Si les putschistes qui ont pris le pouvoir ne libèrent pas le président élu Mohamed Bazoum, la Cédéao menace de conduire une intervention militaire de la Cédéao dans le pays pour rétablir l’ordre constitutionnel. Si cette intervention devait avoir lieu, serait-elle la première intervention militaire de l’histoire de l’organisation ou y a-t-il eu de précédentes interventions militaires de la Cédéao ? Et de quelles bases juridiques dispose la communauté ouest-africaine pour recourir à la force dans un pays membre ? Tama Média vous fait le point.
Lundi 24 juillet, Mohamed Bazoum a procédé, avec faste, au lancement de la première phase de développement routier de Niamey afin de « propulser » la capitale nigérienne « vers de nouveaux horizons ». Deux jours après, le chef de l’État nigérien est séquestré dans sa résidence par la Garde présidentielle sous la houlette du général Abdourahamane Tchiani, auparavant nommé par Mahamadou Issoufou. Ce qui était parti pour n’être qu’un « mouvement d’humeur » a pris les allures d’un coup d’État dans la soirée.
Rapidement, un front international se dresse contre les putschistes. Dans cet esprit, la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao) annonce la tenue d’un sommet extraordinaire de son instance suprême regroupant les présidents des pays membres. Réunis dimanche 30 juillet à Abuja, sous le leadership du chef de l’État nigérian, Bola Ahmed Tinubu, les dirigeants ouest-africains n’y vont pas « avec le dos de la cuillère ». Des sanctions économiques et financières inédites sont prononcées contre le Niger. Quant à la junte, ses membres sont interdits de séjour dans les pays membres de la Cédéao.
Pourquoi intervenir maintenant ?
L’organisation , qui avait jusque-là privilégiée la médiation dans les cas du Mali, de la Guinée et du Burkina Faso où des changements de régime anticonstitutionnels ont été enregistrés en 2020, 2021 et 2022, n’écarte pas cette fois le recours à la force pour rétablir dans ses fonctions un président démocratiquement élu.
Estimant que « l’option d’une intervention de la Cédéao » au Niger « apparaît très sérieuse », Dr Niagalé Bagayoko, la présidente de l’African Security Sector Network (ASSN), trouve « qu’il y va de la crédibilité » du président en exercice de l’organisation régionale. « Bola Tinubu a fait savoir, dès son investiture au Nigeria, sa volonté de ne plus accepter aucun coup d’État dans la sous-région », souligne Dr Bagayoko.
« Il y va aussi de la crédibilité de l’organisation elle-même, qui a beaucoup perdu en aura et légitimité aux yeux des populations ouest-africaines. Elle n’a jamais mis en œuvre son Agenda 2007 qui consistait à passer d’une Cédéao des États à une Cédéao des peuples. Mais aussi elle n’a pas mis en application ses propres textes lorsque des dispositions constitutionnelles ont été violées dans le cadre de ce qu’on peut appeler des coups d’État civils, notamment en Guinée et en Côte d’Ivoire », ajoute Dr Bagayoko. Dans le cadre des rendez-vous traditionnels avec la presse, la ministre sénégalaise des Affaires étrangères, Me Aissata Tall Sall, a expliqué que le durcissement de ton de la Cédéao se justifie par la nécessité de mettre fin aux coups d’État, qualifiant celui survenu à Niamey de coup « de trop ».
Malgré la détermination des dirigeants ouest-africains à opérer une rupture par rapport à Bamako, Ouagadougou et Conakry, l’heure n’est pas encore à l’usage de la force. L’organisation communautaire privilégie la discussion. Dans ce dessein, elle a envoyé à Niamey, dès la fin du sommet de dimanche dernier, un invité surprise, le président tchadien, Mahamat Idriss Deby Itno pour raisonner les putschistes.
Reçu par le numéro deux du CNSP, le général Salifou Modi, le chef de la transition tchadienne a également rencontré le général Abdourahamane Tchiani. Il a aussi eu une entrevue avec l’ancien président du Niger, Mahamadou Issoufou avant d’être autorisé à rencontrer Mohamed Bazoum. A cette occasion, a été prise la première image de ce dernier depuis le putsch des militaires.
À la suite du président tchadien, la Cédéao a envoyé l’ancien président nigérian, Abdulsalami Abubakar accompagné du sultan de Sokoto, pour dialoguer avec les tombeurs de Bazoum. Mais, puisque cette médiation n’a pas encore porté ses fruits, l’option militaire reste une probabilité.
Quelles sont les bases juridiques d’une telle action ?
Si la Cédéao devait être amenée à intervenir militairement au Niger, sur quelles bases le ferait-elle ? « Deux textes fondamentaux, qui ont été actualisés, font référence en termes d’intervention de la Cédéao », fait savoir la présidente de l’ASSN. « C’est en premier lieu le Protocole de 1999 sur la prévention, la gestion, le règlement des conflits, de la sécurité et le maintien de la paix et en second lieu le Protocole additionnel sur la démocratie et la bonne gouvernance adopté en 2001 », précise-t-elle, non sans mentionner que des « organes ont été mis en place par ces textes ».
Il s’agit, selon Dr Bagayoko, du Conseil de médiation et de sécurité, qui est un organe restreint où siègent sept États désignés par leurs pairs, auxquels s’ajoutent les présidents en exercice et le président sortant de l’organisation. Tous sont censés prendre, au nom de l’organisation, des décisions en matière de sécurité.
Pour mener cette opération, pas encore entérinée, la Cédéao mobiliserait sa force en attente. Dans son mémoire de recherche intitulé « La force en attente de la Cédéao face aux défis du respect des droits de l’Homme », Békaye Coulibaly écrit que la création de la force puise sa légitimité dans l’article 58 du Traité révisé de l’organisation communautaire de 1993. Celui-ci dispose que les États s’engagent à œuvrer à la préservation et au renforcement des relations propices au maintien de la paix, de la stabilité et de la sécurité de la région. « De plus, le Protocole relatif au mécanisme de prévention, de gestion, de règlement des conflits, de maintien de la paix et de la sécurité reconnaît le Groupe de contrôle du cessez-le-feu de la Cédéao (Écomog), comme l’un des organes d’appui aux Institutions du Mécanisme », explique le doctorant malien.
L’histoire des interventions militaires de la Cédéao
De l’Écomog à la Force en attente de la Cédéao (FAC)
Créé en 1975, la Cédéao a rapidement constaté que ses objectifs de développement devaient s’adosser à une architecture sécuritaire solide. Dès 1990, appelés Casques blancs, les soldats de l’Écomog (Groupe de contrôle du cessez-le-feu de la Cédéao), sont intervenus au Libéria où Charles Taylor, à la tête du Front national patriotique du Libéria (NPFL, sigle en anglais) tente de renverser Samuel Doe qui dirige le pays par la terreur.
Avec 500 soldats au départ, l’effectif va atteindre 20.000 hommes composés essentiellement de Nigérians. comme le font observer Dr Niagalé Bagayoko et Mouhamadou Moustapha Bâ dans leur étude sur l’« Architecture institutionnelle de paix et de sécurité en Afrique de l’Ouest » publiée en 2020.
La mission de la Cédéao reste au Liberia jusqu’en 1999 avec des résultats mitigés. Le comportement de ses soldats est décrié sur le plan du respect des droits humains. Cela n’empêche pas la Cédéao de poursuivre ses interventions dans les pays membres. En 1997, c’est au tour de la Sierra Leone de recevoir l’Écomog dont le déploiement a été accéléré par le coup d’État de Johnny Paul Koroma, alors président du Conseil révolutionnaire des forces armées contre le président démocratiquement élu, Ahmad Tidiane Kabbah, alors que le conflit dans ce pays ouest-africain était en cours depuis 1991.
L’Écomog se déploie ensuite en Guinée Bissau pour tirer d’affaire Bernardo Vieira dit Nino. Auteur d’un coup d’État en 1980, au préjudice de Lui Cabral, Nino Vieira gouverne jusqu’en 1998. Il échappe à un putsch orchestré par des rebelles conduits par le général Ansumane Mané, mais ne parvient pas à sauver son fauteuil présidentiel. Les conflits s’enchaînent en Afrique de l’Ouest, obligeant l’institution régionale à adapter ses modalités d’intervention.
En 2004, l’Écomog change de nom pour devenir la Force en attente de la Cédéao (FAC) dans le cadre de la mise en place d’une Force africaine en attente (FAA). En 2013, lorsque des jihadistes s’emparent de trois villes du Nord Mali, la force en attente de la Cédéao est impliquée dans le processus de retour de la paix dans le pays. Mais elle n’y reste que trois courts mois avant de passer le flambeau à la Mission internationale de soutien au Mali (Misma) sous la conduite de l’Union africaine. Depuis, la FAC de la Cédéao n’a été appelée à jouer sa partition pour défendre la démocratie qu’une seule fois. C’était en Gambie.
Suite à l’élection présidentielle de décembre 2016, Yahya Jammeh, au pouvoir depuis 1994 après un coup d’État contre Dawda Jawara, refuse de quitter le pouvoir alors qu’il avait, dans un premier temps, reconnu sa défaite face à Adama Barrow, un inconnu de la classe politique gambienne. Sous le leadership du Sénégal, du Nigeria et du Ghana, la démonstration de force de la Cédéao pousse l’ex-dictateur gambien à s’exiler en Guinée équatoriale.
Après cette réussite, la FAC était devenue l’ombre d’elle-même dans un contexte d’extension du terrorisme dans le Sahel, mais aussi dans les pays du golfe de Guinée. Sur les cinq coups d’État qui ont eu lieu dans la région depuis 2020, trois ont pour motif la dégradation de la situation sécuritaire.
En délogeant Ibrahim Boubacar Keïta, en août 2020, les colonels ont notamment invoqué une détérioration de la sécurité au Mali. En janvier 2022, le lieutenant-colonel Paul Henri Damiba a débarqué le président Roch Marc Christian Kaboré pour ses insuffisances dans la lutte contre le terrorisme. Mais lui-même ne fera pas mieux et connaîtra le même sort huit mois plus tard.
Au Niger, les putschistes évoquent le même prétexte alors que le pays était décrit par plusieurs experts sécuritaires comme le bon élève de la lutte contre le terrorisme dans la région.
Prompte à condamner les coups d’État, la Cédéao prend un torrent de reproches à cause de son incapacité à assister les pays confrontés à une insurrection jihadiste. Prenant en considération ces griefs, les dirigeants ouest-africains décident de mettre sur pied une force d’intervention anti-jihadiste, mais « ressuscitent » la force en attente pour mettre un terme aux putschs. Une unité composée de militaires, de policiers et de civils dont l’opérationnalisation n’a jamais été possible après presque cinq ans de léthargie. Quoi qu’il en soit, d’après la cheffe de la Diplomatie sénégalaise, il faut à tout prix « en finir avec les coups d’État ».
Cette fois-ci la Cédéao qui joue sa crédibilité semble vouloir aller jusqu’au bout si une solution négociée n’intervient pas. L’ultimatum se termine ce dimanche !