Bio de l’auteur : Brehima Sidibé est Doctorant en analyse de discours politiques à CY Cergy Paris Université, en France. Ses travaux de recherche portent sur l’analyse linguistique des discours face à l’instabilité politique au Mali.
Dans le communiqué N°044 du 11 janvier 2023, le porte-parole du gouvernement de la transition, le colonel Abdoulaye Maïga, déclare à la télévision nationale que le 14 janvier « Journée de la souveraineté retrouvée» est chômée et payée. Pour rappel, c’est le 14 janvier 2022 que le peuple malien est descendu dans les rues pour protester contre les sanctions de la communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO). Dès lors, la coexistence des deux dates, 22 septembre 1960 & 14 janvier 2022, indépendance pour l’une, souveraineté pour l’autre, traduit une certaine confusion sémantique aux conséquences politiques floues. La souveraineté est-elle différente de l’indépendance ? « Souveraineté retrouvée » suppose qu’on l’avait perdu. Peut-on célébrer ce qu’on a déjà perdu ? Que vaut désormais le 22 septembre ?
Indépendance et souveraineté : du pléonasme ?
En politique, il va sans dire que les mots ont un poids considérable. En effet, derrière chaque mot se retrouve une signification dont la portée peut impacter la vie d’une nation. Cela est encore plus vrai lorsqu’il s’agit des mots à forte connotation symbolique tels que indépendance et souveraineté. Dans l’imaginaire collectif, chacun se fait une idée de ces mots. Cependant, voyons comment ils sont définis dans le dictionnaire « Le Robert ». Selon Le Robert, le mot indépendance se définit comme suit : « Situation d’une collectivité qui n’est pas soumise à une autre. » Quant à souveraineté, elle signifie « Caractère d’un Etat qui n’est soumis à aucun autre Etat. » Ajoutons cette définition du célèbre juriste français, Louis Le Fur, « La souveraineté est la qualité de l’Etat de n’être obligé ou déterminé que par sa propre volonté, dans les limites du principe supérieur du droit et conformément au but collectif qu’il est appelé à réaliser. »
Partant de ces définitions, on comprend aisément que indépendance et souveraineté veulent dire la même chose en réalité. La cohabitation des deux termes relève donc du pléonasme.
Mali : Peut-on célébrer ce qu’on a déjà perdu ?
La subtilité dans l’expression « Journée de la souveraineté retrouvée » réside dans le mot retrouvée. En analyse de discours, il existe un concept appelé le présupposé. C’est lorsqu’on peut faire une déduction à partir de certaines constructions de mots ou expressions. En clair, « souveraineté retrouvée » suppose que le Mali avait perdu sa souveraineté obtenue le 22 septembre 1960. Dans ce cas, va-t-on continuer à célébrer cette date ? Tout porte à croire que la réponse à cette question est affirmative. C’est là que la confusion se crée. Et cette confusion n’est pas sans conséquence au plan politique. Si la date du 22 septembre 1960, jour d’indépendance proclamé par le premier président Modibo Keita, fait l’unanimité au sein de l’opinion nationale, on ne peut pas dire au tant concernant le 14 janvier. Pourtant, une telle date, censée renforcer l’unité nationale, devrait faire consensus au sein des populations. Ainsi, la pérennité du 14 janvier en tant que « Journée de la souveraineté retrouvée », chômée et payée, ne nous semble pas assurée. En effet, rien n’indique que dans le futur cette dénomination ne soit abandonnée pour les raisons évoquées plus haut d’où le flou politique.
Toutefois, loin de nous l’idée de ne pas célébrer le 14 janvier. On aurait pu opter pour une dénomination qui sied à cette date. Comme par exemple « Journée de la résilience ». Car en effet, le peuple malien a fait preuve d’une grande résilience durant la période où le pays était durement frappé par les sanctions économiques de la CEDEAO. Les autorités de transition ont su faire face aux sanctions grâce à cette résilience. Il est donc de bonne guerre de faire ce rappel sans toutefois déclarer cette journée chômée et payée qui s’ajoute sur une longue liste dans un pays en voie de développement.