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Mauritanie : l’élection présidentielle de ce 29 juin est-elle jouée d’avance ?

29 juin 2024
7 min


Sept candidats sont en lice pour le scrutin de ce samedi. La Mauritanie, située entre l’Afrique subsaharienne et le Maghreb, aborde un carrefour décisif de son Histoire politique. Pour beaucoup, la victoire du président sortant Mohamed Ould Cheikh Ghazouani est certaine. Ce qui est sûr, cette élection cristallise des enjeux majeurs et soulève des questions capitales sur la gouvernance, l’économie, la sécurité et l’unité nationale.


Par Jean-Charles KABORÉ


La Mauritanie est à l’aube d’une échéance électorale cruciale. Ce 29 juin 2024, les électeurs se rendront aux urnes pour choisir leur prochain dirigeant dans un contexte marqué par des défis multiples et complexes. Au total, sept candidats briguent la magistrature suprême.

Pour Moussa Hamed, Directeur de publication du quotidien Biladi, « il n’y a guère de suspense. Le président sortant est en mesure de l’emporter haut la main ». Même son de cloche chez sa consœur Maïmouna Lo : « Ghazouani va gagner ».

Si Mohamed Ould Cheikh Ghazouani part largement favori, la véritable interrogation porte alors sur l’ampleur de son triomphe et le taux de participation au scrutin. Le rendez-vous d’aujourd’hui intervient dans un contexte où la Mauritanie est confrontée à des défis majeurs. Ils se nomment développement économique, emploi des jeunes, sécurité régionale, cohésion sociale et consolidation démocratique.

Les espoirs sont énormes et les inquiétudes palpables. Au-delà du simple choix d’un chef de l’État, cette élection s’annonce comme un baromètre de la maturité politique du pays et de sa capacité à relever les défis qui l’attendent dans un monde en mutation rapide.

Malgré l’apparente prévisibilité du résultat, les enjeux restent considérables. Pour Mame Gor Ngom, journaliste et analyste politique sénégalais, « le principal enjeu demeure la jeunesse, cette immense force inemployée. » Avec plus de 60 % de la population âgée de moins de 25 ans, le chômage des jeunes y représente une « bombe sociale ». C’est pourquoi, estime-t-il, « il faudrait vite trouver une alternative à l’émigration irrégulière et à cette soif de travail, de préoccupations. »

Face à cette situation, les candidats ont tous accordé une place importante à la jeunesse dans leurs programmes respectifs, conscients des urgences de l’heure. Le président sortant a notamment promis de consacrer son second mandat selon la Constitution en vigueur à cette frange très significative de la population.

Par ailleurs, l’exploitation des ressources naturelles, notamment le gaz, a également figuré parmi les thèmes de campagne. Amadou Seck, Directeur de publication de Nouakchott Times, note que « l’enjeu de l’exploitation du gaz n’échappe pas aux candidats », soulignant l’importance de ce secteur pour l’avenir économique du pays. Nouakchott est notamment engagé dans le projet gazier Grand Tortue Ahmeyim (GTA), partagé avec le Sénégal, dont la production devrait bientôt débuter.

La position géographique unique de la Mauritanie, à la jonction entre l’Afrique de l’Ouest et le Maghreb, soulève aussi des questions cruciales. À ce propos, M. Seck met en avant « l’enjeu récurrent de l’unité du pays » et « les questions de cohabitation entre les différentes communautés ».

Dans une sous-région instable, la sécurité demeure une préoccupation majeure. « La sécurité sous-régionale et nos frontières préoccupent les candidats, d’autant plus que les incidents se sont multipliés ces derniers temps à la frontière avec le Mali », précise Amadou Seck.

Un président sortant au bilan contrasté

Mohamed Ould Cheikh Ghazouani, donné favori pour sa réélection, met en avant son bilan et promet de poursuivre les réformes engagées depuis son arrivée au pouvoir en 2019. Cependant, les avis sur son mandat sont mitigés.

Moussa Hamed reconnaît que « le président sortant a apporté la sérénité au débat politique tendu depuis le début du processus démocratique, il y a plus de trois décennies. » Il souligne dans ce sens son attention particulière envers les couches déshéritées et le délicat problème de l’unité nationale.

À en croire le Directeur de publication de Nouakchott Times, 1,5 million de personnes ont reçu des transferts d’argent et 100 mille Mauritaniens ont bénéficié d’une assurance maladie grâce à un programme initié par l’actuel chef de l’État et dont l’objectif est de réduire la fracture sociale.

Néanmoins, M. Hamed pointe du doigt les faiblesses, notamment l’échec dans la lutte contre la gabegie et le détournement des fonds publics. M. Ngom parle d’un « bilan mi-figue mi-raisin », notant une certaine volonté affichée de reddition des comptes qui a abouti à l’incarcération de l’ancien président Mohamed Ould Abdel Aziz, tout en regrettant que « les choses ne soient pas allées au bout. » Sur le plan économique, des progrès ont été réalisés, notamment dans le secteur gazier.

Face à l’actuel locataire du palais, il y a six candidats. Le plus en vue est Biram Ould Dah Ould Abeid. Mame Gor Ngom estime que, « sans nul doute, le militant des droits de l’Homme est le candidat de l’opposition le mieux placé. Il s’est classé deuxième à la Présidentielle de 2019. Il est assez expérimenté et bénéficie d’un certain crédit par rapport aux autres ».

Toutefois, Moussa Hamed tempère ces prévisions. « Il semble probable qu’il obtienne beaucoup moins que 19 % des suffrages valablement exprimés, son score en 2019 », a-t-il indiqué.

Les autres candidats, bien que représentant diverses communautés et tendances politiques, sont considérés comme « nouveaux et inexpérimentés » par M. Hamed qui prédit qu’ils « risquent d’obtenir des résultats très bas ».

Quid de la transparence du scrutin ?

La crédibilité du processus électoral est un sujet de préoccupation majeure. Les opinions divergent quant à la transparence attendue de cette élection. La journaliste Maïmouna Lo exprime ainsi un fort scepticisme. « Je ne crois pas à la transparence et à la crédibilité du scrutin. Ma conviction est que si nous avons une élection transparente et crédible, le président sortant ne pourra pas l’emporter dès le premier tour », affirme-t-elle.

Lors des récentes élections législatives, régionales et municipales, l’opposition a dénoncé de nombreux cas de fraudes, allant jusqu’à accuser la Commission électorale nationale indépendante (Céni) d’avoir joué un rôle dans les irrégularités constatées, rappelle Amadou Seck, déplorant que « peu de choses aient changé » depuis lors.

Mame Gor Ngom nuance ce constat et note qu’on ne peut pas avoir totalement confiance à l’organisation du scrutin, mais en Mauritanie comme ailleurs en Afrique, « il devient de plus en plus difficile de voler des élections ».

Moussa Hamed apporte une perspective plus optimiste sur certains aspects du processus et soutient qu’à l’intérieur des bureaux de vote, « les opérations semblent honnêtes et transparentes ».

Pour améliorer la gouvernance et lutter contre la corruption, le président sortant a promis de créer une agence dédiée. L’éducation « est en crise depuis une cinquantaine d’années en raison de plusieurs réformes qui ont pratiquement échoué », souligne Amadou Seck. La refonte du système d’enseignement pour répondre aux besoins du marché du travail et aux aspirations de la jeunesse est une aspiration du corps électoral.

Le renforcement de l’unité nationale et la promotion de la justice sociale, notamment en ce qui concerne la question sensible des Négro-Mauritaniens, devront en outre être au cœur des priorités du prochain mandat présidentiel.