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Climat : comment expliquer les inondations meurtrières de ces derniers mois en Afrique de l’Ouest et du Centre ?

12 octobre 2024
8 min

Ces derniers mois, de nombreux pays d’Afrique de l’Ouest et d’Afrique centrale sont confrontés à des inondations ayant causé d’importants dégâts matériels et humains. Au Burkina Faso, au Cameroun, au Tchad, en Guinée, au Mali, au Nigeria et au Niger, selon les estimations de l’Onu, « des déluges d’eau ont ravagé depuis le début de la saison de pluie des régions entières, faisant plus de 1 500 victimes, affectant 4 millions de personnes et déplaçant plus de 1,2 million d’individus ».

Inondations en Afrique : comment expliquer les inondations meurtrières de ces derniers mois en Afrique de l'Ouest et du Centre ?

Par Jean-Charles Kaboré


Dans un entretien accordé à Tama Média, Dr. Aïda Diongue-Niang, climatologue, conseillère technique à l’Agence nationale de l’Aviation civile et de la météorologie (Anacim) au Sénégal et vice-présidente du Groupe de Travail I du GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) de l’ONU, revient entre autres sur les causes de ces intempéries, liées en grande partie selon elle à « une phase active de la mousson » observée cette année et combinée à certains facteurs socio-économiques. Elle explique que, pour y faire face, « au-delà des États, le secteur privé, ainsi que la société civile et la population ont un rôle important à jouer ».

Inondations en Afrique : comment expliquer les inondations meurtrières de ces derniers mois en Afrique de l'Ouest et du Centre ?
Dr. Aïda Diongue-Niang ©️ ResearchGate

Tama Média : Des pays africains, surtout sahéliens, font actuellement face à des inondations sans précédent consécutives à des pluies diluviennes inédites. Comment expliquer cela ?

Dr. Aïda Diongue-Niang : Le système de mousson africaine gouverne les pluies au Sahel. Ce système connaît naturellement des variabilités d’une année à l’autre au sein de la saison des pluies. Nous assistons actuellement à une phase active de la mousson, avec une succession d’événements pluvieux favorisée par une configuration de l’océan Atlantique propice à la remontée de l’humidité dans le Sahel.

En outre, des facteurs socio-économiques liés à la modification de l’usage des sols, ainsi que des canalisations insuffisantes et non adaptées à l’exposition démographique, de même que l’exposition des populations dans des zones inondables, concourent aux phénomènes des inondations.

Les inondations ne nous sont pas étrangères, mais celles de cette année sont particulièrement violentes avec des dégâts humains et matériels importants. C’est dû à quoi ?

Cette année, nous assistons à une mousson intense. Il faut noter que le changement climatique exacerbe les variations de la mousson. En outre, une atmosphère plus chaude, liée au réchauffement climatique, est capable de retenir environ 7 % de plus de vapeur d’eau pour chaque degré de température additionnel. Ce surplus d’humidité est restitué lors des événements pluvieux, rendant ainsi les pluies plus torrentielles. Il faut également noter que l’impact des pluies torrentielles dépend des facteurs socio-économiques, qui peuvent causer des inondations plus ou moins importantes.

Quid de l’urbanisation fulgurante et de l’expansion anarchique de nos villes dans cette situation ?

L’urbanisation mal planifiée est un facteur additionnel de risque d’inondation. Les routes imperméabilisent les sols et accroissent le ruissellement vers les points bas, empêchant ainsi l’infiltration de l’eau. L’urbanisation doit tenir compte des voies d’eau et des réseaux hydrographiques des villes.

L’installation anarchique des populations sur les voies d’eau et les berges des fleuves, avec comme corollaire la destruction de la végétation naturelle, accroît également le risque d’inondation. Il y a eu des exemples où des villes sont planifiées en tenant compte des exutoires pour les eaux de pluie et du réseau hydrographique. Il a été démontré que cette planification permet de réduire les risques d’inondation.

Que doivent faire les États pour faire face à ces phénomènes climatiques de plus en plus extrêmes ?

En ce qui concerne les États, il y a des actions à plusieurs niveaux. Le premier niveau concerne les négociations climatiques. Il faudrait qu’il y ait une action climatique pour une baisse rapide et soutenue des émissions mondiales de gaz à effet de serre dans les différents secteurs d’activité. C’est le seul levier qui permet de réduire la fréquence et l’intensité des pluies torrentielles. Plus il y a d’émissions de gaz à effet de serre, notamment de CO2, plus le réchauffement mondial est important.

Nous avons montré que pour chaque degré additionnel de température, les changements dans les paramètres moyens du climat, mais surtout des extrêmes, sont plus prononcés et plus étendus, avec des différences régionales accrues.

Deuxièmement, les États ont également un rôle important à jouer au niveau local pour réduire les niveaux de vulnérabilité, avec des mesures d’adaptation, des systèmes d’alerte précoces, suivis d’actions rapides. Ces mesures et actions doivent être basées sur des connaissances scientifiques locales, une planification réfléchie et une coordination entre les différents secteurs pour éviter une mauvaise adaptation ou un faux sentiment de sécurité.

Au-delà des États, le secteur privé, ainsi que la société civile et la population ont un rôle important à jouer.

Les populations, comment doivent-elles agir pour se prémunir de ces phénomènes ?

Les populations peuvent agir en réduisant leurs émissions de manière générale. En Afrique, les émissions par habitant sont très faibles par rapport au reste du monde. Cependant, il faut noter qu’une certaine classe sociale commence à avoir des émissions plus élevées.

Un autre aspect concerne la réduction de la vulnérabilité et de l’exposition aux phénomènes extrêmes. Pour les inondations, par exemple, il faut éviter de s’installer dans les zones inondables et adopter un comportement citoyen pour l’évacuation des eaux. Pour ce faire, une sensibilisation est nécessaire.

En ce qui concerne les extrêmes de température, il faut éviter de sortir à certaines heures, boire beaucoup d’eau et planter des arbres pour rafraîchir l’atmosphère. Ce sont des mesures que les populations peuvent facilement prendre si elles sont sensibilisées.

Qu’en est-il des projections sur l’évolution de ces phénomènes dans les décennies à venir pour l’Afrique de l’Ouest ?

Concernant l’évolution des phénomènes extrêmes, les projections climatiques futures dépendent des scénarios d’émission de gaz à effet de serre. Il existe des scénarios de faible émission, des scénarios intermédiaires correspondant à notre trajectoire actuelle, et des scénarios d’émissions fortes et très élevées. Pour les 20 prochaines années, nous observerons une augmentation de ces extrêmes climatiques partout, y compris en Afrique de l’Ouest. Après cette période, l’évolution de ces phénomènes extrêmes divergera selon les scénarios d’émissions.

Ces extrêmes incluent la chaleur excessive, y compris la chaleur humide qui est très délétère pour la santé humaine, les événements de pluies torrentielles, ainsi que les sécheresses météorologiques et écologiques liées à l’évaporation excessive due à la chaleur. Ces sécheresses favorisent également les feux de brousse. Il y a aussi les niveaux marins extrêmes, les vagues de chaleur marine et d’autres phénomènes extrêmes.

« Une réduction des émissions permettra de ralentir ces changements et de gagner du temps pour mettre en place des mesures d’adaptation et de protection. »

Pour les vingt prochaines années, nous pouvons agir sur les niveaux de vulnérabilité. Les impacts et les risques climatiques dépendent à la fois des aléas climatiques et des facteurs socio-économiques, tels que la vulnérabilité et l’exposition des populations, des écosystèmes et des infrastructures. Cependant, les efforts pour réduire ces facteurs socio-économiques ne suffiront pas à réduire les risques dans les 20 ans à venir.

Au-delà de cette période, l’incidence des phénomènes extrêmes dépendra des choix que l’humanité fera concernant les émissions de gaz à effet de serre. Si nous continuons sur la même lancée, les changements s’intensifieront avec plus d’événements extrêmes. Si nous accélérons la réduction des émissions de manière soutenue dans tous les secteurs, il y aura moins d’événements extrêmes dans la deuxième moitié du siècle. Compte tenu du temps de réponse du climat, il est crucial de commencer à réduire rapidement les émissions dès cette décennie et de continuer dans les années suivantes pour atteindre la neutralité carbone mondiale. Cela permettra d’éviter les événements extrêmes dans la deuxième moitié du siècle.

En revanche, certains changements, comme la montée du niveau des océans et la fonte des glaciers, sont irréversibles pour les millénaires à venir. Ces processus sont déjà enclenchés et continueront pendant plusieurs millénaires. D’où la nécessité de mettre en place des mesures d’adaptation pour les zones côtières. Plus les émissions seront importantes, plus ces changements irréversibles seront rapides. Une réduction des émissions permettra de ralentir ces changements et de gagner du temps pour mettre en place des mesures d’adaptation et de protection.