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RDC : Pourquoi la crise du M23 au Congo perdure-t-elle ?

21 juin 2023
15 min

Malgré le démenti du Rwana, les experts de l’ONU continuent de présenter des preuves du soutien actif de Kigali au mouvement armé du M23 dans l’est de la RDC. Le lundi 19 juin, le groupe d’experts sur le Congo a présenté au Conseil de sécurité son rapport final après une année d’enquête. Dans la continuité des précédents rapports, et notamment le rapport intermédiaire de décembre, les experts onusiens affirment avoir collecté des éléments supplémentaires qui prouvent l’implication des Forces armées rwandaises dans le Nord-Kivu. Judith Verweijen, professeure adjointe au département des relations internationales de l’Université de Groningue ( Pays-Bas) et Christoph Vogel, directeur de recherche du projet Insecure Livelihoods à l’Université de Gand (Belgique) analysent les origines profondes de la crise.

Combattants du M23
Combattants du M23

Il est essentiel que tous les gouvernements concernés s’abstiennent de soutenir ou d’utiliser des groupes armés. Le gouvernement rwandais doit immédiatement cesser tout soutien direct ou indirect au M23. Le gouvernement congolais, quant à lui, devrait mettre fin à toute collaboration entre l’armée congolaise et les FDLR”.

Aux origines de la crise du M23

En octobre 2021, le mouvement du 23 mars (M23) a relancé sa campagne d’insurrection dans l’est de la République démocratique du Congo (RDC), un pays qui, depuis 30 ans, connaît des itérations de conflits avec des groupes armés. Vaincu en 2013, le M23 s’est reconstitué et a rapidement remporté des victoires territoriales décisives dans l’est du pays, près des frontières du Rwanda et de l’Ouganda. La crise qui s’en est suivie a été alimentée par des tensions géopolitiques de longue date entre la RDC et le Rwanda et a déplacé plus de 900 000 personnes, provoquant une situation humanitaire désastreuse.

Parallèlement à la montée soudaine du M23, les relations diplomatiques entre Kinshasa et Kigali se sont fortement dégradées. Depuis janvier, le Rwanda a proféré des menaces voilées d’intervention officielle sur le sol congolais et a tiré sur un avion de chasse congolais, tandis que la RDC a engagé des mercenaires d’Europe de l’Est, enrôlé une “force de réserve” composée de milices et rallié des groupes armés en tant qu’auxiliaires.

La Communauté des États de l’Afrique de l’Est dans le jeu

L’organisation régionale East African Community (EAC – la communauté des États de l’Afrique de l’Est) a été le fer de lance des efforts de sortie de crise, aux côtés de l’Angola (la RDC a rejoint l’EAC en mars 2022, devenant ainsi son septième membre). Pourtant, les différents cessez-le-feu que l’organisation régionale a négociés ont été violés presque immédiatement après leur annonce. Une force régionale de l’EAC a finalement été déployée en avril de cette année et a pour mandat de veiller au respect du dernier cessez-le-feu et de superviser le retrait promis du M23 de certaines zones.

Si la situation militaire s’est quelque peu apaisée, l’impasse politique s’éternise. Le conflit a été entretenu par des jeux de blâme, une diplomatie inefficace et la négligence des dynamiques structurelles du conflit – en particulier, les tensions géopolitiques récurrentes et la guerre par procuration dans la région des Grands Lacs, ainsi que le faible engagement de l’État congolais à répondre aux griefs et à la manipulation des élites qui favorisent la prolifération des groupes armés. L’impasse actuelle est marquée par des récits radicalement différents sur les origines du conflit diffusés par le M23, Kigali et Kinshasa et leurs partisans respectifs.

Le M23 insiste depuis longtemps pour que ses revendications politiques soient prises en compte, comme le prévoit l’accord qu’il a signé en décembre 2013 avec le gouvernement congolais, à la suite d’une défaite militaire qui a poussé ses commandants et ses troupes à fuir vers l’Ouganda et le Rwanda. Ces demandes sont centrées sur la garantie d’un retour en toute sécurité de ses membres en RDC et sur la fin de la discrimination contre les Tutsis congolais, notamment en encourageant le retour des réfugiés tutsis congolais des pays voisins.

En 2017, l’absence de mise en œuvre de cet accord a incité la partie ougandaise du groupe, dirigée par Sultani Makenga, à retourner en RDC. Curieusement, le groupe est resté largement en sommeil et semblait se contenter de contrôler une petite zone perchée entre les volcans de l’est de la RDC.

Pourquoi, alors, le M23 a-t-il commencé à intensifier ses attaques à la fin de l’année 2021 ?

RDC M23
Des combattants du Mouvement M23

Le groupe affirme avoir été attaqué soudainement par l’armée congolaise, après que Kinshasa a déclaré la loi martiale dans les provinces du Nord-Kivu et de l’Ituri en mai 2021, dans le but de vaincre tous les groupes armés qui n’adhéreraient pas volontairement à un nouveau programme de démobilisation. Cette déclaration faisait suite à l’échec des efforts déployés pour résoudre les problèmes en suspens avec le gouvernement, qui avait secrètement accueilli une délégation du M23 à Kinshasa depuis le milieu de l’année 2020. Cependant, la délégation n’a jamais été reçue par les représentants du gouvernement, ce qui a provoqué la colère du M23.

Kinshasa, qui a publié en décembre 2022 un livre blanc documentant le soutien rwandais au M23, avance une explication très différente de la résurgence du M23. Il rejette carrément la faute sur l’ingérence du Rwanda, suivant une tendance plus longue de parrainage rwandais des insurrections dans l’est de la RDC. Des observateurs indépendants, y compris des experts de l’ONU, ont en effet documenté un important soutien rwandais au M23, y compris des transferts d’armes et de munitions, la facilitation du recrutement, et même un soutien direct au combat par les Forces de Défense du Rwanda (RDF).

Cette implication – à la fois historique et actuelle – découle d’une combinaison d’intérêts sécuritaires, politiques et économiques, tout en s’appuyant sur l’échafaudage idéologique de l’idée du “Grand Rwanda”. Cette notion fait référence aux représentations historiques contestées du royaume rwandais précolonial qui s’étendait dans certaines parties de la RDC actuelle, y compris les régions habitées par des populations parlant le kinyarwanda (Hutu et Tutsi) qui partagent une langue commune avec le Rwanda.

Dans sa lutte contre le M23, la RDC a ébranlé Kigali en renouvelant son partenariat avec les Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR), l’un des nombreux groupes armés avec lesquels les militaires congolais mènent des opérations sur le terrain. Les FDLR constituent un problème de sécurité majeur pour le Rwanda et trouvent leur origine dans l’ancienne armée rwandaise dominée par les Hutus et les milices Interahamwe qui ont perpétré le génocide contre les Tutsis en 1994. Bien que leur puissance militaire ait considérablement diminué au cours des dernières décennies, les FDLR continuent de recruter et de véhiculer l’idéologie du génocide. Le Rwanda perçoit donc les FDLR comme une véritable menace pour sa sécurité, même s’il est également accusé de gonfler cette menace pour des raisons d’opportunisme politique.

Les relations entre Kigali et Kinshasa sont également façonnées par l’intérêt considérable du Rwanda pour le commerce transfrontalier avec la RDC. L’est de la RDC est une destination clé pour les exportations informelles et non-marchandes du Rwanda, tandis que les exportations de la RDC vers le Rwanda sont principalement des minerais de contrebande, qui sont ensuite officiellement réexportés. Alors que l’économie du Rwanda s’est diversifiée depuis la forte dépendance aux minerais du Congo pendant la deuxième guerre du Congo (1998-2003), ces minerais, en particulier l’or, restent une source importante de devises étrangères pour un pays dont le déficit commercial est considérable.

Le rapprochement entre l”Ouganda et la RDC mal vu par le Rwanda ?

Toutefois, à la fin de 2021, le Rwanda a estimé que son influence dans l’est de la RDC diminuait en raison d’un rapprochement entre la RDC et l’Ouganda – un pays avec lequel le Rwanda a entretenu des relations instables au cours des dernières années. Kampala a conclu un certain nombre d’accords avec Kinshasa, notamment en matière d’infrastructures et d’exploitation d’or qui ont conduit à une concurrence directe avec le Rwanda. Alors que l’accord sur l’or semble saper les projets du Rwanda de devenir une plaque tournante pour le raffinage et l’exportation de l’or dans la région, le programme d’infrastructure comprenait la réhabilitation de la route Goma-Rutshuru – un tampon de sécurité important pour le Rwanda, car elle traverse directement ce qu’il considère comme son arrière-cour historique. Parallèlement, l’Ouganda a lancé une opération militaire conjointe avec l’armée congolaise. Visant ostensiblement les Forces démocratiques alliées (ADF), une insurrection islamiste d’origine ougandaise, l’opération “Shujaa” s’est toutefois révélée être principalement destinée à sécuriser les travaux routiers.

En 2020, la collaboration tacite entre le Rwanda et Kinshasa qui avait permis au Rwanda de mener des opérations secrètes contre les FDLR depuis 2015, à la fois directement et par l’intermédiaire de mandataires, s’est effondrée. Coincé entre la pression économique et les préoccupations sécuritaires, Kigali a eu recours à la stratégie éprouvée qui consiste à obtenir un effet de levier en soutenant l’insurrection. Il s’agit d’un schéma bien ancré dans la région des Grands Lacs, où le Rwanda, l’Ouganda et le Burundi ont tous eu recours au soutien de groupes armés opérant dans l’est de la RDC comme moyen de combattre par procuration et de traquer leurs ennemis respectifs. Ce modèle régional de guerre par procuration recoupe parfaitement le système de politique armée et de guerre par procuration propre à la RDC, qui est façonné par un État congolais axé sur les réseaux d’élite et l’extraction des richesses des citoyens.

Alors que Kinshasa et Kigali ont adopté une position intransigeante et font preuve d’un engagement limité pour résoudre leurs différends, les efforts visant à résoudre durablement la crise du M23 devront, dans une certaine mesure, apaiser les inquiétudes de toutes les parties prenantes. Si certains estiment que les performances catastrophiques de l’armée de la RDC dans la lutte contre le M23 placent Kinshasa en position de faiblesse dans les négociations, d’autres soutiennent que la RDC ne devrait pas céder aux exigences qui lui sont imposées par la rébellion. Pourtant, les mesures concrètes visant à désamorcer les tensions ne devraient pas être vues comme jeu à somme nulle comme les partisans de la ligne dure le suggèrent.

Comment sortir de la crise ?

Il est essentiel que tous les gouvernements concernés s’abstiennent de soutenir ou d’utiliser des groupes armés. Le gouvernement rwandais doit immédiatement cesser tout soutien direct ou indirect au M23. Le gouvernement congolais, quant à lui, devrait mettre fin à toute collaboration entre l’armée congolaise et les FDLR. Par ailleurs, alors que certains affirment que le M23 ne fait qu’invoquer le sort de la communauté tutsi congolaise comme un écran de fumée, la situation de cette communauté s’est considérablement détériorée depuis le début du conflit. Kinshasa doit donc prendre des mesures énergiques pour garantir sa sécurité, notamment en permettant le retour des réfugiés et en s’attaquant à la xénophobie de longue date qui vise cette communauté.

Les enjeux économiques sont plus délicats. Alors que certains observateurs soutiennent que la paix peut être obtenue par l’intégration et la collaboration économiques, d’autres pensent qu’en raison de la faiblesse de son climat d’affaires, la RDC sera perdante d’une intégration plus poussée. Mais surtout, les deux pays et la région des Grands Lacs dans son ensemble devraient travailler à l’harmonisation fiscale, car l’inégalité des régimes fiscaux reste un facteur clé de la contrebande.

Pour que la diplomatie reprenne son élan, les acteurs régionaux devraient coordonner leurs efforts. L’EAC a lancé un processus de paix à deux volets, dans lequel le Kenya, qui espère bénéficier de l’adhésion récente de la RDC à l’EAC, joue un rôle crucial. Le processus consiste à déployer la force de la l’EAC et à organiser un dialogue avec les groupes armés congolais à Nairobi.

Cependant, ces deux initiatives sont confrontées à des problèmes. Le dialogue de Nairobi n’inclut pas le M23 – Kinshasa l’a désigné comme “terroriste” et refuse de négocier avec lui s’il ne désarme pas. Cette position est en accord avec les opinions d’une grande partie de la population de la RDC – qui considère le M23 comme une marionnette rwandaise – et reflète la stratégie de rassemblement autour du drapeau congolais du président Félix Tshisekedi en vue des élections présidentielles prévues en décembre 2023.

La force de l’EAC n’a pas été en mesure de sortir de l’impasse politique, bien que l’objectif principal de son déploiement militaire ait été de faciliter les solutions politiques. Malgré les demandes répétées de Kinshasa, la force a refusé d’attaquer militairement le M23 afin de ne pas contrarier le Rwanda, un État membre de l’EAC. Kinshasa se méfie donc profondément de la force est régionale et aurait entravé ses activités, notamment en incitant à l’intimidation contre son commandant sortant. Il a également demandé à l’EAC de modifier le mandat de la force et plaide actuellement pour sa dissolution, estimant qu’elle a échoué dans sa mission de faire pression sur les groupes armés pour qu’ils adhèrent au processus de Nairobi.

Déçu par l’EAC, Kinshasa s’est tourné vers la Communauté de développement de l’Afrique australe (SADC), dont certains membres ont une attitude plus critique à l’égard du Rwanda. En mars de cette année, l’Angola a autorisé le déploiement de 500 soldats en RDC dans le cadre d’un accord bilatéral avec Kinshasa pour former une sorte de “force témoin” chargée de superviser la mise en œuvre de la feuille de route de Luanda parrainée par l’Union africaine. Plus important encore, le 8 mai, la SADC a annoncé qu’elle déploierait une force offensive dans l’est de la RDC avec pour mandat de combattre les groupes armés, y compris le M23. Il n’est toutefois pas encore clair si cette force opérera seule ou sous la forme d’une Brigade d’intervention des forces ravivée sous la bannière de la MONUSCO, l’opération de maintien de la paix des Nations unies (ONU) en RDC. Cette cacophonie montre les limites de la diplomatie régionale et la façon dont elle reste façonnée par des considérations géopolitiques.

Pour les acteurs internationaux, en particulier l’Union européenne (UE), les États-Unis (US) et l’ONU, le processus serait facilité s’ils agissaient de manière plus cohérente et concertée. La décision de l’UE de fournir 20 millions d’euros pour le déploiement des Forcés armées rwandaises au Mozambique, est intervenue en même temps que les rapports de l’ONU sur le soutien du Rwanda au M23 et a donc sapé les efforts diplomatiques et la crédibilité de l’UE dans la région. Les informations faisant état d’un plan de l’UE visant à soutenir l’armée congolaise avec le même montant soulèvent à leur tour la question de savoir si le renforcement des capacités militaires des deux côtés de manière égale rapprochera la paix. En outre, si les États-Unis et plusieurs États membres de l’UE ont condamné le soutien du Rwanda au M23, aucun n’a pris la décision de suspendre l’aide, comme cela avait été le cas lors de crises précédentes. Pour sa part, l’ONU, qui maintient toujours une force de maintien de la paix importante en RDC, devrait cesser de ressasser les thèmes éculés des ressources naturelles et reconnaître plutôt le caractère profondément politique de la crise. En outre, elle devrait essayer de tirer parti de l’influence politique qui lui reste pour s’assurer que les divers déploiements militaires restent axés sur la protection des civils.

Même si un accord de paix est finalement conclu, sa mise en œuvre à long terme ne peut réussir que grâce à un engagement politique soutenu de la part de tous les acteurs impliqués, y compris la détermination des pays voisins à cesser de mener des guerres par procuration sur le sol congolais. Si l’on considère trois décennies de conflit, de plus en plus alimenté par l’héritage de problèmes antérieurs non résolus, on constate que les accords de paix – tels que l’accord de 2013 avec le M23 – sont généralement restés sur le papier. Non seulement les problèmes structurels à l’origine de la violence n’ont pas été abordés, mais la non-application des accords a souvent entraîné une recrudescence de la violence en raison des griefs qui en découlent. De profonds efforts politiques seront nécessaires pour briser ce cercle vicieux.

Le texte original de cet article a été publié en Anglais sur le site The Global Observatory par :

Judith Verweijen : Professeure adjointe au département des relations internationales de l’Université de Groningue ( Pays-Bas)

Christoph Vogel : Directeur de recherche du projet Insecure Livelihoods à l’Université de Gand ( Belgique)