Candidat pour la cinquième fois à la présidence du Kenya, Raila Odinga est une figure historique de la politique kényane, qui a incarné durant des décennies l’opposition avant de se rapprocher ces dernières années du pouvoir.
La présidentielle de mardi constitue probablement la dernière chance d’entrer à State House, le palais présidentiel, pour ce vétéran de la politique aujourd’hui âgé de 77 ans, dont l’ambition et la détermination sont au coeur de l’histoire récente du Kenya.
Engagé dès le début des années 80 contre le régime de parti unique, Raila Amolo Odinga a connu la détention, un bref exil en Norvège, avant d’entrer au Parlement lors des premières élections multipartites de 1992.
C’est lors des scrutins présidentiels de 1997, 2007, 2013 et 2017 que ce leader de la communauté luo s’imposera comme un acteur politique incontournable, toujours candidat opposé au pouvoir.
En 2007, sa contestation de la victoire de Mwai Kibaki dégénère en sanglantes violences ethniques, faisant plus de 1.100 morts et des centaines de milliers de déplacés.
La crise se résoudra par un accord de partage du pouvoir, avec M. Odinga Premier ministre (2008-2013). Durant cette période, il est un des artisans de la Constitution de 2010, considérée comme une des plus progressistes du continent.
– “Poignée de main” –
En 2013 et 2017, il a pour adversaire Uhuru Kenyatta, avec qui la rivalité est historique.
Son père, Jaramogi Oginga Odinga, fut le grand perdant de la lutte pour le pouvoir après l’indépendance du Kenya en 1963, au profit du premier président Jomo Kenyatta… père d’Uhuru.
En 2017, Raila Odinga fait invalider le scrutin par la Cour suprême, une première en Afrique, à la fureur d’Uhuru Kenyatta, arrivé en tête. Ce dernier sera réélu quelques semaines plus tard lors d’un nouveau vote boycotté par M. Odinga.
Contestant la légitimité du chef de l’Etat, “RAO” se fait symboliquement investir “président du peuple”.
Mais aujourd’hui, pour de nombreux Kényans, Raila Odinga n’est plus un challenger du pouvoir. Son image d’éternel opposant a été écornée par son rapprochement avec Uhuru Kenyatta depuis quatre ans.
Après les violences post-électorales en 2017 qui ont fait des dizaines de morts, les deux rivaux ont, à la surprise générale, décidé d’une trêve, symbolisée en mars 2018 par une poignée de main restée célèbre.
– “Pas un larbin” –
Certains ont vu dans ce rapprochement avec M. Kenyatta – qui ne peut briguer un troisième mandat et soutient Raila Odinga pour le scrutin du 9 août – un ralliement opportuniste pour enfin accéder au pouvoir.
M. Odinga assure avoir agi pour éviter une fracture profonde dans le pays. Les Kényans “savent que je suis une personne indépendante, une personne de conscience avec de très fortes convictions”, a-t-il répété devant la presse en juillet: “Je ne peux pas être le larbin ou le candidat de quelqu’un”.
“Raila est tout à fait conscient qu’une grande partie du soutien dont il bénéficie vient du fait qu’il est une figure anti-establishment depuis si longtemps. Le +handshake+ (poignée de mains, ndlr) a sapé ce récit”, explique à l’AFP Gabrielle Lynch, professeure à l’Université de Warwick (Grande-Bretagne).
– Foot et reggae –
Surnommé “Agwambo” (“le mystérieux” en langue luo), Raila Odinga est un homme de contradictions.
Ses plus fidèles partisans le considèrent toujours comme un combattant de la démocratie et un réformateur social indispensable dans un pays profondément inégalitaire. Ses détracteurs décrivent un agitateur populiste, prompt à jouer des rivalités ethniques pour assouvir son ambition.
Ces derniers l’ont également souvent épinglé comme “socialiste”. S’il a certes suivi des études d’ingénieur à Leipzig, en Allemagne de l’Est communiste, et prénommé Fidel son fils aîné – décédé en 2015 – en hommage à Fidel Castro, ce riche homme d’affaires est à la tête d’un solide patrimoine économique, notamment dans le secteur de l’éthanol et du pétrole.
Réputé pour ses talents d’orateur, il a vu son charisme s’éteindre quelque peu avec l’âge. Lors de la campagne, ce grand-père de cinq petits-enfants est apparu vieillissant, bredouillant, l’élocution parfois confuse.
Mais il ne se départit pas de sa passion pour le club anglais d’Arsenal et surtout pour le reggae.
Depuis plusieurs années, il a fait sienne la chanson de Lucky Dube, dont il martèle le titre comme une devise: “Nobody can stop reggae” (“Personne ne peut arrêter le reggae”).