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La RDC a créé des milices de soutien à l’armée, les « wazalendo » pour lutter contre le M23 : pourquoi cela pourrait se retourner contre elle

Par admin
02 février 2025
9 min

Enclenchée en 2022, l’insurrection du groupe armé M23 – soutenu par le Rwanda – connaît dernièrement un net regain. La ville de Goma, dans l’est de la République démocratique du Congo, est tombée entre ses mains, le 27 janvier dernier. Le gouvernement congolais, qui tente de mater cette rébellion, mobilise de son côté plus d’une centaine d’autres milices actives dans la région, communément appelées les wazalendo, les patriotes en Swahili. Ces dernières sont intégrées dans l’armée en tant que réservistes. Le pari est risqué et ne constitue qu’une solution temporaire à une crise qui risque de s’enliser si ses causes profondes ne sont pas réglées…

Par Judith Verweijen, Utrecht University et Michel Thill, University of Basel


Après près de trois décennies de guerre, le conflit armé dans l’est de la République démocratique du Congo (RDC) n’a eu de cesse de s’intensifier. La rébellion du M23, soutenue par le Rwanda, a occupé le devant de la scène ces dernières années. Cependant, l’est de la RDC abrite plus de 100 autres groupes armés, qui sont également une source majeure d’instabilité. La question de leur démobilisation hante le pays depuis la fin de la deuxième guerre du Congo en 2003.

Un nouveau chapitre de cette lancinante problématique semble s’ouvrir. En 2022, le gouvernement a décidé de former une alliance avec des groupes armés pour combattre leur ennemi commun, le M23 et ses soutiens rwandais. Parallèlement, il a lancé une initiative visant à créer une force de réserve, la Réserve armée de la défense (RAD), institutionnalisant ainsi une pratique déjà courante au sein de l’armée congolaise : l’utilisation des groupes armés comme auxiliaires.

La création de l’armée de réserve permet au gouvernement de récompenser les alliés des groupes armés en les intégrant tout en les plaçant sous un contrôle institutionnel. Mais cela fonctionnera-t-il vraiment ?

Nos recherches passées et en cours sur l’intégration militaire et la démobilisation dans l’est de la RDC jettent un doute sur ce sujet, pour trois raisons.

Le premier risque est que les groupes armés augmentent leurs effectifs pour renforcer leur position de négociation une fois l’intégration réalisée. Cela se produit déjà par anticipation, de nombreux groupes armés ayant intensifié leur recrutement.

Deuxièmement, les forces réservistes pourraient entrer en concurrence avec l’armée pour le contrôle des territoires et les ressources limitées, voire se retourner contre ceux qui les ont créées.

Enfin, le simple fait d’intégrer des groupes armés dans une force de réserve ne permet guère de répondre aux griefs de longue date qui sont à la base du conflit dans l’est du pays.

Le Wazalendo : les patriotes prédateurs de l’est de la RDC

Le 9 mai 2022, lors d’une réunion secrète dans la ville de Pinga au Nord-Kivu, les forces armées congolaises et plusieurs groupes armés congolais ont accepté de cesser les hostilités les uns contre les autres et de former une alliance pour combattre leur ennemi commun, le M23.

En conséquence, ces groupes ont acquis un statut quasi-officiel et se sont de plus en plus identifiés comme des défenseurs de l’intégrité territoriale du Congo. Ils ont adopté le nom de Wazalendo qui signifie “patriotes” en kiswahili. Portés par la rhétorique de soutien du président Félix Tshisekedi, les Wazalendo sont devenus des symboles de la résistance congolaise contre l’agression étrangère, un atout qui a servi la campagne électorale du président en 2023.

Dans les provinces du Nord et du Sud-Kivu, les groupes armés se sont rebaptisés Wazalendo, même lorsqu’ils ne font pas partie de la coalition qui combat le M23.

Alors que l’attention de l’armée congolaise est focalisée sur le M23, ces groupes armés ont profité de l’accalmie des opérations menées contre eux. La plupart des groupes du Wazalendo circulent librement et ont considérablement étendu leurs zones d’influence ainsi que leurs systèmes violents de génération de revenus.

Cela passe par des taxes imposées sur les marchés, la multiplication des barrages routiers, mais aussi par des enlèvements contre rançon et des assassinats sur commande. Des éléments de preuve attestent également de leur implication dans des actes de torture, de violences sexuelles et d’arrestations arbitraires, ainsi que dans le recrutement fréquent d’enfants soldats.

Une histoire d’intégration en dents de scie

Quelques mois après la réunion de Pinga, le gouvernement congolais a lancé une nouvelle politique de défense nationale qui mentionnait la création d’une armée de réserve. Bien qu’elle ait été adoptée à l’unanimité au parlement en avril 2023, les députés ont exprimé leurs inquiétudes sur le fait que la nouvelle armée de réserve risquait de répéter les erreurs du passé.

L’armée est elle-même le produit de la laborieuse intégration des anciens belligérants après la deuxième guerre du Congo (1998-2003). Mais l’intégration rebelle-militaire est devenue un processus interminable. Les officiers des groupes armés ont alternativement intégré l’armée et déserté dans l’espoir d’obtenir des grades et des postes plus élevés lors d’un prochain cycle d’intégration.

L’intégration incessante des rebelles a également affaibli l’armée nationale. Elle a renforcé les chaînes de commandement parallèles, facilité les fuites de renseignements et engendré une hiérarchie déséquilibrée.

La première insurrection de la rébellion du M23 en 2012 a été le résultat d’une intégration rebelle qui a mal tourné. Dans la foulée, le gouvernement congolais a interdit l’intégration négociée de groupes armés dans l’armée.

Obstacles à l’intégration

L’armée de réserve risque de déclencher la même dynamique de récompense de la rébellion en distribuant des postes aux chefs des groupes armés et en leur accordant l’impunité pour les violences commises dans le passé. En avril 2024, les chefs de nombreux groupes du Wazalendo ont été transportés par avion à Kinshasa où les dirigeants de l’armée de réserve leur ont dit de commencer à préparer des listes de leurs combattants avant leur intégration.

Cela a incité de nombreux groupes armés à intensifier leur recrutement.

La perspective de l’intégration a également déclenché une concurrence féroce pour les postes entre les commandants du Wazalendo. Cela risque d’aggraver les animosités entre les groupes.

D’autres obstacles, dont certains ont déjà été rencontrés, existent :

Unité de commandement. Forcer les petits groupes armés à entrer dans un moule hiérarchique ne fonctionne pas toujours. La plupart ont des racines locales profondes, leur recrutement et leur influence se limitant à une zone relativement restreinte. Habitués à faire la pluie et le beau temps dans leur région d’origine, ces commandants ont tendance à être réticents à recevoir des ordres de personnes extérieures plus haut placées.

Concurrence éthnique. Les groupes armés peuvent s’opposer à une intégration complète s’ils estiment que leur rang et leur position dans l’armée de réserve seront inférieurs et que cela entravera leur capacité à protéger les membres de leur communauté ethnique. De tels « dilemmes de sécurité locale » ont entravé les efforts d’intégration et de démobilisation de l’armée dans le passé.

Ressources : Les groupes armés bénéficient actuellement de revenus substantiels et d’une grande liberté pour les obtenir. Le commandement de l’armée de réserve autorisera-t-il ses membres à s’engager dans la taxation illégale, l’enlèvement contre rançon, le vol et les embuscades ? Si ce n’est pas le cas, comment compensera-t-il les opportunités perdues ? En outre, l’armée de réserve est susceptible d’entrer en concurrence avec l’armée en ce qui concerne les possibilités de générer des revenus. Et certains de ses membres pourraient transmettre des renseignements à d’autres groupes armés.

Calmant ou remède ?

Le système de réservistes militaire peut être considéré comme la dernière tentative de résoudre le problème vieux de plusieurs décennies consistant à se débarrasser des nombreux groupes armés dans l’est de la RDC, cette fois en les intégrant dans le giron de l’État, mais pas dans celui de l’armée.

Cependant, cette solution risque de déclencher les mêmes dynamiques néfastes que l’intégration dans l’armée. Elle risque d’alimenter la mobilisation armée et la militarisation plutôt que de les contenir.

Les groupes Wazalendo sont actuellement dans une situation avantageuse et n’encourent aucune sanction en cas de non-intégration à la force de réserve. Pour les contenir, il faudrait professionnaliser à la fois l’armée et la justice militaire de la RDC.

Même si l’armée de réserve n’a pas d’effets d’entraînement négatifs, il est peu probable qu’elle soit un remède à la mobilisation armée. Des efforts de paix globaux, menés à partir des communautés locales, sont nécessaires pour résoudre les ressentiments persistants issus des violences passées et des luttes autour de l’identité, du territoire et du pouvoir local. Sans de tels efforts, la force de réserve ne sera qu’une solution de façade.

Judith Verweijen, Assistant professor, Utrecht University and Michel Thill, Senior Program Officer, University of Basel

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.