[Les Grands entretiens de Tama Média] Plus jeune Premier ministre de l’histoire du Mali, à 39 ans seulement, sous la présidence du défunt Ibrahim Boubacar Keïta, Moussa Mara a auparavant dirigé le ministère de l’Urbanisme et de la Politique de la Ville.
L’ancien maire et député de la Commune IV de Bamako, fondateur du parti Yéléma (changement, en langue bambara), est également auteur de plusieurs livres dont « Cultivons nos Afriques : Pour une renaissance culturelle africaine », « Jeunesse africaine – Le grand défi à relever » et « Pour un Mali meilleur ».
Dans cette interview accordée à Tama Média, M. Mara, aujourd’hui âgé de 48 ans, décline sa vision des relations entre l’Afrique et le reste du monde, mais aussi livre sans ambiguïté son regard sur la transition au Mali, la situation politique et économique du pays, les retraits de la Minusma et de la force française Barkhane ainsi que la multiplication des coups d’État en Afrique. Entretien exclusif.
Quel regard portez-vous sur la marche de la transition au Mali ?
Il y a eu de bonnes intentions au début. Il y a encore la volonté de bien faire. Quelques avancées méritent d’être soulignées comme le renforcement des moyens des forces armées, l’organisation du référendum constitutionnel, la production agricole importante en 2021 et surtout le maintien d’une grande ferveur patriotique dans notre pays. Cette ferveur reste indispensable pour sortir le Mali des difficultés dans les années à venir.
La transition ne peut toutefois tout faire. Elle intervient dans un contexte difficile. Des ruptures avec des partenaires limitent nos ressources et les besoins restent significatifs. Il nous faut maintenant tous nous impliquer pour obtenir une issue heureuse au processus à travers des élections crédibles et organisées de manière inclusive.
Sur les plans politique et économique, comment se porte votre pays ?
La situation politique est stable et les acteurs font ce qu’ils peuvent pour exister, travailler, s’organiser et se positionner malgré l’arrêt depuis 5 ans du financement public des partis. Le processus électoral doit être plus dynamique et plus inclusif.
Je suggère à nos autorités d’avoir une plus grande régularité dans les rencontres et les concertations avec les acteurs politiques. Le chronogramme réajusté doit être disponible rapidement et nous devons travailler tous ensemble à le mettre en place, semaine après semaine. C’est cela qui nous aidera à sortir de cette période par le haut.
L’économie du pays est dans une situation plus difficile du fait de la conjonction de facteurs structurels (guerre en Ukraine, environnement post-Covid-19, changement climatique) et conjoncturels (ralentissement de partenariats, isolement du pays, campagne agricole précédente compliquée, réduction des moyens d’intervention de l’État…). Le facteur positif de cette situation est la grande résilience de nos compatriotes. C’est une chance pour notre pays.
Que faut-il faire maintenant pour redresser la barre ?
La refondation du Mali est indispensable. Car jamais dans notre pays, les Maliens n’ont eu autant de défiance à l’égard de leurs leaders, de leur pays et même entre eux-mêmes. Nous ne pouvons pas continuer ainsi. Ce constat est valable pour beaucoup de pays en Afrique. La solution est simple, même si elle reste difficile à mettre en œuvre.
Nous devons d’abord cultiver l’exemplarité du leadership. Ensuite, il nous faut dire la vérité à nos compatriotes sur la réalité de la situation du pays sur tous les plans (social, politique, sécuritaire, économique…) et, enfin, nous engager dans la direction du redressement où chacun doit faire sa part du travail à commencer par ceux qui dirigent.
Quelques principes guideront la réussite de tout cela. Il faut donner la priorité absolue à la méritocratie. Mettons les hommes qu’il faut aux places qu’il faut et évitons de confier des responsabilités en nous basant sur l’appartenance partisane, les liens familiaux ou ethniques… En travaillant sans relâche selon ces règles, nous réussirons.
Que vous inspirent les dernières réformes institutionnelles au Mali ?
Dans un pays en crise, la nécessité de réforme est évidente. Et, comme les crises auxquelles nous faisons face sont structurelles, les reformes doivent viser la structure de nos États et de nos vies publiques. Ce qui rend indispensable de toucher aux institutions elles-mêmes. C’est ce qui explique que, depuis quelques années, le principe de réforme constitutionnelle et institutionnelle est évoqué dans notre pays, mais aussi dans beaucoup d’autres.
L’idée d’une fédération avec le Burkina Faso a été émise par certains activistes et hommes politiques. Est-ce pertinent, selon vous ?
Cette idée évoquée, il y a quelques mois [depuis la visite du Premier ministre burkinabè, Me Apollinaire de Tambela, à Bamako, 31 janvier et 1er février 2023], ne semble plus dans l’actualité des deux pays en ce moment. Il y a un mois, il a été organisé la grande commission mixte Burkina – Mali à Bamako, un cadre de coopération classique entre pays. Cela fait penser que la ferveur de la fédération est tombée et que nous maintenons un cadre de coopération standard avec le pays frère du Burkina. La fédération est un projet stratégique qui nécessite d’être pensé, réfléchi, organisé et planifié avant d’être annoncé. Après ce processus, il peut être déroulé. Cela ne semble pas avoir été le cas de ce projet.
Comment analysez-vous les départs des forces de la Minusma et de Barkhane ?
Le départ des troupes étrangères de notre territoire doit rester l’objectif de tout gouvernement. Il faut travailler à obtenir cela de manière organisée et sans impact significatif. Il faut ensuite s’organiser pour y faire face sur les plans sécuritaire, économique et social. Pour Barkane [dont le dernier soldat a quitté le sol malien le 15 août 2022], cela s’est assez bien passé, mais il reste des enjeux dans la région de Ménaka.
Pour la Minusma [Mission multidimensionnelle intégrée des Nations Unies pour la stabilisation au Mali], il est un peu tôt de situer les impacts dans la mesure où le processus est en cours. Souhaitons que nos autorités aient une claire perception de toutes leurs responsabilités face à ce départ. Et, surtout, elles doivent travailler à ce que le vide ne crée des situations de confrontations militaires entre les parties signataires de l’Accord d’Alger.
Justement, que préconisez-vous pour éviter une reprise des affrontements entre l’armée régulière et les ex-rebelles ?
Le bon sens doit prévaloir. De part et d’autre, nous devons nous convaincre que personne ne gagnera dans la confrontation militaire entre Maliens car nous finirons toujours par nous retrouver pour négocier et discuter. Nous avons un cadre d’entente que constitue l’Accord d’Alger. Mettons-le en place et si nous estimons qu’il doit être relu, alors relisons-le !
Sur le plan strictement militaire, un dialogue direct entre Maliens peut permettre de diminuer les tensions et de trouver une solution à la question des camps laissés par la Minusma. Pourquoi ne pas profiter de cette occasion pour accélérer le DDR [programme de désarmement, démobilisation et réintégration] et mettre en place les premiers bataillons de l’armée reconstituée ? Nous avons les capacités de gérer cette situation et même d’en profiter pour accélérer la pacification du Nord de notre pays. Mais, pour ce faire, il faut avoir la volonté de faire réellement la paix et non de vouloir vaincre militairement.
Dans un contexte d’instabilité politique et d’insécurité, la Russie accentue sa présence en Afrique. Au Mali, il y a des instructeurs militaires russes pour les uns et des mercenaires de Wagner pour les autres. Quoi qu’il en soit, Moscou et Bamako affichent une bonne entente. Quelle lecture faites-vous de cette nouvelle donne ?
Le Mali a toujours collaboré avec la Russie. En ce qui concerne la présence supposée de Wagner, je préfère m’en tenir au discours officiel de la collaboration avec la fédération de Russie [Bamako dit coopérer avec des instructeurs russes, d’État à État, alors qu’une partie de la communauté internationale estime que ce sont des mercenaires de la société paramilitaire privée Wagner]. Un pays comme le Mali doit miser sur la diversification de ses partenariats car les partenaires ont tous des avantages comparatifs dans certains domaines. Il faut éviter de s’enfermer dans un partenariat unique ou unipolaire.
Les 27 et 28 juillet 2023, à Saint-Pétersbourg, s’est tenu le 2e Sommet Russie-Afrique. La France, les États-Unis ou encore la Chine organisent aussi ce genre de rencontres. Êtes-vous convaincu de leur utilité pour le continent africain ?
Les intérêts des puissances internationales pour l’Afrique sont toujours positifs. Nous devons apprendre à les traduire en actes concrets sur le continent. De manière stratégique, je conseillerais à l’Afrique de revoir le format des sommets entre elle et les puissances extérieures. La représentation de l’Afrique doit être plus compacte et plus restreinte. Pourquoi ne pas faire représenter le continent par le président de l’Union Africaine (UA) assisté par le président de la Commission de l’UA ? Et, ensuite, aborder les questions d’intérêt continental uniquement en voyant ce que chaque puissance peut apporter dans cette perspective. Par exemple, ne parler que de la présence de l’Afrique au Conseil de sécurité des Nations Unies en tant que membre permanent, ou comment financer le grand barrage de INGA 3 [République démocratique du Congo] en mesure de fournir de l’énergie à toute l’Afrique, ou bien la question de la dette du continent…
Que pensez-vous de l’abandon du franc CFA et quelles en seraient les implications ?
Cet abandon est acté et n’est qu’une question de temps. Le franc CFA est anachronique et cristallise beaucoup de récriminations pour être gardé en tant que tel. La souveraineté exige que nous ayons notre propre monnaie. Celle-ci doit garder ce qui fait la force du franc CFA et corriger ses faiblesses.
Au chapitre des forces, l’union – le fait pour nous de rester ensemble avec la même monnaie – est absolument indispensable. Et là, nous faisons même mieux puisque nous serons avec sept autres pays pour former la zone monétaire la plus puissante d’Afrique [Union économique et monétaire ouest-africaine, Uemoa] et sans doute la monnaie la plus attractive du continent. Nous devons donc aller ensemble vers l’Eco [une nouvelle monnaie commune].
La seconde force, c’est la grande rigueur avec laquelle la monnaie est gérée et l’indépendance de la Banque centrale pour maintenir nos fondamentaux économiques en dehors des aléas politiques. Enfin, quand il le faut, des interventions vigoureuses pour maintenir l’inflation dans des proportions soutenables. En 2022, la zone CFA a été la plus performante d’Afrique en matière de contrôle de l’inflation.
Au chapitre des faiblesses, nous ne devons dépendre d’aucun pays pour dicter les choix économiques stratégiques. Il y a également la valeur du franc CFA qui est surévaluée, ce qui pénalise nos exportations et nos produits locaux face aux biens importés. Nous devons atténuer la valeur de notre monnaie pour donner un peu de compétitivité à nos économies et soutenir nos productions industrielles et artisanales locales. Si nous gérons bien le cap du changement monétaire à venir, il y aura de bonnes perspectives pour nos économies en Afrique de l’Ouest.
Mali, Burkina, Guinée, Niger et Gabon, les coups d’État s’enchaînent en Afrique. Assiste-t-on aujourd’hui à un clivage idéologique entre pro-démocraties et pro-putschistes ?
Non ! Absolument pas. Il ne faut pas tomber dans ce piège. Il est vrai que de nombreux acteurs ont intérêt à la confrontation et aux tensions. Ils cultivent cela pour rester populaires et masquer leurs échecs. Par définition, les pouvoirs de transition sont destinés à disparaître et sont éphémères.
Nous devons retenir cela et travailler à une issue heureuse des transitions.
Personne, y compris les militaires eux-mêmes, ne remettent en question le retour à l’ordre constitutionnel, les élections, la gouvernance démocratique… Donc, œuvrons tous à faire en sorte que les pays recouvrent leur ordre normal de marche pour faire face aux vrais enjeux que sont le chômage des jeunes, la sécurité de nos populations, la cohésion sociale, la prospérité de nos frères et sœurs…