Ce fut un coup de tonnerre dans le milieu du cacao et du chocolat. Au mois d’octobre le Conseil Café Cacao ivoirien et le Cocobod (les instances de régulation et d’aides de la Côte d’Ivoire et du Ghana), annonçaient le boycott de la rencontre des acteurs du secteur, organisée par la Fondation mondiale du cacao, le 26 octobre à Bruxelles. Un réaction qui intervenait après plusieurs mois de tension entre les grands producteurs africains de cacao et les industriels du cacao. Mais quelles sont les raisons de ce bras de fer ? Voici quelques explications.
– Des répartitions inégales des marges de l’or brun
Les chiffres du marché mondial du cacao et du chocolat en 2020 étaient les suivants :
– 5 millions de producteurs au Sud produisent 4,5 millions de tonnes de cacao.
– Les cacaoyères couvrent plus de 8 millions d’hectares.
– Les rendements varient de 150 à 2 500 kg/ha/an.
– La consommation aura augmenté de 20 % en 2020-2025.
– 4 pays africains fournissent plus de 70 % des fèves de cacao
Le cacao conventionnel, dont le prix est fixé comme beaucoup de matières premières à la Bourse de Chicago, se vend actuellement autour de 2 400 dollars la tonne. Celui qui est certifié par des labels comme SPP, créé par des producteurs latino-américains se vend entre 3 000 et 3 500 dollars la tonne.
Les planteurs, parents pauvres du secteur, ne perçoivent que 6% des 100 milliards de dollars par an que génère le marché mondial du cacao et du chocolat, verrouillé par les grands industriels. Selon Julie Stoll, déléguée générale chez Commerce équitable France “le prix du cacao a été divisé par trois depuis les années 1980”, avec en particulier une chute de 30% en 2017.
En Côte d’Ivoire, plus de la moitié des planteurs vivent sous le seuil de pauvreté, selon une étude de la Banque mondiale. La situation est comparable au Ghana, où quelque 800.000 familles vivent du cacao.
Un bras de fer pour un respect mutuel des engagements
Engagé en 2018 avec la création d’une alliance entre le Ghana et la Côte d’Ivoire, le bras de fer entre pays producteurs et industrie du chocolat s’est durci ces dernières semaines avec ce boycott de la rencontre des acteurs du secteur.
La Côte d’Ivoire et le Ghana avaient instauré un “Différentiel de revenu décent” (DRD), une prime de 400 dollars par tonne pour “assurer une durabilité à l’économie cacaoyère”.
« Mais trois ans après avoir accepté le différentiel de revenus décent de 400 dollars la tonne, nous faisons le constat que le marché est de plus en plus réticent à payer le différentiel de revenu décent. Quand nos partenaires veulent acheter du cacao, ils nous disent : Bon, le DRD de 400 dollars on va le payer, mais la prime qui bonifie votre cacao, nous allons l’amener à -150, à -200 pounds la tonne, cela revient à dire qu’on diminue en fait le différentiel de revenus décent. Cette situation n’est pas tenable pour nous », avait scandé Yves Brahima Koné, le directeur général du Conseil Café Cacao en Côte d’Ivoire dans une interview accordée à RFI en novembre.
Cette politique de la chaise vide est donc un cri de détresse des gouvernements qui menacent de ne plus produire un “cacao durable” si ce revenu promis n’était pas payé.
Les industriels avaient jusqu’au 20 novembre pour respecter le montant des primes destinées à sortir les planteurs de la pauvreté.
Quels impacts depuis le boycott ?
Dans son interview à RFI Yves Brahima Koné indiquait : « Certaines multinationales ont commencé à apporter leur soutien à ce que nous avons demandé. A la dernière réunion que nous avons eue du comité de pilotage à Abidjan, le Nigeria et le Cameroun étaient là. Ils sont là comme observateurs. Je pense que d’ici six mois, sans doute, ils vont faire leur entrée dans l’Initiative, et là nous ferons au moins 75% de la production mondiale ».
Parmi les leaders mondiaux, le groupe Mondelez (Milka, Toblerone) a fait part début novembre de son intention d’investir 600 millions de dollars supplémentaires d’ici 2030 dans son programme Cocoa Life. Ces investissements serviront notamment à améliorer les conditions de vie de 300.000 cultivateurs de cacao à terme, avec une augmentation d’environ 15% au Ghana et d’environ 33% en Côte d’Ivoire des revenus nets.
Pour Axel Emmanuel, maître chocolatier ivoirien et formateur de femmes de cacaoculteurs en Côte d’Ivoire, la vraie solution réside dans le fait de former les cacaoculteurs à vendre un cacao déjà transformé pour mieux répartir les marges. « Ce cacao qui est vendu un euro le kilo cru, moi je l’achète 5 euros séché et grillé. Je forme les femmes à travailler la fève avant de la vendre, soit sous forme de produits déjà torréfiés, soit en beurre, en savons et autres produits dérivés. Cela permet de rapporter une partie de la marge de transformation directement au producteur et à sa famille. L’un des gros risques si la filière n’est pas mieux soutenue financièrement, c’est qu’avec un tel niveau de vie, soit 1 euro par jour pour vivre et une espérance de vie de 50 ans, aucun jeune ne veuille se lancer dans un tel labeur et demain personne ne voudra faire pousser du cacao en Côte D’ivoire », a-t-il indiqué à l’équipe de Tama Média cette semaine.