Mali : faut-il négocier ou dialoguer avec les groupes armés ?

La récente interview de l’ancien Premier ministre malien Moussa Mara dans “Jeune Afrique” a ravivé le débat sur la “négociation” avec les différents groupes armés qui sévissent dans le pays.

“Ceux qui sont dans l’aventure terroriste – je parle aux Maliens, pas aux étrangers de l’EIGS et du JNIM – s’ils acceptent de s’inscrire dans ce projet politique, nous pouvons discuter. Les Maliens sont toujours favorables à des négociations avec les groupes armés quels qu’ils soient. Pendant cette transition, ils l’ont de nouveau affirmé. C’est leur choix, et nous devons le respecter”. Répond Moussa Mara quand on lui demande comment réconcilier avec le Mali les rebelles indépendantistes et les terroristes qui ont des projets politiques certes différents mais comportent tous une séparation du pays, soit par la création de l’Azawad ou d’un califat. Ibrahim MAIGA, analyste et expert des questions sécuritaires au Sahel, dans une série de publications, livre son regard sur cette déclaration de l’ancien Premier ministre. Nous vous livrons la première.


Par Ibrahim Maïga, expert des questions sécuritaires au Sahel

En parcourant ses propos, il est vrai qu’on reste sur sa faim, Moussa Mara ne développant pas suffisamment les raisons qui sous-tendent son positionnement. Faute de temps ou d’espace, il s’est contenté d’affirmer que “c’est un choix des Maliens et [que] nous devons le respecter.” Pourtant, de nombreuses voix lui reprochent, non sans fondement, de ne pas avoir soutenu l’ensemble des résolutions issues des différents forums, à l’image de celles du Dialogue intermalien de 2024.

L’ancien Premier ministre aurait pu se limiter à évoquer un dialogue plutôt qu’une négociation, ce qui lui aurait évité la question embarrassante du “quoi négocier”. Le dialogue permet aux parties de mieux cerner les revendications de chaque camp, tandis que la négociation suppose que cette phase est déjà dépassée et que l’on en est à la recherche d’un compromis.

Toutefois, cette prise de parole a le mérite de remettre sur la table la question des options non militaires face à la crise que traverse le Mali depuis 2012. La réponse militaire ne saurait être un horizon indépassable. Gagner la guerre est une chose, ramener la paix en est une autre. Il peut être tentant de pousser l’avantage pour obtenir la “reddition” de l’autre camp, mais il s’agit également d’un pari risqué. L’enlisement n’étant jamais loin.

Il est essentiel de préciser que ceux qui plaident pour le dialogue comme complément à l’option militaire ne le considèrent pas non plus comme une panacée. Parmi les options non militaires, la question du dialogue est sans doute la plus controversée et la plus difficile à concrétiser.

Je profite donc de cette opportunité pour aborder le sujet. Non pas d’un point de vue philosophique — tous les conflits se terminent autour d’une table –, mais sous un angle empirique et pratique. Dans ce premier post, j’expose trois raisons qui justifient l’intérêt porté à cette option.

Trois raisons de considérer le dialogue comme une option :

  1. 𝙇’𝙚𝙣𝙙𝙤𝙜é𝙣é𝙞𝙨𝙖𝙩𝙞𝙤𝙣 𝙙𝙚 𝙡𝙖 𝙢𝙚𝙣𝙖𝙘𝙚

Les combattants et les leaders de ces groupes, autrefois originaires de pays voisins comme l’Algérie et la Mauritanie, ou de zones éloignées comme le Sahara occidental, sont maintenant pour la plupart issus des populations locales. Il ne s’agit pas d’établir des discussions avec des étrangers, mais plutôt d’échanger avec des concitoyens défendant des positions radicales.

  1. 𝙇𝙖 𝙨𝙚𝙜𝙢𝙚𝙣𝙩𝙖𝙩𝙞𝙤𝙣 𝙙𝙚𝙨 𝙜𝙧𝙤𝙪𝙥𝙚𝙨

Les recherches sur “l’extrémisme violent” au Mali montrent que les motivations des individus qui rejoignent ces groupes varient considérablement en fonction de leur position dans la hiérarchie. Les intérêts des dirigeants ne sont pas nécessairement alignés avec ceux de la base. Cela signifie qu’il y aurait potentiellement plus à négocier avec ces groupes que la simple “instauration de la charia”.

  1. 𝙇𝙚𝙨 “𝙥𝙚𝙩𝙞𝙩𝙨 𝙥𝙧écé𝙙𝙚𝙣𝙩𝙨”

S’il n’y a jamais eu jusque-là un dialogue assumé par le “haut”, de nombreuses séquences “par le bas” se sont déroulées au cours des dix dernières années pour régler des problèmes ponctuels (allègement ou levée “d’embargos” sur certaines localités, échanges de prisonniers, reprise des activités économiques dans des localités sous influence des groupes, etc.). Cette approche permettait dans certains cas de contourner le principe de non-dialogue avec cette catégorie d’acteurs et, dans d’autres, de dégager un modus vivendi dans certaines zones sous leur influence.

Ces éléments montrent qu’il peut être pertinent d’explorer la voie du dialogue, non comme une alternative exclusive à la solution militaire, mais comme un outil supplémentaire pour envisager une sortie de crise durable.

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