Mali – Jihadistes du Jnim et rebelles touaregs : enquête sur leur projet d’union contre le pouvoir militaire de Bamako

Au Mali, le Groupe de soutien à l’Islam et aux musulmans (Gsim) et le Front de libération de l’Azawad (FLA) ont entamé des pourparlers en vue d’une alliance durable face à un ennemi commun désigné : le pouvoir de Bamako. Les rebelles militent pour une indépendance du Nord Mali alors que les jihadistes veulent s’appuyer sur le modèle syrien pour prendre le pouvoir central. Une entreprise qui n’est pas sans grands obstacles.

Au cours des deux premières semaines d’avril, le Groupe de soutien à l’Islam et aux musulmans (Gsim), connu sous l’acronyme arabe Jnim, a publié sur ses plateformes de communication une séquence vidéo présentant ses principaux dirigeants rassemblés près d’une tente, quelques jours après les célébrations de l’Aïd el-Fitr clôturant l’édition 2025 du Ramadan. Cette vidéo d’une durée de treize minutes met en vedette Mahmoud Barry, surnommé Abou Yahya, personnalité jihadiste reconnue et membre influent du Conseil consultatif du Jnim (Jama’at Nusrat ul-Islam wa al-Muslimin), qui y délivre un discours combatif associant incitations au jihad et reproches envers les gouvernements militaires sahéliens, accusés de brutalités contre les populations civiles.

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Il s’est avéré, ultérieurement, que cette assemblée organisée dans le centre du Mali ne rassemblait pas exclusivement les responsables du Jnim comme Iyad Ag Ghali, son dirigeant, Amadou Koufa, commandant de la Katiba du Macina et lieutenant de cette coalition jihadiste, ou Sedan Ag Hitta, gouverneur de Kidal pour l’organisation. Un protagoniste de l’insurrection nordiste y assistait également : Alghabass Ag Intalla. Sa participation a été attestée à Tama Média par un membre du Front de libération de l’Azawad (FLA), la coalition séparatiste qui a succédé en décembre 2024 au Cadre stratégique permanent pour la défense du peuple de l’Azawad (CSP-DPA). « Il participait pour représenter les pourparlers actuels entre le Jnim et le FLA », confirme notre interlocuteur.

Ces deux formations, l’une séparatiste et l’autre jihadiste, engagent depuis plusieurs mois des consultations visant une entente contre un adversaire commun désigné : l’administration militaire de Bamako et ses partenaires russes du groupe Wagner ou d’Africa Corps. « L’adversaire prioritaire, c’est Bamako », déclarait Alghabass Ag Intalla en novembre 2024 au journaliste Wassim Nasr, précisant qu’« en 2023, l’absence de coordination tactique et militaire a provoqué plusieurs échecs, particulièrement dans le Nord, à Kidal ».

Cette ville, fief traditionnel de la rébellion touarègue, a été effectivement reconquise le 14 novembre 2023 par les troupes maliennes (et alliés russes) après presque dix années d’absence. Le FLA administrait alors cette cité nordiste sous l’étendard du Cadre stratégique permanent pour la paix, la sécurité et le développement (CSP-PSD). Cette réussite militaire a représenté un moment décisif pour les dirigeants maliens de transition conduits par le colonel bombardé général cinq étoiles, Assimi Goita, qui s’en était d’ailleurs réjoui sur X (ex-Twitter). « Notre mission demeure inachevée, a-t-il déclaré. Je souligne qu’elle vise à récupérer et à protéger l’intégrité territoriale, sans exception aucune, conformément aux résolutions du Conseil de Sécurité. »

Depuis le second coup d’État de mai 2021, qualifié de « rectification » par ses auteurs et mettant fin à une courte transition dirigée par Bah N’Daw et son Premier ministre Moctar Ouane, après la chute d’Ibrahim Boubacar Keïta en août 2020, le gouvernement de transition a renforcé son autorité, assumant un alignement avec la Russie, au détriment notamment de la présence militaire française.

Dissiper les malentendus ?

Face à cette nouvelle configuration du pouvoir, le Front de libération de l’Azawad (FLA) et le Groupe de soutien à l’Islam et aux musulmans (Gsim) considèrent que ce « nouveau » rapprochement devrait finalement leur permettre de conduire des opérations communes. 

L’ambition pour le groupe jihadiste, c’est de s’emparer du pouvoir à Bamako; et l’autonomie de l’Azawad pour le FLA. Pour cela, chacun devrait toutefois accepter des compromis importants : pour les jihadistes, se détacher d’Al-Qaïda ; pour les séparatistes, accepter l’instauration de la loi islamique dans les territoires sous administration conjointe.

Sollicité par Tama Média, Mohamed (prénom modifié), fin observateur des dynamiques sécuritaires au Sahel central, estime néanmoins qu’il s’agit d’un rapprochement qui ne constitue pas une tâche aisée. « Le FLA est constitué de groupes avec des orientations jihadistes différentes même si l’objectif demeure l’indépendance de l’Azawad. Il y a le MNLA (Mouvement national de libération de l’Azawad) qui est un groupe séparatiste avec une idéologie laïque. Il y a aussi le Haut Conseil pour l’Unité de l’Azawad (HCUA), une scission d’Ansar Dine qui est d’orientation salafiste et qui a constamment été soupçonné de proximité avec Iyad Ag Ghali », a-t-il analysé, sous le couvert de l’anonymat pour des raisons sécuritaires. Au sein du Jnim, fait-il encore observer, des tensions peuvent également émerger parmi les dirigeants appartenant à des communautés distinctes. « Amadou Koufa et Jaffar Dicko appartiennent à la communauté peule, et ne partagent pas nécessairement les aspirations séparatistes des Touaregs », souligne-t-il.

Malgré tous ces défis, certaines sources contactées affirment que le Jnim a consenti à s’exprimer d’une seule voix et d’évoluer vers une alliance avec le FLA, au risque même d’une séparation de principe avec Al-Qaïda (comme demandé par la partie en face). Selon toujours ces sources, le FLA exige une déclaration publique avant toute progression concrète. À ce stade, elle n’a toujours pas eu lieu, freinant le processus devant conduire les deux groupes à un accord durable.

« Il y a une commission composée de cinq représentants de chaque camp, et la rencontre organisée à l’occasion de l’Aïd était la seconde après un premier rendez-vous à Tinzaouatène », précise notre source. Ce qui a été confirmé par une autre source proche du FLA. Les discussions, menées par Alghabass Ag Intalla (FLA) et par Sedan Ag Hitta (Jnim), sont toujours en cours.

Le modèle syrien en perspective

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Ahmed al-Charaa, également connu par son nom de guerre d’Abou Mohammed al-Joulani, devenu président par intérim de la Syrie

Si le Jnim est disposé à aller si loin même s’il n’a pas encore franchi le pas, c’est parce que le groupe affilié à Al-Qaïda au Sahel, serait séduit par l’exemple syrien. Un humanitaire connaissant bien la région estime que la coalition jihadiste, regroupant Ansar Dine, Al Mourabitoune, la Katiba du Macina et l’Émirat du Sahara d’Aqmi, chercherait à reproduire le modèle syrien.

En Syrie, l’ancien chef jihadiste Abou Mohamed al-Joulani, qui a successivement représenté l’État islamique puis Al-Qaïda, a pris le pouvoir en décembre 2024 à la tête d’une vaste alliance. Mais pour y parvenir, celui qui se fait aujourd’hui appeler Ahmed al-Charaa a rompu en 2016 son allégeance à Al-Qaïda, créant Hayat Tahrir al-Sham (HTS), une structure à ancrage local visant à apparaître comme un acteur de gouvernance modéré.

Ce repositionnement lui a permis non seulement de se « normaliser » sur le terrain, mais aussi de gagner en légitimité aux yeux d’une partie de la communauté internationale, selon plusieurs experts du Moyen-Orient.

Un modèle qui séduirait Iyad et ses alliés, affirmant inscrire leurs actions dans la protection des civils face aux exactions attribuées aux armées et à leurs supplétifs, notamment russes. C’est d’ailleurs le sens du message de Sedan Ag Hita qui remonte en août 2024. Le négociateur des discussions pour le Jnim avait, dans ce discours, émis des critiques contre les régimes de transition à durée indéterminée du Sahel, les accusant de « violences systématiques » contre les innocents, avec la complicité de la Russie et de la Turquie. Pour rallier les populations à leur cause, il a appelé « les musulmans à se soulever contre les putschistes soutenus par les Russes et la Turquie » et à accomplir le jihad.

Depuis, les opérations se sont intensifiées au Mali, avec une concentration sur des villes stratégiques telles que Bamako. Par exemple, dimanche 1er juin, le Jnim a mené trois attaques autour de la capitale malienne, déjà visée en septembre 2024 par une double offensive contre l’école de gendarmerie de Faladié et l’aéroport international Bamako Sénou. Mais, pour notre observateur, ces actions ne suffisent pas pour prendre le pouvoir comme l’a fait l’ancien jihadiste syrien, Ahmed al-Charaa. « L’obstacle pour le Jnim reste la gestion des grandes villes, l’organisation et le contrôle », indique-t-il. 

Pour lui, « contrairement aux rebelles syriens, le Jnim n’a pas une maîtrise totale des combattants même s’il est beaucoup mieux organisé que son rival de l’État islamique au Sahel ». En plus, ajoute-t-il, la principale tactique du Jnim sur le terrain reste l’effet de surprise, donc « difficile qu’il tienne en allant à la confrontation directe ». Notre observateur rappelle au passage que « jusqu’à présent, les positions attaquées par le Jnim restent des positions avancées avec moins de 200 éléments présents dans les camps militaires ».

À cela, il ajoute l’incapacité du Groupe de soutien à l’Islam et aux musulmans (Gsim) « à prendre le contrôle de zones urbaines et à s’y établir », comme le montre le cas de Tombouctou, lundi 2 juin où l’armée malienne a affirmé avoir repoussé une attaque complexe des jihadistes, indiquant avoir tué 13 assaillants là où le Gsim habitué à fournir des bilans précis s’est limité à compter « plusieurs dizaines de militaires tués ».

Cependant, si pour le Mali, le Jnim semble être incapable de maintenir des positions dans la durée et de contrôler de grandes villes comme l’a fait HTS (Hayat Tahrir al-Cham) en Syrie à Idlib pendant des années avant d’aller à l’assaut de Damas, au Burkina, les jihadistes ont montré leurs capacités à faire tomber de grandes localités comme Djibo et Diapaga, mais dans ces cas aussi l’occupation fut de courte durée – seulement de quelques heures.

Cette incapacité des jihadistes ouest-africains à stabiliser leurs gains militaires illustre leur faiblesse structurelle persistante, limitant pour l’instant leur capacité à accéder au pouvoir par les armes dans l’un des pays du Sahel. Mais pendant que leur ambition piétine, ce sont les civils qui en paient le lourd tribut.

Le commandement jihadiste fait face à un autre défi majeur : la discipline de ses troupes. Mahmoud Barry, l’un des chefs du Jnim a récemment été contraint d’appeler à la retenue, après que des combattants burkinabè ont inondé les réseaux sociaux de vidéos triomphalistes. Ces démonstrations tapageuses ont non seulement révélé un manque de contrôle hiérarchique, mais aussi ravivé les divisions internes. Ce climat de dissension affaiblit davantage un projet jihadiste déjà mis à mal par les recompositions politiques et sécuritaires dans un Sahel – et une Afrique de l’Ouest – en pleine mutation.

Malgré leur rupture avec la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao), le Mali et le Burkina Faso – respectivement quatrième et premier pays les plus touchés par le terrorisme en 2024 selon l’Indice mondial du terrorisme – cherchent à tisser de nouveaux partenariats régionaux. En parallèle, des pays comme le Sénégal et le Ghana, qui ont connu des alternances politiques cette même année, ont exprimé leur volonté de renforcer leur coopération diplomatique et sécuritaire avec les membres de l’Alliance des États du Sahel (AES), dans une tentative de contenir une insurrection jihadiste qui, à terme, pourrait ne laisser aucun pays à l’abri.

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