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Mali : 64 ans après l’Indépendance, un État en quête de son contrat social

23 septembre 2024
10 min

Le Mali a célébré le soixante-quatrième anniversaire de l’Indépendance, dimanche 22 septembre. 64 ans après, « qu’est devenu le contrat social qui devait unir le peuple malien et son État ? » Pour Mahamadou N’fa Simpara, chercheur et analyste en Relations Internationales, auteur du livre « De l’OUA au G5 Sahel : une brève histoire de la gouvernance sécuritaire en Afrique », publié en 2022 aux Éditions L’Harmattan (Coll. Études africaines), « il ne s’agit plus de restaurer l’État tel qu’il a été imaginé en 1960, mais bien de construire un nouvel ordre politique, fondé sur des valeurs plus inclusives, sur une gouvernance plus décentralisée, et sur une reconnaissance de la diversité de nos identités ». Dans cet article d’analyse pour Tama Média, il livre son regard sur la marche du Mali, de 1960 à nos jours.

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©️ Présidence du Mali

Par Mahamadou N’fa Simpara, Chercheur et analyste en Relations Internationales


Mahamadou N’fa Simpara : nous voici, 64 ans après ce moment mythique que fut l’Indépendance du Mali. Un demi-siècle et quelques années d’un voyage singulier qui, loin d’être une ligne droite, ressemble davantage à un labyrinthe dont nous n’avons toujours pas trouvé la sortie. Si l’Indépendance, ce rêve héroïque de 1960, marqua la libération d’un joug colonial, elle souleva une question aussi existentielle qu’irrésolue : qu’est-ce qu’être un État ? Et plus encore, qu’est-ce qu’être Malien dans cet État ? Qu’est devenu le contrat social qui devait unir le peuple malien et son État ? Ce contrat, cette fiction institutionnelle, a-t-il jamais été signé ou s’agit-il simplement d’un rêve fuyant qui disparaît à chaque crise, chaque coup d’État, chaque promesse brisée ? Avons-nous réussi à construire une nation sur la base des promesses faites en 1960, ou est-il temps de réévaluer notre cheminement ?

Cette réflexion n’est pas tant un jugement sévère qu’un exercice nécessaire de lucidité. Le Mali, riche de sa diversité et de son histoire, est aussi un pays façonné par des défis qui ont parfois mis à rude épreuve l’idéal d’unité nationale. Cependant, malgré les crises politiques, les conflits armés, et les turbulences régionales, l’idée même de l’État malien persiste, parfois vacillante mais toujours présente. Ce moment de commémoration est peut-être l’occasion idéale de requestionner ce que signifie vraiment être Malien aujourd’hui et de redéfinir notre rapport à l’État : un État qui, loin d’être simplement un vestige du passé, pourrait être repensé pour mieux répondre aux réalités actuelles.

L’Indépendance du Mali : mirage ou illusion ?

Le 22 septembre 1960, le Mali proclamait son Indépendance dans un élan de fierté collective. Cette date, si emblématique, représente plus qu’une simple rupture avec l’autorité coloniale française ; elle porte la promesse d’une souveraineté retrouvée, d’une nation qui, dans son essence, devait incarner l’émancipation politique, économique, et sociale de tout un peuple. Mais cette promesse a-t-elle vraiment été tenue, ou sommes-nous les héritiers d’une illusion soigneusement entretenue ?

Car très vite, la réalité s’impose : cette Indépendance, longtemps espérée, n’a été qu’un miroir aux alouettes. Le rêve de Modibo Keïta et de ceux qui ont forgé les premières années de notre République se heurte aux dures réalités des faiblesses structurelles, des guerres intestines et de l’ingérence internationale. Le Mali, loin de se déployer en puissance régionale, se replie sur lui-même, englué dans des crises politiques à répétition, des régimes autoritaires déguisés en démocraties, et un ballet incessant de coups d’État. L’Indépendance n’a jamais été une ligne d’arrivée, mais une ligne de départ où l’on a trébuché dès le premier pas.

Et ainsi, nous avons hérité d’un État sans substance, d’un simulacre de souveraineté. Un État incapable de garantir les droits fondamentaux de ses citoyens, paralysé par une bureaucratie inefficace et une économie dépendante des bailleurs de fonds internationaux. Notre contrat social, loin de s’écrire dans le marbre de l’histoire, s’est dilué dans les sables mouvants des intérêts privés et des compromis cyniques. L’État malien est resté, pour beaucoup, un concept lointain, abstrait, incapable de répondre aux aspirations les plus élémentaires du peuple.

Le Mali, un village-État : ironie ou vérité ?

Le terme de “village-État”, utilisé ici de manière délibérément ironique, résume cruellement la réalité malienne. Car à bien des égards, l’État malien, avec ses frontières vastes et ses aspirations de grandeur, s’apparente davantage à une mosaïque de micro-pouvoirs locaux qu’à une véritable nation moderne. Il y a, dans cette juxtaposition du terme “État” avec celui de “village”, une contradiction apparente qui reflète la profonde dichotomie de notre réalité politique. Comment comprendre cette situation paradoxale ? Un pays vaste, aux frontières héritées de la colonisation, mais où le pouvoir central n’a jamais véritablement pris racine.

En vérité, le pouvoir au Mali, dans son sens classique, s’est souvent effrité à mesure qu’il s’éloignait de Bamako. L’autorité de l’État n’a que rarement dépassé les grandes villes et a fini par devenir un acteur parmi tant d’autres dans une multitude de pouvoirs locaux, tribaux, ethniques, et religieux. Il serait presque tentant de dire que le Mali est un État par intermittence, apparaissant sporadiquement dans les grands moments de crise, avant de disparaître dans l’ombre de l’indifférence quotidienne.

Les chefs de village, les leaders religieux, les milices locales, voire les cartels économiques ou les groupes armés, se substituent à l’autorité centrale. Et dans cet univers de pouvoirs fragmentés, le citoyen malien, délaissé par son propre État, se tourne vers ces entités de substitution qui, bien que contestables, apparaissent comme des garants de l’ordre local, même au prix d’une certaine forme d’autocratie.

L’effondrement du contrat social : crise d’identité ou crise d’État ?

Cet échec à construire un État fort, capable de répondre aux besoins de ses citoyens, met en lumière une crise bien plus profonde : celle de notre propre identité nationale. Qu’est-ce qu’être Malien aujourd’hui ? Comment définir cette identité dans un pays aussi hétérogène, traversé par des tensions ethniques, religieuses et régionales ?

Le contrat social malien, s’il a jamais existé, est aujourd’hui en lambeaux. Il n’a jamais été formalisé, ni même réellement discuté. Les gouvernements successifs, trop occupés à éteindre les incendies politiques et sécuritaires, ont esquivé la question fondamentale : comment lier les différentes composantes de cette nation à un projet commun ? Comment faire de ce patchwork d’ethnies, de coutumes et de croyances un tout cohérent ?

L’échec de cette entreprise se lit aujourd’hui dans la fragmentation de notre société. Au Nord, au Centre, et parfois même dans certaines régions du Sud, l’autorité de l’État n’est plus reconnue, et la loyauté se détourne des institutions publiques pour se diriger vers des formes alternatives d’organisation. Le Malien lambda, pris dans les vicissitudes de la survie quotidienne, ne se reconnaît plus dans un État qui l’ignore, et voit dans l’Indépendance une promesse trahie.

L’État à repenser : vers une nouvelle conception du pouvoir

Si l’on accepte que le Mali est aujourd’hui à la croisée des chemins, il semble indispensable de reconsidérer notre approche à l’État. Doit-on se contenter de réformer l’État malien, en renforçant son pouvoir central, ou faut-il envisager une refondation complète du contrat social ? Cette question n’est pas simplement technique ; elle est avant tout philosophique.

D’une part, il existe ceux qui croient fermement que la solution réside dans un renforcement de l’autorité centrale. Ils appellent à une “reconstruction” de l’État malien, à travers des réformes institutionnelles, une décentralisation maîtrisée, et une lutte acharnée contre la corruption et l’insécurité. Cette vision suppose que l’État, même affaibli, reste le seul garant de l’unité nationale.

D’autre part, certains proposent une vision plus radicale : celle d’une refonte complète du contrat social. Cette approche plus pragmatique et peut-être plus réaliste reconnaît que l’État malien, tel qu’il existe actuellement, n’est tout simplement pas en mesure de répondre aux aspirations de l’ensemble de ses citoyens. Il faut donc repenser la place de l’État, redéfinir ses fonctions et ses responsabilités, et accepter l’idée que certaines communautés pourraient avoir besoin d’une plus grande autonomie pour fonctionner de manière efficace et harmonieuse.

Ce débat, bien que nécessaire, soulève des questions profondes sur notre rapport à la modernité, à la démocratie, et même à la notion de progrès. Car peut-on encore croire que le modèle étatique tel qu’il a été conçu pour les nations occidentales peut s’appliquer de manière uniforme à des sociétés aussi diverses que celles de l’Afrique de l’Ouest ? Peut-être est-il temps de reconnaître que la modernité, pour nous, ne peut être une simple copie du modèle européen, mais doit être réinventée, repensée, adaptée à nos réalités spécifiques.

Vers un avenir incertain, mais possible : entre résilience et renouveau

Alors que nous célébrons 64 ans d’Indépendance, le Mali se trouve à la croisée des chemins. Jamais, depuis 1960, notre avenir n’a semblé aussi incertain. Les défis auxquels nous faisons face sont immenses : sécurité, développement, gouvernance, identité. Mais dans cette incertitude, il existe une opportunité historique : celle de (ré)écrire notre contrat social.

Il ne s’agit plus de restaurer l’État tel qu’il a été imaginé en 1960, mais bien de construire un nouvel ordre politique, fondé sur des valeurs plus inclusives, sur une gouvernance plus décentralisée, et sur une reconnaissance de la diversité de nos identités. La tâche est colossale, mais pas insurmontable. Le Mali a traversé des épreuves bien plus dures par le passé, et notre peuple a prouvé à maintes reprises qu’il était capable de résilience et de créativité. Ce moment charnière de notre histoire doit être l’occasion de refonder notre nation sur des bases nouvelles, non pas sur les ruines d’un État en déclin, mais sur l’espoir d’un avenir commun. En somme, 64 ans après l’Indépendance, nous devons embrasser ce paradoxe : le chemin vers l’avenir passe par une réinvention totale de notre passé et de notre présent. Un Mali nouveau est possible, mais il nous appartient de le rêver, de le construire, et surtout de le vivre.