fréquents au Bénin dans le cadre d’une suite d’enseignements prodigués à Parakou, Abomey et Cotonou, et des innombrables questions que je posais à mes contacts, interlocuteurs et amis. Me faire initier est devenu inéluctable à partir du moment où l’expérience seule permettait de répondre à des questions restées en suspens. Le processus a été long, mais sincère et véritable. Et mon cartésianisme n’en a jamais été amputé.
A quoi ressemble votre quotidien de scientifique vaudou (dans votre pratique) ?
Je reste scientifique sans aucune modification quant au respect d’une éthique de la recherche et d’un pragmatisme permanent. Mais dans ma pratique spirituelle ou philosophique, le vaudou me permet de penser le monde autrement, comme un filtre supplémentaire ou plutôt un autre niveau de lecture. Comme le disait un ami béninois, « le monde est si complexe, deux religions valent mieux qu’une ».
Quel est selon vous le rapport entre le visible et l’invisible ?
L’invisible est un monde qu’on voit mieux en fermant les yeux… Il est dans le visible, mais on refuse de l’appréhender.