A Bamako, au Mali, la Maison de la presse a subi lundi 20 février un saccage sans précédent. Elle accueillait une conférence de presse au cours de laquelle un groupe hétéroclite composé de politiques et d’acteurs de la société civile a annoncé la création d’un nouveau mouvement baptisé « Appel du 20 février pour sauver le Mali ».
Pour parler à la presse, c’est le lieu que beaucoup de politiques maliens ou organisations choisissent souvent pour tenir leurs conférences de presse. Alors que l’activité des partis politiques et le débat public sont en berne au Mali depuis plusieurs mois, la Maison de la presse de Bamako voudrait continuer à être “le temple sacré de l’expression plurielle”. Mais afficher une telle Foi en la démocratie n’est pas sans risque. Le lundi 20 février, à partir de 14 heures, elle abritait une conférence de presse d’un mouvement hétéroclite composé de partis politiques, ainsi que d’organisations de la société civile. L’information qu’ils sont venus annoncer : la création d’un nouveau mouvement dénommé “Appel du 20 février pour sauver le Mali”. Mais rien ne se passe comme prévu. L’un des initiateurs de ce mouvement s’appelle Issa Kaou Djim. Un nom et un visage connu des Maliens, désormais un fervent critique du pouvoir de Bamako, il a été membre de l’organe législatif de la transition, le Conseil national de transition (CNT), avant d’être exclu.
Alors que la conférence de presse se déroulerait devant un parterre de personnalités publiques et de journalistes, un groupe d’individus, essentiellement des jeunes, présumés hostiles à Kaou Djim fait irruption dans la salle. La conférence de presse est alors interrompue. Et la suite : un saccage des locaux de la Maison de la presse. Juste après les faits, plusieurs images ont circulé sur les réseaux sociaux, attestant le saccage inédit et l’ampleur des dégâts. L’on voit notamment ça et là, des vitres brisées, des portes défoncées. Une première dans ce haut lieu qui se définit comme symbole de l’expression plurielle au Mali, bâti sous le régime démocratique de feu Amadou Toumani Touré.
Dans un communiqué signé par son président Bandiougou Danté, la Maison de la Presse a condamné « avec la dernière vigueur cet acte violent ». Elle a rappelé « que, quels que soient les motifs et qui que soient les auteurs, le saccage du haut lieu des expressions plurielles est indigne de notre Mali qui se veut un havre de paix ». La faitière des médias a aussi indiqué avoir fait appel à un huissier de justice « pour constater les dégâts ». Et dit se réserver « le droit de porter plainte contre ceux-là qui ont perpétré ce vandalisme ». De son côté, le groupement patronal de la presse écrite a jugé « inadmissible et injustifiée une violence d’une telle intensité dans cette enceinte et exhorte son directoire à tout mettre en œuvre pour tirer au clair les circonstances du saccage, démasquer ses instigateurs et les interpeler par-devant qui de droit ».
Une voix désormais critique du pouvoir de Bamako
Issa Kaou Djim est un visage bien connu du paysage politique et médiatique du Mali. Tribun, il fut l’un des principaux animateurs du mouvement hétéroclite M5-RFP qui a précipité la chute de l’ex-président Ibrahim Boubacar Kéïta. Il est par la suite nommé membre du Conseil national de transition (CNT), l’organe législatif de la transition, où il assumait les fonctions de quatrième vice-président. A l’époque, il clamait haut et fort son soutien au colonel Assimi Goïta, vice-président puis président de la transition. Après son retrait forcé du CNT par décret présidentiel — à la suite d’une interview accordée à une page Facebook — il est poursuivi par la justice malienne pour “atteinte aux crédits de l’État et injures commises via les réseaux sociaux”. Il est condamné en décembre 2021 par le tribunal de la commune 4 de Bamako à six mois de prison avec sursis et une amende de 500 00 fcfa.
Depuis, il s’est rapproché du Cadre des partis et regroupements politiques pour le retour à l’ordre constitutionnel. A la tête du parti ACRT FASO KAWELE, l’ex-soutien aux militaires se présente désormais comme un homme politique fervent défenseur de la démocratie, regrettant au passage son soutien jadis aux nouveaux maîtres de Bamako. Dans un récent entretien accordé à une chaîne de télévision locale, il a estimé que “nous sommes dans une dictature en gestation” et que le président de la transition et ainsi que ses camarades devraient quitter le pouvoir et retourner dans les casernes, pour permettre l’organisation d’élections et le retour des civils aux affaires.
“Rétrécissement continu de l’espace civique”
Selon de nombreux rapports d’organisations nationales et internationales de défense des droits de l’Homme, il y a eu au Mali ces derniers mois “un rétrécissement continu de l’espace civique et de l’autocensure” que s’appliquerait bon nombre de citoyens critiques du pouvoir pour éviter d’éventuelles représailles.
« Je suis extrêmement préoccupé par le rétrécissement de l’espace civique, de la liberté d’expression et d’association, et par l’aggravation de l’autocensure, comme l’illustrent les attaques contre les défenseurs des droits humains dénoncées par plusieurs acteurs, dont la Commission nationale des droits de l’homme du Mali. J’ai moi-même fait l’objet d’attaques verbales sur les réseaux sociaux avant et pendant ma visite », a déclaré l’expert indépendant de l’ONU sur la situation des droits de l’homme au Mali, le Sénégalais Alioune Tine, dans un document publié le 20 février à la suite de sa visite officielle dans le pays du 6 au 17 février. Dans sa déclaration de dix pages, l’expert indépendant de l’ONU a notamment recommandé aux autorités maliennes de transition de protéger l’espace civique et respecter la liberté d’expression et d’association. Au moment où nous mettons cet article sous presse, le pouvoir de Bamako n’a pas encore réagi au saccage des locaux de la Maison de la Presse.