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[Contribution] Burkina, Mali, Niger : vers de nouvelles coopérations avec la France ?

08 octobre 2024
7 min

Les relations restent encore tendues entre les régimes regroupés au sein de l’Alliance des États du Sahel (AES) et Paris. Mais « l’engagement de la France dans l’éducation, la formation et le développement économique pourrait faire émerger un nouveau modèle de partenariat, à la fois équitable et tenant compte des fléaux passés comme la colonisation et l’esclavagisme ».

Alliance des États du Sahel (Burkina, Mali, Niger) : vers de nouvelles coopérations avec la France ?

Contribution de :  Mehdi ALLAL, fonctionnaire territorial, enseignant en droit constitutionnel et sciences politiques à Paris Nanterre, chercheur à l’université Paris 2, secrétaire-adjoint de l’association des rapporteurs/trices de la CNDA (Arc-en-ciel), membre du club du 21è siècle, bénévole pour l’Entraide amicale solidaire (ESA) 20e et pour l’ONG “La ligue humanitaire”, député de l’État de la diaspora africaine (SOAD)…


Au cours des dernières années, le Sahel a été le théâtre de coups d’État marquants : au Mali en août 2020 et mai 2021, au Burkina Faso en 2022 et, plus récemment, au Niger en juillet 2023. Des mouvements à la dynamique large et redoutable, soutenus par de larges pans de la population : ces événements ont profondément modifié le paysage politique et social de la région, redéfinissant par la même occasion les relations avec la France, ancienne puissance coloniale, ayant gardé certains intérêts bien sentis et bien compris.

Tandis que certains médias ont tendance à caractériser ces événements comme de simples coups de force orchestrés par des juntes militaires, il est crucial d’explorer et de mieux comprendre les dynamiques plus larges à l’œuvre dans ces trois pays du Sahel.

Dès le départ, ces coups d’État ont bénéficié d’un soutien populaire notable, avec la participation de mouvements sociaux, de syndicats et de jeunes militants exprimant leur appui aux nouvelles autorités en treillis. Cela soulève une question fondamentale : pourquoi une partie de la population, souvent laissée de côté par les décideurs, des laissés-pour-compte ou simplement lassés de l’indifférence de l’ancienne puissance coloniale, s’est-elle mobilisée pour ces changements ?

Une opportunité de réévaluer et d’engager une coopération renouvelée

Un refus des entreprises de domination et d’acceptation de la fatalité, d’une certaine forme de fidélité à la facilité de la part des puissances occidentales… La réponse réside en partie dans un rejet croissant des structures de domination qui perdurent dans la région. Depuis des décennies, ses habitants ressentent le poids d’interventions étrangères, souvent perçues comme des instruments de contrôle plutôt que de réelles solutions aux défis locaux.

Cependant, ce contexte offre aussi une opportunité pour la France de réévaluer son rôle et d’engager une coopération renouvelée, fondée sur le respect et l’écoute des aspirations des populations sahéliennes, fondée sur le rejet du racisme dont est victime la diaspora noire issue de ces pays, quel que soit sa destination et ses modalités d’intégration : de la lutte contre les discriminations touchant les plus fragiles jusqu’à des débouchés concrets et utiles pour les postes à responsabilité.

L’écrivaine altermondialiste Aminata Dramane Traoré et d’autres voix critiques ont souligné que les interventions militaires occidentales, bien que souvent motivées par la sécurité, doivent évoluer vers une approche qui privilégie le développement durable et le soutien à l’autonomie locale.

Cela pourrait ouvrir la voie à un partenariat véritablement et mutuellement bénéfique, où la France pourrait jouer un rôle catalyseur dans la mise en place de solutions adaptées aux réalités du Sahel, au réalisme des élites socio-économiques des pays de la région.

Une nécessaire stabilisation dans les pays du Sahel

Face à l’émergence de groupes jihadistes qui exploitent les vulnérabilités des États, il est essentiel de promouvoir des initiatives axées sur l’éducation, la formation et le développement économique.

Ces éléments sont cruciaux pour renforcer la résilience des sociétés sahéliennes et créer des alternatives durables à la violence. En ce sens, la France pourrait participer activement à des programmes de coopération visant à améliorer les conditions de vie, à renforcer les infrastructures et à promouvoir l’entrepreneuriat local, ainsi que la reconversion professionnelle, des programmes à promouvoir de manière impérative.

Le récent retrait des forces françaises du Niger (fin 2023) pourrait être interprété comme une occasion de redéfinir les relations franco-africaines, en permettant à la France de se repositionner en tant que partenaire stratégique et économique, plutôt qu’un acteur militaire imposant des solutions toutes faites, dont les modalités n’ont pas été précisément et préalablement délimitées et définies.

En soutenant l’autodétermination des nations sahéliennes, la France pourrait contribuer à un avenir où les peuples du Sahel se sentent véritablement responsables de leur destin. Pour une large frange de différentes populations du Mali, du Burkina Faso et du Niger, ces coups d’État ne représentent pas seulement une rupture avec un ordre politique jugé défaillant, mais aussi une opportunité d’avancer vers des modèles de développement centrés sur leurs propres besoins et aspirations.

Loin de chercher à imposer des solutions extérieures, il s’agit d’encourager un dialogue véritable et de bâtir des partenariats basés sur la confiance et le respect mutuel, sur une participation financière aux investissements « vertueux » et à l’élévation du capital humain, c’est-à-dire les « sentiers de la croissance » de demain, plutôt que « les sentiers de la gloire » (Stanley Kubrick) éphémères et, parfois, exemplaires et synonymes de carrière à la fois…

Quel rôle pour les organisations internationales, en premier lieu les Nations Unies ?

Les efforts de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao) et d’autres institutions internationales pour rétablir l’ordre démocratique sont essentiels, mais ils doivent également s’accompagner d’une reconnaissance des voix locales et des besoins vitaux des populations. Ce qui se joue aujourd’hui dans cette partie du Sahel va au-delà d’une simple lutte d’influences pour le pouvoir : c’est une quête pour la souveraineté, l’autonomie et un avenir commun.

Les événements récents témoignent d’un mouvement vers une réévaluation des rapports Nord-Sud. Les peuples du Sahel aspirent à une véritable indépendance, tant politique qu’économique, et leurs aspirations doivent être entendues. La France, en adoptant une posture proactive et en se concentrant sur le rôle de la société civile, pourrait jouer un rôle significatif dans ce processus de transformation.

Plutôt que de percevoir les interventions passées comme une nécessité, il est temps de voir dans la coopération un chemin vers la prospérité partagée. L’engagement de la France dans l’éducation, la formation et le développement économique pourrait faire émerger un nouveau modèle de partenariat, à la fois équitable et tenant compte des fléaux passés comme la colonisation et l’esclavagisme.

En mettant de côté les anciennes logiques d’ingérence, nous pouvons aspirer à un avenir où les sociétés du Sahel s’épanouissent en toute autonomie, tout en bénéficiant de l’expertise et du soutien des nations partenaires, de la coopération des nations amies.

Les opinions exprimées dans les contributions et les tribunes ne sont pas forcément celles de la rédaction de Tama Média.