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Fact check Mali : Cette vidéo est devenue virale mais elle ne date pas de cette année

01 mars 2023
7 min

Sur Twitter, un compte suivi par près de 46 000 abonnés a relayé le 22 février courant un extrait vidéo d’une d’une déclaration de l’ex-député Moussa Diarra, aujourd’hui membre du Collectif Yerewolo, prétendant qu’il s’agit d’une récente intervention médiatisée où il « s’inquiète de la situation sécuritaire [et] dénonce des défaillances ». En réalité, ses propos critiques remontent en juin 2019 lors d’une séance plénière à l’Assemblée nationale où il siégeait à l’époque.

La séquence vidéo dure deux minutes et neuf secondes. Elle est partagée le 22 février 2023 par le compte Twitter @Badciss, suivi par près de 46 000 abonnés. Son tweet a généré plus de 7 000 vues, retweeté 12 fois, cité 4 fois avec plus de 45 J’aime et plus de 2000 visionnages de la petite vidéo. L’auteur se décrit dans son bio comme “une personnalité du secteur des médias”, qui serait basée en “Côte d’Ivoire” avec comme centres d’intérêt “développement, économie, médias”.

Screenshot 20230224 045728 Twitter

Dans la légende qui accompagne la séquence que nous avons archivée via l’outil Wayback Machine, on peut lire : « Le Mali 🇲🇱 c’est un autre niveau hein. Moussa DIARRA, membre du CNT s’inquiète de la situation sécuritaire qui se dégrade de jour en jour. Dénonce des défaillances…mais tient à la ligne directrice propagandiste : “C’est la faute à la France”. 🤣🤣 ».

« Disons qu’au début de son propos il disait ce qu’il avait sur le cœur. Puis il s’est rappelé que critiquer le gouvernement peut lui coûter son poste. Donc virage à 90 degré pour accabler la France », a réagi un internaute dans la même posture que plusieurs autres. Mais certains ont voulu attirer l’attention de l’auteur du tweet, affirmant qu’il s’agirait d’une ancienne vidéo. C’est le cas du twitto malien Dr. Boubacar Diawara se décrivant dans son bio comme ” diplomé de Paris 1 Panthéon/Sorbonne, Ph.D en science politique à Paris XII/Eseignant à l’université”. « Vidéo ancienne. Je vois Boubacar Bah et Salif Traoré qui étaient tous, membres du régime du président déchu. », a-t-il réagi de son côté.

De quelle interpellation de l’ex-député Moussa Diarra s’agit-il ?

En regardant la vidéo partagée, on peut voir effectivement des anciens ministres du défunt régime d’Ibrahim Boubacar, qui sont visiblement interpellés par des députés maliens. Il s’agit de Boubacar Alpha Bah (ancien ministre de l’Administration territoriale et de la Décentralisation), Général Salif Traoré (ex-ministre de la Sécurité et de la Protection Civile de septembre 2015 à juillet 2020) et Yaya Sangaré (ancien député de 2007 à 2018, ex-ministre des Maliens de l’Extérieur et de l’Intégration africaine, puis à la tête du département ministériel de la Communication, chargé des Relations avec les Institutions, porte-parole du gouvernement). Ils furent tous ministres sous le régime d’Ibrahim Boubacar Kéïta (IBK). Ce qui laisse croire qu’il s’agit d’une interpellation des ministres du régime d’IBK à l’Assemblée nationale lors d’une de ses séances plénières.

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De gauche à gauche : Boubacar Alpha Bah, Salif Traoré et Yaya Sangaré (capture d’écran)

Après des premières recherches effectuées sur le réseau social Facebook, nous y avons retrouvé la même vidéo partagée et avec la même durée sur la page “Yérèwolo Debout sur les remparts de Kayes” : « Intervention de l’Honorable Moussa Diarra à l’Assemblée nationale », lit-on en titre sans mention de la date où cela a lieu. « Il l’a dit Haut et fort pendant que d’autres n’osaient le dire dans les salons », ajoute la légende accompagnant la séquence vidéo publiée le 21 février sur la dite page, laquelle est suivie par près 4 000 followers. Nous avons par la suite fait une capture d’écran à partir de la petite vidéo pour effectuer des recherches inversées d’images sur le moteur de recherche Bing. Dans les résultats, nous avons retrouvé la vidéo sur cette chaîne YouTube « Le Mali d’abord » où elle est postée le 15 juin 2019 avec la seule légende sans mention de la date ni du cadre : « Le député Moussa Diarra crache ses vérités au gouvernement et aux députés ».

Des nouvelles recherches dans la barre de recherche du réseau social Facebook — très populaire au Mali après WhatsApp — avec comme mots-clés « honorable moussa diarra vs général salif traoré », nous ont permis de retrouver finalement l’intégralité de la vidéo [7mns 5s] sur la page officielle de la personne concernée. Elle y est publiée le 14 juin 2019 et accompagnée par le texte de son intervention.

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Général Salif Traoré /Capture d’écran faite à partir de la vidéo intégrale disponible ici.

Son interpellation a lieu lors de la séance plénière du jeudi 13 juin où plusieurs députés ont interpellé des membres du gouvernement d’alors sur la situation sécuritaire de l’époque au centre et au nord du pays. C’était suite à l’attaque meurtrière survenue à Sobanou — village situé à 26 km de la commune de Sangha [cercle de Bandiagara] — dans la nuit du dimanche 9 au lundi 10 juin 2019. « 101 personnes ont retrouvé la mort dans ce drame », selon les chiffres communiqués un mois plus tard par les autorités communales à nos confrères de Studio Tamani. Le bilan officiel provisoire donné par le gouvernement d’alors faisait état de « 35 morts identifiées »

Qui est Moussa Diarra, l’ex-député devenu membre du Collectif Yerewolo debout ?

Moussa Diarra est une personnalité publique ces dernières années. Juriste de formation et homme politique, il est élu député du parti RPM [Rassemblement pour le Mali] en Commune IV de Bamako, la capitale malienne, sous la cinquième législature. Au parlement, Moussa Diarra occupait le poste de président de la commission en charge du travail, l’emploi, la promotion de la Femme, la Jeunesse, des Sports et la protection. Il fut également vice-président du Bureau national de la jeunesse du RPM, qui était le parti au pouvoir de 2013 à août 2020.

A l’approche des législatives de mars-avril 2020, d’où la crise sociopolitique malienne actuelle a pris en partie son envol, Moussa Diarra avait annoncé sa démission du parti au pouvoir mi-février de la même année. Il s’est fait surtout remarqué par ses discours peu favorables à la présence militaire française à l’époque au Mali, mais aussi à la Minusma, la mission onusienne au Mali. Depuis, il milite au sein du mouvement Yerewolo debout sur les remparts, reconnu proche des militaires au pouvoir, mais aussi pro-russe et anti-français. Lequel mouvement a, pour rappel, organisé notamment à Bamako plusieurs manifestations dans ce sens.

Que faut-il donc retenir ?

La vidéo a donc été sortie de son contexte à un moment où les relations entre Bamako et Paris ne sont plus en des bons termes, mais aussi dans une situation sécuritaire encore préoccupante où les autorités maliennes de transition clament une « montée en puissance » de l’armée malienne et l’acquisition de nouveaux équipements militaires —notamment auprés de leur partenaire stratégique de premier plan, la Russie.

Il faut aussi retenir que la séquence partagée a été extraite d’une vidéo d’une durée de sept minutes et cinq secondes, datant de juin 2019. Laquelle montre en réalité l’intervention de l’ex-député Moussa Diarra lors de la séance plénière à l’Assemblée nationale le 13 juin de même année, aujourd’hui un des leaders du mouvement Yerewolo debout, qui est reconnu proche des autorités maliennes de transition. Ses propos critiques, dénonçant la situation sécuritaire d’alors — et pas que, ne sont pas tout à fait adressés aux autorités maliennes de transition, dirigée par le colonel Assimi Goïta.