Catégories
Tribunes Le Lab Afrique Politique

[Tribune] La Francophonie : une institution à la hauteur de ses ambitions ? 

Par Redaction
27 septembre 2024
7 min

Tribune par Je m’engage pour l’Afrique – La Francophonie s’est imposée comme un projet d’une communauté rassemblée autour d’une langue commune : le français. Supposément animée par une ambition universaliste et plurilingue, elle porte l’idée d’une collaboration fondée sur cette même langue et sur la question de la diversité culturelle qui a, dès le départ, servi de moyen pour la France de garder une mainmise sur ses anciennes colonies. 

La Francophonie : une institution à la hauteur de ses ambitions ? 

Tribune par : Amina Zakhnouf, co-fondatrice Je M’engage pour l’Afrique 

Koumba Cissé, responsable des programmes Je M’engage pour l’Afrique


À la fin de la guerre froide, l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) s’est muée en alliance diplomatique, regroupant des États partageant non seulement une langue, mais aussi des valeurs communes.

Le projet francophone, initialement centré sur le dialogue et la coopération entre pays, s’est progressivement élargi à d’autres problématiques : celles de paix, de démocratie, de droits de l’Homme et de développement durable. 

Les 4 et 5 octobre prochains, le Sommet de la Francophonie, autour du thème « Créer, innover et entreprendre en français », fera son retour en France, à Villers-Cotterêts pour la première fois depuis 1986.

La ville, bastion médiéval, héritière de la monarchie et marquée par les grandes guerres, est connue, depuis l’ordonnance de 1539, pour être le berceau du passage du français au rang de langue nationale.

Elle fait maintenant sa grande entrée dans l’ère contemporaine en tant qu’hôte de la Cité de la Francophonie. Un choix anachronique qui questionne sur sa perception des 54 États qui la composent et donne l’occasion de dresser le bilan des ambitions de l’Organisation, ainsi que des missions qu’elle a souhaité porter depuis sa fondation en 1970. 

La propagation de la langue française, seul enjeu effectif de la Francophonie 

La Francophonie : une institution à la hauteur de ses ambitions ? 

L’objectif premier de l’OIF est clair : faire perdurer la langue française et encourager sa diffusion. Or, la majorité des membres de l’organisation se trouvent en Afrique, un continent dans lequel l’usage du français reste un marqueur essentiel. 

Chaque intervention, chaque débat et chaque tirade autour du futur de la langue française concentre son attention sur le rôle de l’Afrique dans la préservation et la propagation de la langue. Si la place centrale du continent dans le dispositif francophone ne fait plus débat, elle soulève néanmoins une interrogation : cette institution accepte-t-elle véritablement toute la diversité qu’elle se targue de promouvoir ou cache-t-elle d’abord, et avant tout, une ambition de préservation de la langue française comme outil de soft-power ?

Est-il acceptable d’affirmer aujourd’hui que « la période coloniale n’a que très faiblement contribué à la diffusion de la langue française parmi la population » et que « le niveau de [la] francophonie a spectaculairement augmenté grâce à l’école »

Pour répondre à la question, il semble judicieux de poser son regard sur l’autre grande institution linguistique et culturelle émanant du passé colonial : l’anglais, et son Commonwealth. L’anglais reste la première langue de travail dans les institutions internationales (Onu, Otan, Union Africaine, Cédéao …) et continue de gagner du terrain avec l’adhésion de plusieurs pays francophones comme le Togo et le Gabon au Commonwealth en juin 2022.

Cette dernière, fait de la langue un moyen plus qu’une fin, et poursuit des objectifs culturels, commerciaux et professionnels ne relevant pas du performatif. En se cantonnant à son rôle de gardienne de la langue, la Francophonie relègue-t-elle au second plan ses autres objectifs tout aussi cruciaux, tels que le soutien à l’éducation, la paix et la démocratie ? 

Des actions en dissonance avec les missions affichées 

L’OIF s’est fixée des missions ambitieuses : promouvoir la paix, la démocratie et les droits de l’Homme, appuyer l’éducation, la formation, et développer la coopération pour un développement durable. Force est de constater que dans plusieurs de ces domaines, les résultats tardent à se concrétiser. 

Sur la question de la paix, par exemple, si certains États membres s’engagent individuellement dans des opérations internationales pour son maintien, l’OIF elle-même reste en retrait. Elle ne joue pas un rôle visible en tant qu’organisation dans la promotion active de la démocratie et de la paix à l’échelle mondiale.

Néanmoins, vis-à-vis de ses États membres, elle a un pouvoir de suspension et de mise à l’écart qu’elle applique quand et comme bon lui semble. Lors de la série de coups d’État dans le Sahel (Mali 2020 et 2021, Tchad, Guinée et Burkina Faso 2022, Niger 2023), l’OIF a systématiquement suspendu les États putschistes de ses instances. Cependant, c’est ici que s’arrête cette sanction et que commence la confusion autour de la cohérence de ses missions. 

Pour preuve, le Tchad a célébré la Journée internationale de la Francophonie le 20 mars dernier en marge du Sommet et, pendant ce temps, la représentation de l’OIF a été reçue en Guinée par les autorités de la transition en janvier 2024. Elle a d’ailleurs affirmé son soutien au régime et sa confiance envers le processus de transition. Toutefois, le Mali et le Burkina Faso, qui ont été suspendus de l’OIF dès l’avènement des coups d’États, n’ont pas bénéficié du même processus de médiation ou de discussions avec les instances de l’Organisation. 

D’autre part, de nombreuses voix se sont élevées contre la tenue du dernier Sommet de la Francophonie à Djerba, en Tunisie, en réponse aux dérives autoritaires du président Kaïs Saïed. Chose à laquelle la représentation de l’Organisation a répondu que « le processus de l’OIF pour organiser un sommet dans un pays ne consiste pas à vérifier si tous les éléments démocratiques sont réunis ».

Ces exemples, tout comme cette affirmation troublante, loin d’être des cas isolés, montrent que la Francophonie n’est pas avare de contradictions internes face au respect de sa mission de promotion de la paix, de la démocratie et des droits de l’Homme. L’on constate un mécanisme du « cas par cas » qui revient, en réalité, à une stratégie d’évitement et d’inertie, et laisse percevoir des questionnements sur l’égalité des États membres. 

Comment déprogrammer l’obsolescence de la Francophonie ? 

La Francophonie, se vantant de son histoire forte et de son réseau d’États membres, souhaite devenir un acteur majeur de la diplomatie internationale. Pourtant, elle reste marquée par le legs colonial, engluée dans la protection de la langue française, et finalement partiellement en maîtrise des missions qu’elle s’était fixée.

Toutefois, son potentiel est considérable : elle rassemble une vraie communauté de destin, qui pourrait y trouver son compte si l’institution accepte d’entrer dans une phase d’introspection et de changement.

Pour cela, il faudrait qu’elle gagne en courage institutionnel, renouvelle ses représentants et ses contributeurs pour y intégrer une nouvelle génération de francophones déjà constitués en société civile active et prête à agir — notamment en ne les cantonnant plus aux simples festivités des Sommets de dirigeants —, et qu’elle sorte enfin de la logique de promotion de la langue comme fin en soi. 

Grâce à ces changements, elle pourrait devenir vectrice de réelles opportunités et de rencontres qui dépassent le performatif de l’évènementiel annuel, sommets et conférences comprises, tout en appréhendant la langue française pour ce qu’elle est : une langue aussi populaire que mouvante, fluide et syncrétique. En somme, une langue vivante.

Cette remise en question nous semble essentielle et nécessaire, sans quoi la Francophonie continuera d’entretenir son obsolescence, traînera ses discours et son plaidoyer péniblement au fil des années, et inévitablement, succombera aux blessures de sa propre inertie…