[Grand entretien avec Khaled El-Enany, candidat égyptien à la Direction générale de l’UNESCO] :
Archéologue, ancien ministre égyptien du Tourisme et des Antiquités, Khaled El-Enany est candidat à la direction générale de l’UNESCO. Fort du soutien de l’Union africaine et de la Ligue arabe, il sillonne le monde depuis deux ans pour convaincre les États membres. Face à deux concurrents issus de l’organisation, l’universitaire revendique une candidature fondée sur l’écoute et le dialogue.
Dans ce grand entretien, il revient sur ses engagements, ses priorités et sa méthode. A quelques mois du vote décisif prévu en octobre, il réagit également à la candidature de dernière minute d’un autre africain : le Congolais Firmin Edouard Matoko. Les propos ont été recueillis lors d’un petit-déjeuner de presse à Paris. Ce jour-là Khaled El-Enany arrive tout sourire accompagné de son équipe de campagne et de communication. Nous sommes au lendemain du Grand oral lors duquel lui et ses deux concurrents ont tenté de séduire les représentants des pays membres de l’UNESCO au siège parisien. Alors a-t-il convaincu ? Est-il satisfait de ce Grand oral ? Polyglotte, c’est en français que l’universitaire égyptien décline son programme qu’il a conçu dit-il au gré d’un long périple entamé il y a deux ans à travers les pays membres de l’UNESCO. Il a déjà fait 47 pays. Et la liste devrait s’agrandir d’ici la tenue de l’élection. Nous livrons ici les principales questions auxquelles il a répondues lors du petit-déjeuner de presse.
Vous êtes l’un des trois candidats à la succession d’Audrey Azoulay à la tête de l’UNESCO. Et vous êtes en campagne depuis deux ans, pourquoi ?
Khaled El-Enany : Parce que cette mission ne s’improvise pas. Cela fait deux ans que je me prépare. J’ai rencontré plus de 200 délégations dans le monde, visité 47 pays, j’ai dialogué avec les acteurs du système multilatéral, les sociétés civiles, les philanthropies.
Mais ce rapport au terrain, je ne l’ai pas découvert avec la campagne. J’ai été guide touristique à Louxor pendant mes études. J’ai accompagné des visiteurs, raconté l’histoire de l’Égypte, dialogué avec des gens de tous horizons. Cela a forgé mon identité professionnelle. Ce que je sais faire de mieux, c’est le terrain. Et donc c’est ce que je fais aussi en sillonnant le monde dans le cadre de cette campagne, avec l’objectif de comprendre les gens, leur parler directement. Aujourd’hui encore, c’est cette compétence qui me guide. Être directeur général de l’UNESCO, c’est être à l’écoute.
J’ai reçu en février dernier un message très fort lors de ma rencontre avec le pape François, qui a accepté de me recevoir au Vatican malgré son état de santé affaibli. Il a eu cette phrase simple, mais essentielle : « Écoutez tout le monde. »
C’est ce que je m’efforce de faire. J’ai passé du temps dans les capitales, sur le terrain, pour comprendre les priorités réelles des États membres. Il ne s’agit pas de présenter un programme déconnecté, mais de faire vivre les besoins et attentes que j’ai reçus. Je crois profondément que le dialogue est la clé. Pas un dialogue théorique, mais un dialogue fondé sur l’expérience, la présence, le respect mutuel.
🔗 Gouvernance et dépolitisation
Vous affirmez vouloir moderniser la gouvernance de l’UNESCO en la dépolitisant. Quelle est votre approche concrète ?
Si je suis élu directeur général, je veux redonner aux États membres la place qui leur revient dans les processus décisionnels. L’UNESCO doit être plus réactive, plus accessible, moins centralisée. Si je suis élu, je prévois d’instaurer des réunions hebdomadaires entre le directeur général et les services internes pour fluidifier la gestion quotidienne. Je veux aussi mettre en place des dialogues réguliers avec les groupes géographiques d’États membres, et renforcer la transparence dans nos communications. Les réunions devront être annoncées à l’avance et, autant que possible, ouvertes. Je pense également à organiser des consultations ciblées avec des sous-groupes, comme les petits États insulaires ou les pays africains, afin de m’adapter concrètement à leurs besoins. Ce n’est pas une posture, c’est une méthode de travail. Je veux que chacun se sente entendu, respecté et impliqué.
🚀 Un outsider au parcours ministériel
Vous êtes perçu comme un “outsider” face à vos deux concurrents : la Mexicaine Maria Cristina Ramos et le Congolais Firmin Edouard Matoko, tous deux issus de l’appareil de l’Unesco et qui ont annoncé leurs candidatures à la dernière minute. Comment réagissez-vous ?
C’est une force. Je viens de l’extérieur avec une expérience de terrain, notamment en tant qu’ancien ministre égyptien du Tourisme et des Antiquités. J’ai fusionné deux ministères en un seul, avec toutes les conséquences administratives et juridiques que cela implique. Je sais ce que c’est que diriger une administration de 35 000 personnes. En tant que directeur du musée du Caire, j’ai géré des problématiques très concrètes : factures, personnel, logistique. Ce pragmatisme me semble essentiel pour diriger une grande organisation internationale comme l’UNESCO. Mais je respecte mes deux concurrents. Je respecte le candidat du Congo. Je respecte la candidate du Mexique. C’était d’ailleurs bizarre que je sois le seul candidat. Donc c’est une bonne chose qu’il y ait d’autres candidatures. Je suis pour le débat démocratique. Au Grand oral devant les États membres, j’ai été le premier à me présenter. Je ne lisais pas. J’ai parlé avec le cœur. Je voulais montrer que j’étais préparé, sincère. J’ai décidé de passer le premier parce que c’était le plus difficile.
Comment expliquez-vous la candidature du congolais alors que vous avez déjà reçu le soutien de l’Union africaine ?
J’ai voyagé en République du Congo pour présenter personnellement ma vision aux autorités. Le dialogue a été respectueux, constructif. Je respecte la décision du Congo qui doit avoir ses raisons pour présenter sa candidature. Ces raisons, je ne les connais pas, mais je respecte, je respecte des élections clean, propres, transparentes. J’aime beaucoup mon continent. Et je n’ai pas annoncé ma candidature tout seul. Je suis allé voir l’Union africaine. J’ai frappé à la porte il y a un an. J’ai dit : est-ce que vous êtes d’accord ? Ils ont débattu, ils ont discuté, ils ont accepté. C’est pour ça que je suis candidat. J’ai suivi un chemin. Et j’ai respecté l’institution jusqu’au bout.
Mais encore une fois, je respecte la décision du Congo. Ceci dit, je pense que ce n’est pas bien pour l’image de l’Afrique. Parce que si jamais il y a d’autres pays africains qui ne suivent pas la décision de l’Union africaine, l’Afrique risque de perdre le poste. Mais avec tout ça, je le redis : je respecte la décision du Congo. C’est un pays qui m’a très bien accueilli quand j’y suis allé.
Depuis l’arrivée de Donald Trump à la présidence en 2024, les États-Unis ont manifesté leur volonté de se retirer à nouveau de l’UNESCO. Comment gérer cette situation sensible ?
Pour moi, les États-Unis, c’est beaucoup, beaucoup, beaucoup plus que les 22 % de contributions au financement de l’UNESCO. C’est un grand pays. C’est un pays référence dans la plupart des domaines de compétence de l’UNESCO. Et l’UNESCO a besoin des États-Unis. Et les États-Unis, je crois, ont besoin d’être à l’UNESCO. L’UNESCO, c’est la famille, tout le monde doit être là, malgré n’importe quel désaccord.
Le discours est là pour réunir tout le monde autour de la table, avec les petits États insulaires, avec les pays africains, arabes, nordiques, l’Amérique latine. Tout le monde doit être autour de la table. Je sais que le secrétariat actuel fait des efforts considérables pour maintenir les États-Unis. Et si jamais le problème est en suspens jusqu’à la nomination du nouveau directeur général, et si j’ai l’honneur d’être élu, je ferai tout pour les garder. Encore une fois, c’est le dialogue.
S’il y a des choses qui inquiètent les États-Unis ou qui inquiètent n’importe quel pays au monde, on est là pour discuter. Nous avons des références bien claires : la Constitution de l’UNESCO, les instruments normatifs de l’organisation, la Déclaration universelle des droits humains. C’est ma base pour débattre sur n’importe quel sujet.
L’une des critiques récurrentes formulées par les États-Unis à l’encontre de l’UNESCO concerne la manière dont l’organisation traite la question de l’antisémitisme. Donald Trump, notamment, a accusé l’UNESCO de biais. Quelle est votre position ?
Pour répondre à cette question dans mon discours lors du Grand oral, j’ai tenu à dire que me battrai contre le discours de haine, contre toute discrimination, contre le racisme et contre l’antisémitisme. Et il ne faut pas avoir de discrimination basée sur la religion — toutes les religions — sur la culture, sur la couleur de la peau, sur le genre. Et c’est ça le discours. Et c’est ça que j’appelle “dépolitiser l’Unesco”.
A 6 mois de l’élection, êtes-vous confiant ?
J’ai reçu des soutiens institutionnels : l’Union africaine, la Ligue arabe. Plusieurs pays ont déclaré leur soutien publiquement : la France, l’Espagne, la Turquie, l’Allemagne, le Brésil. D’autres me l’ont transmis en bilatéral. Mais je ne les nommerai pas tant qu’ils ne le font pas eux-mêmes. J’ai voulu mener une campagne fondée sur la transparence et la cohérence.
J’ai décidé de passer en premier au grand oral. Parce que c’était le plus difficile. Et que je voulais montrer mon respect envers les États membres. Je ne regretterai rien. Je suis serein. J’ai fait ce que j’avais à faire. J’ai dit ce que j’avais à dire. Je n’ai pas promis de poste ou de rôle à personne. J’ai été droit, j’ai été clair.
J’ai présenté une vision, j’ai dialogué. Maintenant, ce sont les États membres qui décident. Et je respecterai leur choix. J’ai passé deux ans à me préparer, j’ai rencontré des gens formidables. J’ai appris. J’ai été inspiré. J’ai écouté. J’ai vécu une expérience humaine et professionnelle rare. Donc même si je ne suis pas élu, je serai un homme différent.