Deux jours après avoir exposé sa nouvelle stratégie africaine, le président Emmanuel Macron se rend en Afrique centrale pour une tournée diplomatique entre le 1 et le 4 mars. Ce voyage qui avait pour objectif de montrer le nouveau partenariat que la France veut tisser avec l’Afrique a été au cœur de nombreuses controverses.
La France-Afrique est-elle réellement terminée ? Décryptage avec la franco-malgache Lova Rinel Rajaoarinelina, chercheuse associée à la Fondation pour la Recherche Stratégique sur les sujets de défense et de sécurité.
Est-ce que vous pouvez vous présenter ?
Je suis d’origine malgache. Je suis chercheuse, spécialisée sur les questions de défense, de sécurité et de sécurité nucléaire. J’ai travaillé de nombreuses années sur les questions de criminalité organisée en Afrique. Pendant cinq ans, j’ai été conseillère du président de la république et du président de l’Assemblée de Madagascar. De retour en France j’ai travaillé sur les questions stratégiques à l’Assemblée Nationale. J’ai également travaillé en agence internationale à Vienne sur le contrôle et la non-prolifération nucléaire. Depuis deux ans je travaille avec l’Élysée sur la nouvelle relation entre le continent Africain et la France.
Quelle est votre perception générale de cette visite du président Macron en Afrique ?
Ce déplacement s’inscrit dans un contexte très bruyant. En France, quand les médias parlent de la France en Afrique aujourd’hui, ils mentionnent principalement le Sahel. Il est donc difficile depuis dix ans de voir l’Afrique autrement que par le prisme Sahélien. C’est une erreur mais c’est une vérité culturelle. Mon avis est que ce déplacement en Afrique centrale part du bon pied mais la compréhension médiatique n’a pas été au rendez-vous. Beaucoup de messages positifs n’ont pas été relayés et cela ne permet pas d’avoir une vision critique sur cette nouvelle relation que le Président veut mettre en place. L’objectif du Président Macron qui est de changer la relation va en effet prendre beaucoup de temps et demander encore beaucoup de travail.
Au Gabon, quel était selon vous l’intérêt d’une rencontre éclaire avec le président Ali Bongo ?
Cette visite était avant tout une réponse. Le sommet « One Forest Summit » a été co-monté entre la France et le Gabon. Le berceau du Congo est le poumon mondial dont la préservation représente un enjeu universel pour la planète. La participation réelle de la France était nécessaire. Le président l’a parfaitement compris. La présence du Président français était logique au Gabon, c’est la raison pour laquelle il a commencé par ce pays.
Que pouvez-vous nous dire sur cette visite rapide au Congo Brazzaville auprès du président Sassou Nguesso, l’un des doyens des chefs d’État africains ?
Le Président ne pouvait se déplacer dans cette région d’Afrique sans saluer son homologue Congolais. Ce serait un manque de respect ! Le Président Sassou Nguesso est effectivement l’un des derniers « vrais vestiges » de la France Afrique dans son existence et l’un des seuls Présidents qui milite activement pour elle. Cela se voit très bien dans le message diplomatique : il veut garder ce monde d’avant. Le fait qu’il accueille Emmanuel Macron dans le palais de l’ancien gouverneur français, n’est pas anodin. La France et beaucoup de pays du continent ont désormais une volonté de rompre avec certaines méthodes mais cela ne peut se faire qu’avec le consentement des autres pays. Si un pays ne veut pas appliquer ces changements, il n’est pas possible de l’y obliger.
Cette visite montre bien qu’en Afrique tout n’est pas simple mais que la relation diplomatique française est aujourd’hui saine car elle s’adapte au pays. Le continent africain est constitué d’une diversité de politiques et d’intentions. Le Gabon veut changer, la RDC est déjà dans le changement, mais le Congo Brazza ne veut pas changer. Son rythme n’étant pas celui des autres pays, la relation s’y adapte.
En RDC, le Président Félix Tshisekedi semblait déçu lors de cette visite d’Emmanuel Macron, pouvez-vous nous en expliquer-moi les raisons ?
Je ne pense pas qu’il ait été déçu. Ce ne sont pas les retours que j’ai eus. Cette visite s’est faite en plusieurs étapes médiatiques. Dans les premiers jours les médias ont montré les murs tagués de l’ambassade de France avec les inscriptions « Macron dégage », le drapeau russe et la photo de Vladimir Poutine. A la fin, ils montraient des vidéos du président dans un bar qui a été surnommé « place Macron ». Cela montre bien que le Congo RDC est un pays immense avec une diversité qui n’est pas simplement médiatique.
Il faut surtout retenir le message diplomatique de ce voyage qui est : la France est du côté de Kinshasa dans le conflit qui l’oppose aujourd’hui sur ses frontières avec le Rwanda mais le Congo doit aussi prendre sa part de responsabilités.
Si le Rwanda, ce tout petit pays, vient envahir le Congo, cela veut dire qu’il y a quarante ans de mauvaise gouvernance du pays, et ce n’est pas la faute de la France. Le pays doit gérer sa propre sécurité.
Cette visite a montré deux présidents qui se renvoient la balle sur ce sujet, l’un disant que c’est de la faute de l’autre et celui-ci expliquant que ce n’est pas à lui de gérer son armée. La France veut bien soutenir le pays mais elle ne peut pas faire à la place de la RDC. C’est un message très sain de la France qui est : l’indépendance implique des responsabilités et la coopération relève d’une amitié saine. Les deux présidents ont été challengés sur ces deux points pendant cette visite.
Quel était l’enjeu de la visite en Angola ?
L’Angola n’étant pas une ancienne colonie, cela change le rapport et l’enjeu, d’autant plus que les échanges se sont faits en anglais et en portugais. L’enjeu de cette visite était un accompagnement sur la souveraineté alimentaire. Dans ce contexte de changements climatiques, la France doit aussi accompagner les États qui le demandent sur cet enjeu majeur.
L’Angola a sollicité la France pour savoir comment être accompagné sur ce point pour renforcer son secteur agricole et éviter des situations comme les émeutes de la faim. C’est un État qui prend la responsabilité, en ayant conscience de ses lacunes, pour demander le partenariat d’un pays qu’il considère comme efficace. Il n’y a pas de controverse, la relation avec l’Angola montre une diplomatie et une coopération saines.
Malgré les déclarations régulières sur la fin de France Afrique que doit-on penser après cette tournée africaine ?
Le Président parle de ce concept de « fin de la France-Afrique » depuis 2017, ce n’est pas un sujet nouveau. La question est de savoir ce qui ressort de ce déplacement par rapport à la cohérence d’une politique appliquée depuis plus de six ans. Aujourd’hui ce qu’il en ressort c’est que la France applique une diplomatie adaptée pays par pays, ce qui n’était pas le cas avant. Lors du dernier mandat, l’Afrique était encore évoquée comme un bloc, il n’y avait pas de réflexion État par État !
La vraie différence c’est que le Président est sorti de ce mécanisme de « Pays face à un continent » pour tisser des relations bilatérales. C’est fondamental aujourd’hui.
Du côté français, la « France-Afrique » essaie de mourir mais elle ne meurt pas dans la tête des français. C’est un travail autant de mentalités que de faits. Rien que le fait de dire « son voyage en Afrique » alors qu’il a visité quatre pays d’Afrique centrale sur les cinquante-quatre pays, montre bien que nous-mêmes avons encore une réflexion « frrance-africaine » qu’il faut réadapter.
Du côté africain, à part l’exception du Congo Brazza, le continent africain a rompu avec ce concept depuis un moment. Il y a encore quelques résistances mais essentiellement mentales.
Qu’est-ce qui permettrait de rompre avec ces résistances sur la fin réelle d’une « France Afrique » ?
La France doit déjà revoir son administration et le comportement de certains ambassadeurs. La manière dont, nous français, voyons l’immigration, a stigmatisé nos amis africains. Il y a des changements administratifs qui doivent être mis en place et c’est de la responsabilité du Président. Du côté africain, à l’instar de présidents comme Patrice Talon, on sent qu’il n’y a plus du tout cette volonté d’être « des employés de la France » comme à l’époque de la « France-Afrique ».
Une relation se tisse à deux et il est bien que l’Afrique aussi commence à expliquer les choses différemment car tout ne peut pas venir que de la France. Pour finir, la France ne peut pas rompre avec l’Afrique car, l’Afrique c’est une histoire française. C’est ce dont parle le Président Macron quand il évoque « la part d’africanité » des français. Aujourd’hui en France il y a de vrais problèmes identitaires alors qu’il faudrait de manière apaisée pouvoir se sentir à la fois breton et africain.
Un travail de réflexion est nécessaire sur – et je n’aime pas ce terme – « la diaspora ». C’est un terme qui doit être beaucoup plus élargi car en France ce sont des français qui sont binationaux, qui ont des liens plus qu’intellectuels ou affectifs avec le continent et en Afrique, ce sont aussi des français bien « blanc » qui vivent sur le continent depuis des générations. C’est un gros challenge mais on ne peut pas reprocher au Président de ne pas essayer.