Le président Paul Biya du Cameroun est âgé de 91 ans. Il est le chef d’État le plus âgé d’Afrique et seul le président Teodoro Obiang Nguema de la Guinée équatoriale voisine, qui a 82 ans, est resté au pouvoir plus longtemps que lui.
Par David E Kiwuwa, Associate Professor of International Studies, University of Nottingham
Paul Biya dirige le Cameroun depuis 1982, après avoir exercé les fonctions de Premier ministre à partir de 1975.
Ces dernières semaines, les spéculations sur la santé du nonagénaire se sont multipliées. Certaines rumeurs laissaient même entendre qu’il serait mort. Cela a conduit le gouvernement camerounais à publier une déclaration interdisant toute information sur son état de santé.
Ces cycles de rumeurs se sont répétées chaque fois que Biya a disparu pendant une longue période. Avant son arrivée à l’aéroport international de Yaoundé le 21 octobre, Biya a été vu pour la dernière fois en public le 8 septembre, lorsqu’il a participé à un forum Chine-Afrique à Pékin.
Le Cameroun n’a connu que deux présidents depuis son indépendance. Pour 60 % des jeunes camerounais, Biya est le seul président qu’ils n’aient jamais connu.
Le pays se trouve dans une situation précaire, incertain de ce qui se passera après Biya, qui a gouverné d’une main de fer.
Les mandats prolongés ne se terminent souvent pas bien, comme en témoignent de nombreux exemples sur le continent, qui révèlent un risque élevé d’instabilité politique. Les cas les plus frappants sont ceux de la Libye, de la Tunisie, du Soudan, du Gabon, du Tchad et de la République démocratique du Congo.
En tant que professeur agrégé d’études internationales et chercheur sur la transformation des régimes en Afrique, le Cameroun présente un intérêt particulier en raison de la résilience de son régime au fil des décennies, alors que de nombreux pays de la région ne s’en sont pas aussi bien sortis.
Je pense que le Cameroun atteindra, tôt ou tard, un point d’inflexion après Biya. Le Cameroun ne dispose pas de garde-fous constitutionnels solides, ce qui rendra la succession chaotique.
Deuxièmement, en raison des années de népotisme et de tribalisme institutionnalisés par Biya, le risque de tensions ou de conflits régionaux sera élevé pouvant même conduire à l’effondrement de l’ordre public.
Enfin, l’establishment militaire pourrait bien agir au nom de la sauvegarde de la république en période d’incertitude.
L’héritage
Le Cameroun est doté de ressources abondantes, notamment de pétrole, de gaz et de bois. Il occupe également une position stratégique au carrefour de l’Afrique de l’Ouest et de l’Afrique centrale, sur la côte atlantique, point d’entrée vers les régions intérieures enclavées.
Pourtant, selon le Programme alimentaire mondial, plus de 55 % des Camerounais vivent dans la pauvreté et 37,7 % sont gravement appauvris.
Les infrastructures du pays sont en mauvais état. Alors que le port de Douala a été modernisé et que les liaisons ferroviaires régionales telles que les lignes Douala-Yaoundé ont été développées, les infrastructures routières et ferroviaires sont à peine fonctionnelles.
Selon Transparency International, la corruption est endémique au Cameroun. Le pays se classe 140e sur 180. Et ce, en dépit des efforts officiels déployés pour y remédier.
En 1982, Biya a capitalisé sur le sentiment anti-corruption qui avait été dirigé contre le régime d’Amadou Ahidjo. Biya avait promis un « new deal » anti-corruption. Malgré des progrès initiaux, au début des années 1990, le Cameroun était en tête du classement mondial de la corruption.
Selon certaines critiques Biya a instrumentalisé sa campagne de lutte contre la corruption pour tenir en échec ses concurrents potentiels.
Le népotisme et le tribalisme perdurent car Biya a mis en place un système étatique clientéliste. Par exemple, les Beti, qui sont les parents ethniques du président, occuperaient une part disproportionnée des postes de haut niveau au sein du gouvernement et de l’armée. Pourtant, ils ne représentent qu’un faible pourcentage de la population.
Cette situation a engendré un système kleptocratique qui s’accompagne d’un ressentiment communautaire généralisé.
La société camerounaise présente d’autres fissures profondes. Sur le plan social, le pays est devenu une entité fédérée lors de l’indépendance en 1960. Deux groupes linguistiques – les francophones et les anglophones – se sont réunis pour former la République unie du Cameroun.
Pendant un certain temps, cette unité s’est maintenue. Mais le désenchantement croissant à l’égard du régime de Biya, en particulier la marginalisation du sud-ouest anglophone, s’est transformé en rébellion en 2016. Des milliers de personnes ont été tuées et des dizaines de milliers ont été déplacées. Elle a également entraîné une répression accrue par l’autorité centrale.
Aujourd’hui, le Cameroun est une société fracturée, le sud-ouest réclamant plus d’autonomie et de justice linguistique, voire l’autodétermination. La création de la Commission du bilinguisme et du multiculturalisme et la désignation d’un statut spécial pour les régions rebelles n’ont guère contribué à apaiser la crise.
Rôle régional
Au niveau régional, le Cameroun a été un partenaire clé pour les Etats-Unis et la France en s’attaquant à Boko Haram dans la région. Le pays a été directement touché par les attaques de ce groupe islamiste, originaire du Nigeria et qui a étendu son règne de terreur à travers la région.
La campagne antiterroriste a donné lieu à des relations étroites entre les États-Unis, la France et le Cameroun, avec une coopération stratégique dans les domaines de l’armée et du renseignement.
De même, Biya peut être félicité pour avoir réglé pacifiquement la crise de la péninsule de Bakassi avec le Nigeria, un différend frontalier territorial, évitant ainsi l’instabilité régionale.
Il n’y a pas encore de signes évidents que, après Biya, les relations franco-camerounaises subiraient des tensions similaires à d’autres scénarios dans la région.
La France a construit une relation politique et économique stable avec le Cameroun, en investissant massivement dans la région, en fournissant une couverture politique au régime et en concluant un pacte de défense.
Cette relation a également profité à de nombreuses élites politiques et militaires. À moins qu’un évènment majeur ne survienne, elle devrait se poursuivre dans l’ère post-Biya.
Un paysage politique fragmenté
La longévité de Biya à la tête de la politique camerounaise témoigne de sa capacité à mobiliser toutes les ressources de l’État, le pouvoir et les leviers constitutionnels pour sa présidence à vie. Il a surpassé tous ses concurrents politiques.
Cela lui a permis d’éviter le sort de pays voisins tels que la République centrafricaine, le Niger, le Tchad et le Gabon, où les gouvernements ont été renversés par des coups d’État militaires.
En 1992, Biya a accepté le multipartisme. Mais depuis lors, il a fait supprimer la limitation du nombre de mandats et il en est à son septième mandat.
Mais à l’approche de la fin de sa vie et sans successeur désigné, il existe une réelle possibilité que diverses factions du régime Biya, telles que celle de Frank Biya, Ngoh Ngoh, Laurent Esso ou même les militaires, se bousculent et se battent pour le pouvoir.
Sans une culture politique fondée sur le respect des contraintes politiques, l’instabilité semble inévitable. Et la rébellion du sud-ouest pourrait intensifier sa pression militaire et politique afin de renforcer son influence sur ceux qui prendront le pouvoir après Biya.
La capacité des prochains dirigeants politiques à établir un programme de transformation pour la réconciliation sociopolitique et le renouveau national dépendra de leur aptitude à trouver un grand compromis.
David E Kiwuwa, Associate Professor of International Studies, University of Nottingham
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.