La guerre entre le Mouvement du 23 mars ( M23), soutenu par le Rwanda, et les Forces armées de la République Démocratique du Congo, appuyées par la Force de défense nationale du Burundi, a fait près de 3000 morts et 2 900 blessés dans la région du Nord-Kivu, selon les Nations Unies. Après la prise de Goma, capitale provinciale du Nord-Kivu par le M23, ce dernier poursuit son avancée vers la province du Sud-Kivu, voisine du Burundi. Ce pays enregistre un nombre croissant de réfugiés congolais, dont la situation nécessite une aide urgente, selon les autorités burundaises et les ONG.
Par Dieudonné Ndayizeye
Depuis début février jusqu’au 19 février, le Burundi a enregistré plus de 35 000 réfugiés congolais, dont 100 policiers. Le ministre de l’Intérieur, du Développement communautaire et de la Sécurité publique, Martin Niteretse, l’a déclaré le 19 février lors d’un point de presse tenu après une rencontre consacrée à l’accueil des réfugiés. Il a ajouté que si les Congolais rencontrent des difficultés, les Burundais en rencontrent également.
La majorité de ces réfugiés proviennent de la province du Sud-Kivu, frontalière avec le Burundi. Le ministre a précisé qu’ils ont commencé à se multiplier au Burundi depuis le 12 janvier. À cette date, le M23 et ses alliés avaient commencé à prendre des lieux stratégiques de la province du Sud-Kivu, avant de s’emparer de la capitale provinciale, Bukavu, et d’Uvira les jours suivants.
Cri d’alarme des ONG
Jusqu’au 22 février, le Haut-Commissariat pour les Réfugiés (HCR) a enregistré plus de 42 000 réfugiés congolais. Parmi eux, 36 000 ont été accueillis dans le centre d’accueil de Rugombo, en province de Cibitoke, au Nord-Ouest du Burundi, plus de 2 000 se trouvent en commune Buganda, et le reste dans la province de Bubanza.
Pour assurer l’assistance nécessaire à ces réfugiés en matière de logement, de nourriture, de soins de santé, etc., la représentante du HCR au Burundi, Brigitte Mukanga Eno, estime qu’il manque 55 millions de dollars américains. Elle précise que les sites de délocalisation, situés loin de la frontière du Burundi avec la République Démocratique du Congo, sont en cours d’aménagement. Elle appelle donc les partenaires à fournir l’aide nécessaire, particulièrement en raison du grand nombre d’enfants parmi ces réfugiés.
À ce centre d’accueil des réfugiés de Rugombo, en province de Cibitoke, la Croix-Rouge du Burundi apporte son soutien aux réfugiés congolais en leur distribuant de l’eau potable, en installant des tentes et en assurant également la prise en charge psychologique.
Selon Désiré Habonimana , directeur de la prévention et de la réponse aux catastrophes à la Croix-Rouge du Burundi, la situation des réfugiés à Cibitoke est alarmante. Il indique que ces milliers de réfugiés congolais ont un besoin urgent d’aide en nourriture, abris et infrastructures.
En plus des soins d’urgence fournis par la Croix-Rouge du Burundi, elle offre également des services psycho-sociaux pour soutenir les réfugiés. En partenariat avec le Comité Internationale de la Croix Rouge (CICR), elle soutient les enfants non accompagnés et les personnes séparées de leurs familles pour rétablir les liens familiaux.
« Une somme qui m’aurait permis de manger pendant deux jours »
Au micro-trottoir de Yaga, plateforme burundaise animée par un collectif de blogueurs et journalistes locaux, certains réfugiés installés à Rugombo, dans la province de Cibitoke, partagent leur témoignage poignant.
« Nous avons dû fuir nos maisons lorsque les soldats se sont engagés dans un échange de tirs avec les rebelles pendant plusieurs heures. Nous avons cherché refuge à Rusizi, à la frontière entre le Burundi et la République Démocratique du Congo, jusqu’à ce que des Burundais nous accueillent et nous aident à traverser la rivière Rusizi. Les soldats et les autorités locales nous ont accompagnés jusqu’au site de Rugombo. Avant de fuir, nous possédions des vaches et des chèvres. Mais aujourd’hui, ces animaux errent sans protection, et nous ne savons même pas où ils se trouvent. Nous avons laissé derrière nous tout ce que nous avions : vêtements, ustensiles de cuisine… Certains d’entre nous ont même été séparés de leurs enfants, et d’autres sont morts noyés en traversant la rivière Rusizi », a témoigné Solange Shakimana, une des réfugiés.
Cette femme dit qu’ils n’ont pas encore reçu d’aide alimentaire et qu’ils manquent d’abris, de logement et de soins de santé. Elle lance un appel urgent pour que les réfugiés puissent être assistés.
Espérance Kyubwa témoigne également qu’elles ont tout laissé derrière elles en République Démocratique du Congo et vivent dans des conditions précaires sur ce site d’accueil des réfugiés, manquant même de nourriture. « Nous avons laissé la nourriture, les assiettes, les casseroles chez nous. Nous n’avons rien emporté. Nous n’avons même pas de chaises sur lesquelles nous asseoir et nous sommes exposées au soleil. Je suis avec ma fille enceinte. J’ai demandé une maison pour elle, mais on m’a réclamé 20 000 francs burundais (environ 6,5 Euros), une somme qui m’aurait permis de manger pendant deux jours.»
Alors que certains de ces réfugiés se plaignaient du manque de structures sanitaires pour se faire soigner, les organisations non gouvernementales ont déjà déployé des efforts pour les aider. L’Unicef a affirmé avoir déjà apporté son soutien à ces réfugiés en difficultés : « Suite à l’afflux de milliers de personnes en provenance de la RDC, dont des enfants, l’Unicef a mis en place une clinique mobile sur le nouveau site de Cibitoke Centre. Cette clinique mobile est équipée de médicaments et d’équipements médicaux destinés au dépistage et au traitement du paludisme, des diarrhées, des infections respiratoires, des maladies de peau, ainsi qu’au dépistage nutritionnel. Déjà, des centaines d’enfants ont reçu des soins », a écrit l’Unicef sur sa page Facebook.
Près de 90 000 réfugiés, dont une grande partie est originaire de la République Démocratique du Congo, ainsi que 246 000 rapatriés burundais retournés au pays depuis 2017, étaient sous la protection du HCR au Burundi, avant les récents mouvements de réfugiés.
L’insécurité qui perturbe les échanges commerciaux transfrontaliers
Certains commerçants du marché Bujumbura City Market, communément appelé chez Sion, expliquent qu’ils observent une flambée des prix du ciment fabriqué par Great Lakes Cement Company, basé à Kibimba, dans le territoire de Kalemie, en province du Tanganyika. Le prix du ciment est passé de 58 500 Fbu (à peu près 19 euros) à 60 000 Fbu (à peu près 19,6 euros) au prix d’achat.
Il en va de même pour les pagnes en provenance de la RDC. Les commerçantes expliquent que, depuis la crise sécuritaire dans ce pays voisin, le prix des pagnes a augmenté de 5 000 Fbu (environ 1,6 euros).
Les commerçants burundais exerçant le commerce transfrontalier de boissons “made in Burundi” vers la RDC déclarent qu’ils ne peuvent plus poursuivre leurs activités quotidiennes en raison de l’insécurité qui sévit en République Démocratique du Congo.
Tous ces commerçants expliquent que les pertes sont considérables et estiment que la situation commerciale se détériorera davantage si l’insécurité persiste en RDC, en raison du manque de marchandises. En conséquence, ils rencontrent des difficultés pour subvenir aux besoins de leurs familles, comme ils le témoignent.
Les conséquences de cette guerre pour les Burundais ne se limiteront pas aux petits commerçants. selon le bulletin du commerce extérieur de marchandises du premier trimestre 2024 de l’Institut national de la statistique du Burundi (INSBU), la République Démocratique Congo est le principal partenaire commercial du Burundi, avec des exportations comprenant notamment de la bière, de la farine de froment, des savons et des barres en fer ou en acier non allié. La valeur des produits exportés vers la RD Congo est estimée à 28,0 milliards de Francs burundais (environ 9 150 300 euros), soit 25,4 % de la valeur totale des exportations burundaises.
Le Burundi préoccupé par la situation sécuritaire dans l’Est de la RDC
La Force de défense nationale du Burundi (FDNB) constitue un soutien militaire important pour les forces armées de la République Démocratique du Congo. Depuis 2023, on estime à 10 000 soldats burundais en RDC, engagés dans la lutte contre le M23 et ses alliés.
Alors que certains médias internationaux commençaient, à la mi-février, à annoncer le retrait des troupes burundaises en RDC, le porte-parole de la FDNB, Gaspard Baratuza, a démenti ces propos.
« Contrairement aux informations véhiculées par Reuters et reprises par d’autres réseaux sociaux, les militaires de la FDNB déployés en République Démocratique du Congo continuent d’exécuter leurs missions dans leurs secteurs de responsabilité. Que personne ne prête attention aux fake news circulant ici et là », a-t-il déclaré sur son compte X.
Le Burundi réaffirme sa préoccupation concernant la situation sécuritaire à l’Est de la RDC. Ce 27 février, au Palais de Gitega, le président de la République du Burundi, Evariste Ndayishimiye a rencontré les représentants des missions diplomatiques accréditées au Burundi pour échanger sur la situation à l’Est de la RDC et leur présenter son plan de paix. « À cette occasion, le Burundi, fidèle à ses principes de paix et de solidarité, reste profondément préoccupé par la détérioration de la situation sécuritaire en République Démocratique du Congo et a réaffirmé son engagement en faveur d’une résolution pacifique du conflit », peut-on lire dans la déclaration publiée sur le compte X de la présidence de la République du Burundi.