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[Grand Entretien] Hezbollah : les racines cachées d’une influence grandissante en Afrique de l’Ouest

26 octobre 2024
5 min

[Les Grands Entretiens de Tama Média] Le Hezbollah en Afrique – Liban, Gaza, Cisjordanie, Yémen, Syrie, Irak, dans un contexte de tensions exacerbées au Moyen-Orient, marqué par l’intensification des frappes israéliennes au Liban et la mort récente (fin septembre) de Hassan Nasrallah, leader historique du Hezbollah, ce groupe chiite continue de représenter une force résistante face à l’Israël. Mais au-delà du Moyen-Orient, le Hezbollah a également pu étendre son influence en Afrique de l’Ouest, où la présence de la diaspora libanaise lui offre des opportunités stratégiques multiformes.

Hezbollha Afrique
Des combattants du Hezbollah


Pour mieux comprendre les liens du mouvement chiite avec le continent africain, nous avons posé quelques questions à Tanguy Berthemet, journaliste spécialiste du Moyen-Orient au journal français Le Figaro et auteur d’une enquête intitulée « Le Hezbollah s’ancre en Afrique », publiée en 2013. Entretien.


Tama Média : Pour commencer, quelle est l’origine du Hezbollah ?

Tanguy Berthemet : Le Hezbollah qui signifie en arabe « le parti de Dieu » est né en 1982, pendant la guerre civile au Liban pour lutter contre les sunnites et les chrétiens. Toutefois, c’est en 1985 que le mouvement a publié son manifeste fondateur intitulé « Lettre ouverte », qui officialise son lancement. Ce document majeur définit ses objectifs idéologiques et politiques, tels que la lutte contre l’occupation israélienne, la création d’une République islamique au Liban, et la résistance face à l’influence des puissances occidentales.

Le Hezbollah est reconnu comme une organisation terroriste par plusieurs pays, notamment les États-Unis, Israël et certains États européens, en raison de ses activités militaires et de son implication dans des attaques à l’étranger. Cependant, au Liban, en Iran et dans certaines parties du monde arabe, il est perçu comme un mouvement de résistance face à l’occupation israélienne.

Son étendue en Afrique a commencé quand, comment s’est-elle développée au départ et où son influence est surtout visible sur le continent aujourd’hui ?

Le Hezbollah, bien qu’il soit originaire du Liban, a étendu ses réseaux bien au-delà du Moyen-Orient. Avec l’effondrement de l’empire Otomman et le passage sous le protectorat français, la diaspora libanaise la plus pauvre (les chiites) a quitté le Liban pour s’installer en Afrique de l’Ouest. Au départ, établie dans les petits commerces de niche boudés par les colons, cette population a peu à peu construit des business de plus en plus florissants.

Le groupe est principalement concentré dans les régions où se trouve une diaspora libanaise importante, notamment en Afrique de l’Ouest et du Centre. Son influence en Afrique est principalement visible dans les pays où il existe une importante diaspora libanaise, comme en Afrique de l’Ouest (Côte d’Ivoire, Sénégal, Sierra Leone), ainsi que dans certaines régions d’Afrique centrale, notamment la République démocratique du Congo.

Quelles sont les principales motivations du Hezbollah pour s’implanter ainsi sur le continent ?

L’Afrique offre un terreau fertile pour le Hezbollah. Grâce à l’importante communauté libanaise présente, il peut y établir des réseaux pour lever des fonds et renforcer ses soutiens.

Cela s’inscrit dans sa stratégie globale pour trouver des sources de financement extérieures nécessaires pour poursuivre ses objectifs au Liban et dans la région, tout en cherchant à influencer des partenaires potentiels dans le cadre de sa lutte contre Israël et ses alliés.

Cette présence économique sert de levier pour le groupe, qui trouve ainsi des ressources indispensables pour continuer ses opérations, tout en étendant son influence au-delà des frontières du Moyen-Orient.

Quels sont les moyens utilisés par le Hezbollah pour développer ses réseaux en Afrique ?

Politiquement, il s’efforce de rester sous le radar tout en s’assurant le soutien tacite de certaines élites locales.

Pour se financer, il utilise une combinaison d’activités économiques comme le commerce et les affaires, mais également d’activités illégales comme le trafic de cocaïne en provenance d’Amérique du Sud et le blanchiment d’argent.

Depuis 25 ans, en partie à cause de la complexité de régulation des flux financiers transfrontaliers, le Hezbollah a compris qu’il pouvait passer à travers le continent africain pour faire circuler d’importantes sommes d’argent vers le Moyen-Orient et l’Europe. Les diasporas libanaises en Afrique et en Amérique Latine, particulièrement au Venezuela ou en Colombie, lui permettent ainsi de créer des ponts pour ce trafic de cocaïne et de blanchiment d’argent.

Ses activités caritatives et l’assistance à certaines communautés libanaises en Afrique servent aussi à renforcer cette influence.

Les gouvernements africains et la communauté internationale réagissent-ils de la même manière face à la présence croissante du Hezbollah en Afrique  ?

Les gouvernements africains ont des approches variées face à la présence du Hezbollah. Certains pays, notamment ceux qui entretiennent des relations étroites avec l’Occident, ont pris des mesures pour limiter l’influence du groupe. 

Certaines banques libanaises ont été fermées ou ont fait l’objet de restrictions sévères en Afrique en raison de soupçons de blanchiment d’argent, souvent en lien avec des allégations de financement du terrorisme, notamment en rapport avec le Hezbollah. En 2020, des succursales de banques libanaises en Afrique, notamment en Côte d’Ivoire et au Sénégal, ont été fermées en raison de leur implication présumée dans des flux financiers illicites.

La communauté internationale, en particulier les États-Unis, tente de contenir son influence à travers des sanctions économiques et diplomatiques, mais les résultats sont mitigés. La crise économique qui s’est abattue sur le Liban et l’effondrement du système monétaire libanais compliquent aujourd’hui le développement du groupe.