Avec les instabilités politiques en Afrique de l’Ouest ou ailleurs sur le continent, le concept du panafricanisme est aujourd’hui sur toutes les lèvres, notamment chez certains activistes ainsi que dans des discours politiques au Mali et au Burkina. Pour en savoir davantage sur ses orientations actuelles, l’équipe de Tama Média est allée à la rencontre de Dr. Hamadoun Hassèye Touré, enseignant-chercheur à l’Université des Lettres et des Sciences Humaines de Bamako (ULSHB), Maître de conférences en Sciences de l’éducation et titulaire d’un Doctorat en philosophie et études africaines qu’il enseigne au département de philosophie de la faculté des sciences humaines et des sciences de l’éducation (FSHSE) de l’ULSHB. Grand entretien.
Tama Média : comment le concept de panafricanisme doit être compris de nos jours après plusieurs décennies d’indépendance ?
C’est une idéologie, un projet. On ne peut pas dire d’emblée : voilà un modèle parfait de panafricanisme que tout le monde doit adopter. Dès le début d’ailleurs, le Ghanéen Kwamé Nkrumah [cf. Le Consciencisme, éd. Présence Africaine] qui est, pour ainsi dire, l’importateur du panafricanisme, s’était heurté à de nombreuses difficultés. Le concept en tant que tel doit être compris dans le sens de l’unité africaine. Mais à quel prix ? De quelle manière ? Tout le monde est unanime que si l’Afrique est unie, nous devenons forts.
Quelles sont ses orientations actuelles et en parlant toujours d’unité africaine ?
Puisqu’on n’arrive pas à réunir tous les États africains malgré la création en mai 1963 de l’Organisation de l’unité africaine (OUA) devenue en juillet 2002 l’Union africaine (UA), on va vers des sous-regroupements régionaux. Ça, c’est une réalité : nous avons la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao), la Communauté économique et monétaire de l’Afrique Centrale (Cemac), la Communauté d’Afrique de l’Est (CAE), l’Union du Maghreb Arabe (UMA) entre autres [ils sont une quinzaine]. C’est-à-dire qu’au niveau de chaque sous-région de l’Afrique, il y a des regroupements qui s’occupent des grands problèmes de cet espace, qui interviennent notamment en cas de conflit ou dans le cadre humanitaire. Lorsqu’un soldat ivoirien vient intervenir au Mali ou au Burkina ou dans un autre pays africain, c’est toujours dans le cadre du panafricanisme. Qu’on ait, par exemple, une université que ce soit à Abidjan [en Côte d’Ivoire] ou à Dakar [au Sénégal], qui reçoit des étudiants de toute l’Afrique, c’est du panafricanisme.
Sur le plan sportif, nous avons plusieurs initiatives qui vont dans ce sens comme la Coupe d’Afrique des Nations (la CAN) et le Championnat d’Afrique de basket-ball. Sur le plan musical, artistique et culturel, nous avons, par exemple, en Côte d’Ivoire la Biennale internationale des arts naïfs qui regroupe quasiment tous les Africains — c’est une rencontre d’artistes dont les arts ne respectent pas les normes conventionnelles des écoles de beaux-arts qui viennent y exposer leurs œuvres. Ou encore, toujours en Côte d’Ivoire, le festival des musiques urbaines d’Anoumabo [FEMUA] où les organisateurs invitent d’autres artistes africains comme c’était le cas de l’artiste congolais Papa Wemba, [décédé sur scène le 24 avril 2016 suite à un malaise]. C’est dire que sur le plan musical, artistique et culturel, les frontières sont bannies. Mais il ne faut pas se leurrer, si nous voulons être unis comme les États-Unis d’Amérique, il nous faut une unité linguistique, une unité monétaire, une unité politique : un seul président pour toute l’Afrique. Voilà, c’est ce qui pose énormément de problème. Pour y parvenir, il nous faut assainir dans chaque pays les formes de gouvernance. Si on ne gère pas notre propre territoire, comment on va s’unir avec les autres ?
Ce qui m’amène à vous poser une autre question : certains activistes sur les réseaux sociaux, se revendiquant panafricanistes, soutiennent à raison ou à tort que le problème de l’Afrique c’est l’Occident alors que d’autres pensent au contraire que la responsabilité est avant tout africaine ou du moins partagée. Quel est votre avis sur ce débat en tant que spécialiste en études africaines ?
Ces activistes dont vous parlez comme les Kemi Seba et Nathalie Yamb sont des gens isolés qui agissent à leurs noms propres. Leur combat n’est pas inutile, il faut le reconnaître, ils ont leurs adeptes qui les écoutent. Ils savent qu’ils vont toujours dans le même sens de l’unité de l’Afrique… Mais à quel prix ? De quelle manière ? C’est pourquoi je vous disais tantôt qu’il n’y a pas un modèle parfait de panafricanisme et, par conséquent, il doit être compris dans le sens de l’unité africaine. Tout n’est pas échec, il y a eu des réalisations et des initiatives dans ce sens comme la ZLECAF [la zone de libre-échange continentale africaine] qui est toujours en état de projet.
S’agissant du débat « extérieur-intérieur », je ne vais pas jusqu’à dire que c’est un faux débat. Je dirais plutôt : mettons l’accent sur notre gouvernance d’abord. On ne peut pas vivre sans partenaires. Qu’ils soient chinois, japonais, français, russes, américains ou autres, on ne peut pas vivre en autarcie. Je vous donne un exemple : nous avons pour le moment la matière première, mais pour la transformer, nous sommes obligés d’aller ailleurs. Comment transformer maintenant ces matières premières chez nous-mêmes, dans nos pays ? C’est la gouvernance, l’industrialisation.
« Certains ont encore peur de prendre leurs responsabilités »
En échangeant avec l’extérieur, il faut prendre en compte d’abord l’intérêt de nos peuples africains. C’est-à-dire que si quelqu’un vient exploiter l’or malien ou le cacao ivoirien, par exemple, il ne faut pas qu’il parte avec plus de 50%. Cela doit être moitié-moitié au moins, plus les intérêts et les taxes qu’il faut payer. Donc il faut dire qu’il y a une nécessaire interaction entre nous et l’extérieur. Nous agissons sur eux, ils agissent sur nous. Dans les partenariats, il faut qu’il y ait un vrai partenariat gagnant-gagnant. Pour ce faire, nous devons revoir certains de nos accords avec nos partenaires.
Bien que l’extérieur agisse sur nous, je crois que nous avons la possibilité de sauvegarder nos intérêts. Parce que quand il y a des soulèvements dans nos pays, ce n’est pas l’extérieur qui vient mettre fin à cela. “Intérieur et extérieur”, nous sommes obligés de collaborer. Et les influences continuent parce que tout simplement dans la gouvernance certains [dirigeants] ont encore peur de prendre leurs responsabilités.