L’Afrique a la plus population jeune la plus importante au monde. D’ici 2030, 75% de la population africaine aura moins de 35 ans. Le nombre de jeunes Africains âgés de 15 à 24 ans devrait atteindre 500 millions en 2080.
Bien que la dynamique démographique varie sur le continent, la plupart des pays subsahariens ont un âge médian inférieur à 19 ans. Le Niger est le pays le plus jeune du monde avec un âge médian de 14,5 ans, tandis que l’Afrique du Sud, les Seychelles, la Tunisie et l’Algérie ont des âges médians supérieurs à 27 ans.
Ces données démographiques constituent une force de croissance potentielle. Toutefois, le potentiel du dividende démographique de l’Afrique a été éclipsé par les préoccupations des gouvernements et des donateurs internationaux concernant la relation entre les fortes populations de jeunes, les taux de chômage et l’instabilité politique.
De nombreux pays ayant une forte population de jeunes et des taux élevés de chômage et de sous-emploi des jeunes vivent dans la paix. Mais le discours politique dominant soutient que les jeunes chômeurs constituent une menace pour la stabilité.
En outre, le rôle des jeunes dans les manifestations populaires – comme au Soudan en 2019 – a suscité de grandes attentes quant à leur rôle dans la lutte contre les gouvernements autocratiques et la contribution à la démocratie.
En tant que politologue et sociologue, nous souhaitons comprendre l’interaction entre les jeunes et les régimes autocratiques, d’autant plus que les autocraties élues s’imposent en Afrique.
Les autocraties électorales sont des régimes élus au pouvoir en utilisant des stratégies autoritaires. Celles-ci comprennent la manipulation des élections et la répression de l’opposition, des médias indépendants et de la société civile.
Notre recherche se concentre sur les interactions entre les jeunes et les régimes en Éthiopie, au Mozambique, en Ouganda et au Zimbabwe. Il s’agit dans tous les cas d’autocraties électorales.
Ces régimes sont conscients de l’importance de leur population de jeunes qui les défient parfois. Bobi Wine, musicien populaire devenu candidat à la présidence, en est un exemple.
Les quatre pays étudiés ont également connu des guerres civiles, au cours desquelles les groupes armés victorieux ont pris le pouvoir et y sont restés depuis la fin de la guerre. Cela a créé une dynamique particulière entre les gouvernements rebelles vieillissants et la majorité des jeunes.
Dans des contextes autocratiques comme ceux-ci, les efforts visant à responsabiliser les jeunes peuvent facilement être manipulés pour servir les intérêts du régime. Certains jeunes peuvent décider de jouer le jeu et de saisir les opportunités offertes par les acteurs du régime. D’autres peuvent y résister. Certains saisissent les opportunités en espérant qu’elles servent leurs propres intérêts et non ceux du régime. Cependant, cela pourrait reproduire des formes de clientélisme.
Tout cela est important parce que l’avenir de la démocratie est en jeu et que l’utilisation des opportunités offertes par l’État pourrait contribuer à la reproduction de l’autoritarisme.
Nos équipes de recherche dans chaque pays ont étudié la panoplie de politiques mises en place par les gouvernements pour “s’occuper” des jeunes. Elles ont notamment accordé des prêts aux jeunes entrepreneurs et mis en place des conseils de jeunes et des quotas de jeunes dans les institutions politiques.
Nous avons constaté que les stratégies ciblées sur les jeunes – qui visent essentiellement à promouvoir l’emploi et la participation politique – font partie des règles du jeu dans les quatre pays que nous avons étudiés. Les programmes d’emploi et d’entreprenariat sont suscpetibles de faire l’objet d’abus par le biais des réseaux clientélistes du parti au pouvoir et ont été orientés vers les partisans du régime.
Les jeunes ne parviennet pas à sauver la démocratie
Notre recherche a révélé que les jeunes d’Éthiopie, du Mozambique, d’Ouganda et du Zimbabwe se sentaient lésés par le fait que ces opportunités étaient canalisées vers les partisans du régime. Ils ont également une restriction des opportunités pour s’exprimer de manière significative. Les institutions mises en place pour permettre la participation des jeunes ont été cooptées et ont manqué d’indépendance par rapport aux gouvernements.
Certains jeunes expriment leurs griefs par des manifestations en faveur de la démocratie, comme au Mozambique en octobre 2023. Mais dans l’ensemble, la jeunesse africaine n’est pas en train de sauver la démocratie.
Ils ne sont pas plus en train de contrer la tendance croissante de l’autocratisation sur le continent, où les gouvernements en place de plus en plus concentrent le pouvoir entre les mains de l’exécutif. Nos recherches l’ont confirmé au Zimbabwe, au Mozambique, en Éthiopie et en Ouganda.
Études de cas par pays
Au Zimbabwe, le Zanu-PF est au pouvoir depuis l’indépendance du pays en 1980. Le parti au pouvoir et bon nombre de ses dirigeants, aujourd’hui vieillissants, se servent de leur passé de vétérans de la guerre de libération des années 1970 pour conserver leur emprise sur le pouvoir.
Pour ce faire, ils créent des récits autour de l’histoire de la libération du pays et du patriotisme, et accusent la génération “née libre” (ceux qui sont nés après l’indépendance) d’avoir trahi la guerre de libération. Cela délégitime tout mécontentement que les jeunes pourraient ressentir. Le Zanu-PF cible les jeunes parmi ses larges variétés d’options stratégiques pour se maintenir au pouvoir.
Au Mozambique, le Frelimo, le parti au pouvoir, a remporté toutes les élections depuis 1992. Le parti a concentré le pouvoir et les ressources entre les mains de l’élite politique. Les jeunes continuent d’être sous-représentés et ont de grandes difficultés à accéder aux ressources. Cette situation, qui s’ajoute à d’autres dynamiques de conflit, a contribué à une insurrection dans la région septentrionale de Cabo Delgado à partir de 2017. Elle est dirigée par un groupe religieux radical appelé localement Al-Shabaab, ou parfois “machababo” (les jeunes).
Les manifestations organisées par les jeunes en Éthiopie ont contribué à la chute en 2018 du parti au pouvoir depuis 1991. Elles ont également conduit à l’arrivée au pouvoir d’Abiy Ahmed cette année-là.
La mobilisation des jeunes a depuis été réduite au silence. Seuls les loyalistes ont accès aux programmes de création d’emplois. On a également assisté à une militarisation des mouvements ethniques dominés par les jeunes. On l’a vu, par exemple, avec le groupe Fano Amhara dans la guerre du Tigré en 2020-2022.
L’Ouganda a été un pionnier dans l’institutionnalisation de la participation des jeunes à la prise de décision. L’engagement des jeunes dans les structures politiques est considéré comme un outil de contrôle du gouvernement. Nous avons constaté que les jeunes politiciens estimaient que ce système de représentation imparfait offrait des opportunités de mobilisation à la fois contre et en faveur du régime actuel. Les jeunes candidats qui se présentent à l’un des sièges du parlement réservés aux jeunes, par exemple, ne peuvent pas facilement se soustraire à la tutelle du parti au pouvoir.
La voie à suivre
La jeunesse africaine est très diversifiée. Cependant, elle a souvent été caractérisée comme étant soit violente, soit comme des artisans du changement et militants de la paix. Ces caractérisations représentent les extrémités opposées d’un spectre.
Notre projet de recherche a impliqué une diversité de jeunes dans différentes positions et en mouvement constant entre les différentes parties du spectre. Cela nous a permis de mieux comprendre la façon dont ils se comportent et réagissent face à la manière dont les régimes cherchent à les gérer.
Selon nous, la recherche et les initiatives politiques en faveur des jeunes dans les États autoritaires doivent reconnaître que les interventions bien intentionnées en faveur des jeunes peuvent reproduire les politiques autoritaires lorsqu’elles sont canalisées vers les militants du parti.
Les interventions visant à promouvoir la création d’emplois et l’autonomisation des jeunes devraient exercer un contrôle sur la manière dont les jeunes bénéficiaires sont sélectionnés et les fonds déboursés afin d’éviter toute interférence de la part d’acteurs partisans.
Lovise Aalen, Research Professor, Political Science, Chr. Michelsen Institute and Marjoke Oosterom, Research Fellow and Cluster Leader, Power and Popular Politics research cluster, Institute of Development Studies
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.