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Cédéao-AES : quelle chance de la médiation séné-togolaise dans la résolution de la crise ?

23 décembre 2024
12 min

Le 28 janvier 2024, quelques mois après la création de l’Alliance des États du Sahel devenue en juillet dernier une Confédération, le Burkina Faso, le Mali et le Niger ont annoncé avec fracas leur retrait « immédiat » de la Cédéao, qu’ils accusent d’être « sous l’influence de puissances étrangères » et de représenter « une menace pour ses États membres et leurs populations ». Mais en vertu de l’article 91 du protocole additionnel de l’institution, il leur a été rappelé que cela ne peut prendre effet qu’un an après sa notification, soit le 29 janvier 2025. En attendant, le dialogue continue bon an mal an.

AES

Le suspens, encore et encore. Près d’un an après le retrait annoncé de leurs États de la Cédéao, les chefs d’État en treillis du Burkina, du Mali et du Niger restent encore campés sur leurs positions. Le 13 décembre, à l’issue d’une rencontre ministérielle à Niamey, les trois pays sahéliens ont de nouveau réaffirmé le caractère « irréversible » de leur décision. Mais deux jours plus tard, à la veille du sommet de la Cédéao à Abuja le 15 décembre, ils ont pris une série de mesures concernant la libre circulation dans l’espace AES des ressortissants et des biens en provenance des pays encore membres de la Cédéao.

« La Confédération des États du Sahel (AES) est un espace sans visa pour tout ressortissant des États membres de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao). Les ressortissants de la cédéao ont le droit d’entrer, de circuler, de résider, de s’établir et de sortir sur le territoire » du Burkina, du Mali et du Niger, mais « dans le respect des textes nationaux en vigueur », est venu marteler le chef de la diplomatie malienne Abdoulaye Diop sur le plateau du journal de 20h de l’ORTM, la télévision publique malienne, qui a vu défiler tant de communiqués de l’AES depuis sa création.

Ce dernier, comme plusieurs autres communiqués lus avant sur le plateau, est signé du désormais général d’armée Assimi Goïta, président de la transition malienne et président en exercice de la présidence tournante de la Confédération.

Oui au droit de rentrer sur les territoires de l’AES sans visa mais le document officiel précise d’emblée que cette décision ne s’applique pas aux « immigrants » jugés « inadmissibles ».

Hormis cette partie, le ton du communiqué parut  mesuré et non « inamical ». Est-ce alors le début d’un apaisement avec la Cédéao ? Certains observateurs de la vie politique de la région ont effectivement perçu cette déclaration comme un possible signe d’ouverture de la part de l’AES envers la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest,  à la veille de son sommet à Abuja au Nigeria.

Cependant, penser qu’il s’agissait d’un signe d’ouverture c’est peut-être mal comprendre les maîtres de l’AES ou être naïf, plaide Mohamed Maïga, directeur du cabinet d’expertise Aliber Conseil.

Il faut garder à l’esprit, dit-il, que la décision de retrait pour l’AES « demeure à ce stade définitive. Il y a une cohérence depuis la création de l’Alliance sur les fondements. C’est-à-dire qu’ il y a une volonté d’aller vers la sécurisation ensemble, une volonté ferme de quitter la Cédéao, une orientation stratégique d’action vers la Russie, la Turquie et la Chine ». Mais à voir si la Cédéao réussira à inverser la tendance.

Les choix justifiés des médiateurs de la Cédéao

bassirou diomaye faye et assimi goita


Depuis l’annonce du départ de la Cédéao des pays de l’AES, plusieurs initiatives de pourparlers ont été déployées pour obtenir leur retour au sein de l’organisation. C’est ainsi que, lors du sommet du 7 juillet, le président sénégalais nouvellement élu a été désigné par ses pairs comme co-facilitateur avec le Togolais Faure Gnassingbé, ce dernier reconnu plus que jamais proche des militaires au pouvoir. Cinq mois plus tard, le 15 décembre, la Cédéao a salué ces « dialogues diplomatiques »,  en les  qualifiant d’« exemplaires » – et tout en prolongeant le mandat des deux négociateurs.

Pour Mohamed Maïga, le Sénégalais est un interlocuteur entendable et respectable aux yeux des dirigeants de l’AES pour  trois raisons : « La première, Bassirou Diomaye Faye vient d’être élu président du Sénégal. Sa désignation comme médiateur est un signe double. D’une part, la Cédéao met en avant sa légitimité toute récente mais également le fait qu’il s’agisse d’un pays voisin très proche du Mali (qui occupe la présidence tournante de l’AES). La seconde, l’intérêt du Sénégal dans cette situation n’est pas conflictuel et ne devrait pas être conflictuel compte tenu de l’importance des transactions commerciales. Le Sénégal est donc un État ayant des intérêts directs dans le fait que les États de l’AES restent dans la grande sphère des États de la sous-région. La troisième, c’est l’histoire entre notamment le Sénégal et le Mali, les deux ont appartenu à un même État fédéral par le passé (en l’occurrence la Fédération du Mali, NDLR). »

S’agissant du président Faure Gnassingbé, à la tête de l’État togolais depuis 2005, date à laquelle il a succédé à son géniteur Gnassingbé Eyadema décédé au pouvoir qu’il dirigeait depuis 1967, il « a démontré son engagement entier auprès des États de l’AES notamment le Mali », souligne-t-il. On se rappelle en effet qu’il a été médiateur dans l’affaire dite des 49 soldats ivoiriens arrêtés à Bamako en juillet 2022 puis libérés en janvier 2023, et que le régime nigérien issu du coup d’État du 26 juillet 2023 l’a également sollicité pour jouer les médiations auprès surtout de la Cédéao alors que les ponts étaient quasiment coupés entre les deux parties. En outre, ajoute M. Maïga, « les deux ministres des Affaires étrangères du Togo et du Mali (Robert Dussey et Abdoulaye Diop) sont très proches tant humainement qu’idéologiquement. » Ce qui fait qu’il y a également « des facilitations possibles » pouvant jouer dans les discussions diplomatiques.

« Ce message aurait dû être prononcé bien plus tôt »

Bien que la médiation séné-togolaise ne soit pas encore parvenue à convaincre les militaires au pouvoir de revenir au sein de la Cédéao, Mohamed note néanmoins qu’« il y a  une évolution et elle est positive ». Il s’explique : « On se rappelle de la situation encore très tendue entre les autorités des États de l’AES et ceux de la Cédéao. Cette situation est révolue grâce d’ailleurs aux médiateurs formels et informels et aussi aux efforts diplomatiques entre les deux bords. On peut parler d’une évolution positive. »

Le 15 décembre, à l’issue de son sommet, la Cédéao a décidé « de fixer la période du 29 janvier au 29 juillet 2025, comme période de transition, au cours de laquelle (leurs) portes resteront ouvertes aux trois pays ». Cette décision est intervenue, outre les démarches diplomatiques en cours, après que le Parlement de l’organisation a plaidé le 11 décembre pour que « la Conférence des chefs d’État et de gouvernement adopte une mesure extraordinaire » prolongeant « le délai de retrait » des pays regroupés au sein de la Confédération de l’AES, « afin de laisser place à de nouvelles réflexions et négociations qui éviteront la désintégration de la Communauté. »

En acceptant cette requête du Parlement, les chefs d’État, « ne souhaitent pas être dans une confrontation avec les États de l’AES ». Mais qu’est-ce qui explique cela ?  « Les raisons sont assez simples, avance-t-il. La première est que ce serait contre-productif et chaotique sur le moyen et long terme dans la mesure où l’interdépendance historique de ces États de l’Afrique de l’Ouest ne le permet pas, ni économiquement, ni politiquement. En simple, ce n’est profitable à personne. L’autre raison est que ce serait un mauvais précédent qui risquerait de faire tache. »

En évitant la confrontation et en s’inscrivant dans une approche qui se veut constructive, poursuit-il, « le message envoyé par la Cédéao aux États de l’AES est un message équilibré et diplomatique, un message qui correspond aux valeurs communes et historiques propres aux États de la sous-région ». Pour lui, « ce message aurait dû être prononcé bien plus tôt, ce qui aurait sans doute permis d’en arriver là. » Avant de relever qu’« en ce sens, c’est tout de même regrettable. »

L’improbable cohabitation Cédéao-AES ?

Tout en laissant une chance aux dialogues diplomatiques, l’organisation (Cédéao) a tenu néanmoins à « réaffirmer son indéfectible adhésion aux dispositions du Protocole additionnel sur la démocratie et la bonne gouvernance, en particulier la tolérance zéro pour tout pouvoir obtenu ou maintenu par des moyens anticonstitutionnels ». Ce qui laisse à penser qu’elle veut se montrer toujours intransigeante sur le respect de ses dispositions juridiques. De l’analyse de Mohamed, « sur la forme, c’est une approche normale. Quand on établit des textes, on doit les respecter. »

Par ailleurs, poursuit-il, « la Cédéao gagnerait à être plus efficace doublement, en mettant en place un véritable outil de veille et de suivi de ce qui se passe au niveau des États membres. » En détails, il explique que « pour appliquer des textes, il faut être outillé, alors qu’elle n’est pas suffisamment outillée pour être efficace ». En conséquence, « les États membres doivent pouvoir trouver des solutions efficaces pré-conflit auprès de la Cédéao si elle veut rester maître de ses textes. » Donc, en résumé, « pour garantir le respect et l’application stricte de ses textes, la Cédéao devra être beaucoup plus prévoyante et beaucoup plus ambitieuse. »

Pour une solution plus pragmatique à la crise, beaucoup plaident pour une cohabitation entre Cédéao et AES, étant donné que l’une n’entrave pas forcément l’existence et le fonctionnement de l’autre, et vice-versa. Autrement dit, il s’agit d’un scénario encore improbable permettant aux trois États de rester dans l’organisation communautaire ouest-africaine, tout en continuant avec les objectifs qu’ils se sont fixés au sein de leur Confédération. « C’est effectivement une possibilité », admet le directeur du cabinet d’expertise Aliber Conseil.

Toutefois, il s’interroge sur la durabilité de cette possible cohabitation pour plusieurs raisons. « Serait-elle durable pour les tensions entre certains États de l’AES et certains États de la Cédéao ? Je pense que ce serait une cohabitation difficile et conflictuelle et donc certainement pas constructive et efficace. La méfiance en ce sens est une blessure assez importante. Maintenant, les enjeux géopolitiques internationaux ne favorisent pas le rapprochement », avance-t-il, reconnaissant que « l’AES est effectivement d’abord un espace sécuritaire et de défense avec des objectifs assez précis ».

Ce faisant, ajoute-t-il, « la Cédéao gagnerait à ce que cette zone en fasse partie. » Car, « le contraire ne lui est pas forcément bénéfique parce qu’elle risque d’être exposée à son tour à des risques de déstabilisations et à une imperméabilité du côté des États de l’AES. C’est une des perspectives prospectives de cette crise régionale. »

Décision aux conséquences surtout et avant tout politiques et administratives

Les deux parties s’activent d’ores et déjà, chacune à son niveau, à réfléchir sur d’éventuelles modalités techniques d’une séparation, malgré la médiation en cours du Sénégal et du Togo. À l’issue de son sommet du 15 décembre, le dernier avant la date du 29 janvier prochain, la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest a indiqué prévoir « une session extraordinaire au cours du deuxième trimestre 2025 pour examiner et adopter à la fois les modalités de séparation et le plan de contingence couvrant les relations politiques et économiques entre » elle et les trois États dissidents.

Le dimanche 22 décembre, au moment où nous nous apprêtions à boucler cet article, le Collège des chefs d’État de l’AES, regroupant le capitaine Ibrahim Traoré et les généraux Assimi Goïta et Abdourahamane Tiani, a publié une déclaration au ton pas moins martial en réaction aux récentes conclusions de la Conférence des chefs d’État et de gouvernement de la Cédéao en ce qui concerne le Burkina, le Mali et le Niger, rejetant ainsi la prorogation de six mois qu’il juge « unilatérale » et affirme par conséquent qu’elle « ne saurait les lier ».

Ce qui revient à conclure sans risque de se tromper que la tension reste vive entre l’institution de l’espace ouest-africain et les autorités en kaki des trois États frondeurs, qui ne donnent toujours  pas l’impression de vouloir revenir sur leur décision aux conséquences surtout et avant tout politiques et administratives pour les populations concernées des deux bords.