Dans le cadre de ses plans stratégiques de développement de l’Algérie et pour davantage atténuer la dépendance du pays des marchés extérieurs, le gouvernement algérien et partenaires turcs ont lancé d’âpres projets agricoles dans le désert. Explications.
Les monts dorés se confondent avec les dunes de sable jaune du Sahara. Des camions, roulant en file indienne, déchirent le désert entrant dans des champs de blé à perte de vue : depuis quelques semaines, des vidéos montrant le début de la moisson de céréales dans le désert algérien font le tour de la toile. Les Algériens découvrent avec émerveillement ces énormes quantités de blé récoltées dans ces terres désertiques et inhospitalières du Sud.
Si ces récoltes sont impressionnantes –le rendement avoisine parfois 80 kx l’hectare – c’est grâce aux énormes investissements que l’Algérie a engagés dans le secteur agricole. Très dépendant de l’importation, notamment en ce qui concerne les céréales et le lait, Alger ne casse plus son ambition de parvenir à une autosuffisance alimentaire, déjà acquise dans certaines filières comme les viandes blanches, les fruits et légumes. « Un peuple qui ne produit pas ce qu’il mange n’en est pas un », a souvent insisté le président Abdelmadjid Tebboune, visiblement marqué par la crise céréalière mondiale née de la guerre en Ukraine. Pour cela, les autorités ont mis les bouchées doubles : en plus des projets lancés depuis des années par la société publique Cosider, un groupe diversifié, elles ont fait appel à des investisseurs étrangers.
C’est le cas d’un investissement de Dunaysir du groupe Dekinsan, une entreprise turque qui a déjà dépensé 25 millions de dollars. C’est dans un de ses projets que sont issues les images partagées sur les réseaux sociaux. « Les autorités algériennes ont exprimé leur satisfaction à l’égard du type d’agriculture et de la qualité des récoltes. Le projet lancé à Adrar est en service avec une capacité de seulement 30%. L’objectif est d’atteindre une capacité de 60% après un an et de 100% d’ici 2025 », a confié début mai le président du conseil d’administration du groupe Dekinsan, Kenan Kosen, à l’agence turque Anadolu.
En plus des céréales, les autorités algériennes ont signé un accord avec la société qatarie Bladna pour la production de lait de vache dans la région d’Adrar. Doté d’un montant initial de 3,5 milliards de dollars, ce « projet pharaonique » s’étendra sur 117.000 hectares pour développer une « ferme de production de céréales et de fourrage, une ferme d’élevage de vaches et de production de lait et de viande, ainsi qu’une usine de production de lait en poudre », a précisé à la presse Youcef Cherfa, ministre algérien de l’Agriculture.
Dans la première phase, une ferme sera aménagée pour répondre aux besoins en fourrage, une autre, d’une capacité d’accueil de 50.000 têtes bovines, sera conçue et des lignes modernes de production de lait en poudre, installées. Après neuf ans, le nombre total de têtes bovines devrait atteindre 270.000, avec une production d’environ 1,7 milliard de litres de lait par an.
Diversifier la production
Produire de la tomate industrielle est un des secteurs qui intéressent les autorités algériennes. Souakri, groupe privé algérien, compte ainsi s’associer avec des partenaires italiens pour produire ce légume destiné essentiellement aux marchés européens. « Les essais vont commencer, fin mai, et l’entrée de production est prévue fin octobre 2024. C’est la première serre qui est finalisée, d’autres serres seront réalisées. Nous avons un terrain de 50 hectares. C’est le plus grand projet maraîcher d’Afrique et l’un des plus grands au monde. Nous allons y produire des tomates et tous les produits maraîchers », a indiqué Abdenour Souakri au site TSA (Tout sur l’Algérie). « Notre première serre a une capacité de production de 600.000 tonnes de tomates cerises et nous visons un chiffre d’affaires à l’export de 500 millions de dollars par an. Nous allons exporter nos tomates vers l’Europe et les pays du golfe », a ajouté l’entrepreneur qui assure que le projet va créer au moins 1000 emplois directs.
Ces projets qui se distinguent par leur grande taille ne sont pas révolutionnaires pour autant. Depuis plusieurs années, le désert algérien est devenu le panier des ménages algériens. Des millions de quintaux de fruits et légumes, produits dans des fermes situées dans le Sud-est, inondent les marchés à longueur d’année. Il n’y a pas de chiffre précis, mais le chef de l’État algérien a affirmé récemment que le secteur agricole a produit, en 2023, l’équivalent de 35 milliards de dollars de richesses. Le secteur agricole contribue à 17% au PIB du pays, selon les données de cette année-là de la banque d’Algérie.
En revanche, ces grands projets pharaoniques sont critiqués par des spécialistes qui dénoncent une atteinte à l’environnement. Surtout que dans ces zones arides, les cultures sont irriguées exclusivement par de l’eau puisée dans la nappe phréatique non renouvelable. Or, « la bataille décisive à engager est celle de l’eau et elle ne peut attendre », analyse Saci Belgat, spécialiste de l’Agriculture à l’Université de Mostaganem (Ouest). « À vrai dire, nous ne savons pas trop du niveau de ces nappes et moins encore sur comment les exploiter », a-t-il ajouté. Pour lui, « le mythe d’une agriculture verte en plein désert n’est même pas un rêve ».
À ces questionnements, les autorités, qui ont lancé dès la mi-mai « un recensement général de l’agriculture dans le pays », répondent que ces nappes contiennent des dizaines de milliards de mètre cube (m³) d’eau dont l’épuisement ne pourra se faire que durant de longs siècles.