Enlevé le 8 avril 2021 à Gao, dans le nord du Mali, le journaliste français Olivier Dubois a été libéré le 20 mars 2023 à Niamey, au Niger. À la veille de la sortie d’un livre témoignage, il partage avec nos collègues du journal indépendant en ligne Afrique XXI sa connaissance acquise dans l’épreuve de sa captivité par le Jama’at Nusrat al-Islam wal-Muslimin (JNIM), la filiale sahélienne d’Al-Qaïda qui l’a retenu pendant presque deux ans. Grand entretien.
Par Nathalie Prévost pour Afrique XXI. Nathalie est journaliste, spécialiste du Sahel et des questions de sécurité. Elle a réalisé, avec Olivier Jobard, “Mali, la guerre perdue contre le terrorisme” (2023, 70 minutes).
La captivité d’Olivier Dubois est l’une de celles qui ont défrayé la chronique au Panthéon sinistre des otages du Sahel, alors même qu’implosait la relation franco-malienne. Parce qu’il s’était rendu à un improbable rendez-vous avec un cadre djihadiste, à Gao, dans le nord du Mali, parce qu’il est journaliste et parce qu’il est français, ses détracteurs l’ont accusé de s’être jeté dans la gueule du loup.
Olivier Dubois, Prisonnier du désert, 711 jours aux mains d’Al-Qaïda, Michel Lafon, 30 janvier 2025, 352 pages.
Ils préfèrent être appelés « moudjahidine »
Nathalie Prévost : Deux enlèvements viennent d’être rapportés ces derniers jours, ceux d’une Autrichienne, à Agadez, et d’un Espagnol, dans le sud de l’Algérie (relâché officiellement mardi grâce au Front de libération de l’Azawad). Qu’est-ce que ça vous évoque ?
Olivier Dubois : Ça m’a fait tout de suite penser à ce que j’avais vécu en avril 2021. Et j’ai pu imaginer les premières heures de leur kidnapping, la première nuit, les questionnements, la peur. On ne sait pas où on va ; on ne sait pas avec qui on est ; on ne sait pas comment ça va se passer ; on ne sait pas si on sera vivant au bout de la route.
Votre livre est un récit de captivité écrit par un journaliste qui travaillait déjà sur ces sujets avant d’être enlevé. On y apprend des tas de choses sur le JNIM, qui vous a détenu du 8 avril 2021 au 19 mars 2023. Pourquoi les appelez-vous « moudjahidine » ?
Ils récusent catégoriquement le qualificatif de « terroriste ». Pour eux, les terroristes, c’est l’État islamique ou [l’opération militaire française] Barkhane, ceux qui sont venus dans leur pays les attaquer. Ils acceptent « djihadistes » mais ils préfèrent « moudjahidine » C’est le nom qu’ils se donnent. C’est le nom que j’utiliserai pendant toute ma captivité et que j’utilise dans le livre.
[Ce terme arabe désigne les combattants de la foi engagés dans le djihad. En Afrique, les combattants du Front de libération national (FLN) qui se sont engagés pendant la guerre d’Algérie étaient appelés « moudjahidine ». Le journal du FLN s’appelle toujours El Moudjahid et il existe l’équivalent d’un ministère des Anciens combattants nommé « ministère des Moudjahidine et des Ayants-droit », NDLR]
Vous avez été déplacé à maintes reprises. Savez-vous, avec le recul, où vous étiez ?
Non, pas vraiment, sauf quelques fois. Je parle de deux prisons : la prison dans les sables et la prison dans les bois, distantes de dix minutes en voiture. Là, je sais qu’on est à Tinessako [dans la région de Kidal, près des frontières algérienne et nigérienne, NDLR.]. Je le fais confirmer par mes geôliers. On rencontre des Touaregs qui nous disent qu’on est à peu près à quatre-vingt-dix kilomètres au sud de Tinazawaten [ville frontalière du Mali et de l’Algérie, NDLR.]. J’ai l’impression qu’on a été baladés pendant deux ans entre Abeibara et Tinessako, mais je n’en suis pas certain.
Un « camp-prison » au milieu du désert
Certains endroits sont des sites de bivouacs improvisés. D’autres semblent organisés pour la détention. Vous décrivez un lieu très impressionnant, que vous appelez le « camp-prison ».
C’est le seul lieu organisé où on a séjourné. Il y avait des relèves, une grande tente pour les geôliers. Tout le reste, c’était des campements provisoires.
La prison, c’est le désert ?
C’est le désert, ou les sous-bois, ou le wadi ou les rocs. Vous avez des empilements de rochers monumentaux, dans la région de Kidal, et vous êtes planqué dans les anfractuosités, où l’on ne peut pas vous voir.
Combien aviez-vous de geôliers ?
Le plus grand nombre que j’ai eus autour de moi, c’est huit, à l’occasion d’une menace de drone dans le ciel, dans les trois premières semaines de ma captivité. Plus tard, quand j’ai été avec le Sud-Africain Gerco van Deventer [otage sud-africain détenu pendant un an avec Olivier Dubois. Enlevé en Libye le 3 novembre 2017, il est libéré six ans plus tard, le 16 décembre 2023, NDLR], ils étaient de deux à quatre, relevés tous les quinze jours ou tous les mois. À mon avis, l’organisation ne veut pas que les gardes restent trop longtemps, pour éviter que ne se tissent des liens. Dans mes premières semaines de captivité, j’étais toujours avec des gens qui ne parlaient pas français et qui avaient ordre de ne pas répondre à mes questions.
« Djihadiste, ce n’est pas un métier à plein temps »
Est-ce que vous savez d’où ils venaient ? Avaient-ils un profil type ?
Ce que je peux dire, c’est que c’était souvent des locaux. Les jeunes provenaient des campements alentour. Tous avaient travaillé comme bergers ou avec les chameaux, dans le lait ou dans la viande, et continuaient à le faire. Comme si djihadiste, ce n’était pas un métier à plein temps.
J’ai essayé de savoir comment ils gagnaient leur vie. Ils étaient un peu gênés de me répondre mais en gros, ce qu’ils m’ont dit, c’est qu’ils ne recevaient pas vraiment de salaire mais que tous leurs besoins étaient assurés. Et apparemment, les salaires courent pendant les périodes où ils nous gardent. Tout est noté : « Abdallah, de telle markaz (unité militaire), quinze jours », etc. C’est comme ça qu’ils sont payés. Ils étaient, en tout cas, très intéressés à nous garder. Une rançon, ça représente une belle somme. Par exemple, quand j’ai été voir Seidane Ag Hita [bras droit de Iyad Ag Ghali, le chef du JNIM], ils étaient très curieux de savoir ce qu’on s’était dit, si mon cas avançait et si, donc, l’argent allait bientôt arriver.
Quelles étaient vos relations avec vos geôliers ?
Plus ils sont jeunes, plus c’est dur. Je m’entendais mieux avec les plus âgés, parce qu’ils avaient eu une vie avant ça, qu’ils parlaient français. Les autres, ce sont des bergers, des fils de berger qui ont lu le Coran, jamais fréquenté l’école. Ce qu’ils ont lu, c’est la vérité, et vous qui êtes détenu, vous êtes un koufar (infidèle) et on doit vous traiter comme tel.
Campagne pour la libération d’Olivier Dubois, à Bamako (novembre 2021) © Déborah Al Hawi Al Masri
Quels étaient leurs objectifs politiques, leurs objectifs personnels ?
Ils se réfèrent beaucoup au « projet ». J’ai l’impression qu’ils étaient attirés, séduits, éblouis par celui-ci, et qu’ils voulaient apporter leur propre brique à un projet beaucoup plus grand : établir la croyance en Allah partout sur la Terre. Quelques-uns étaient, peut-être, plus intéressés par l’argent et par la « Tuareg way of life » (style de vie touarègue) : avoir une tente, des bêtes, une femme et quelques armes pour défendre le tout.
« On prépare la mort ; on prépare l’après. »
Le projet est donc plus politique que religieux ?
Non, non. Pour les jeunes, c’était religieux. Non seulement ils travaillent à rétablir l’autorité de Dieu sur la Terre, mais, en plus, ça leur assure un ticket pour le paradis. Moi, au départ, je me suis un peu trompé. Sur la base de ce que j’entendais, je croyais que, pour eux, la vie ici-bas ne valait rien. Ils m’ont souvent dit : « On prépare la mort ; on prépare l’après. » Une vie magnifique auprès des rivières, avec des houris, des fontaines, du miel, etc. Que la vie vaille ou pas d’être vécue, en fait, ce n’est pas vraiment le problème. Il faut préparer la deuxième vie et, surtout, ne pas aller en enfer.
Quel islam observaient-ils ?
Les cinq prières par jour, évidemment. Ils les manquent très peu. Ils prient les bras croisés. Ils font le ramadan avec rigueur. Rien de plus que les autres musulmans. J’ai été plus surpris par le respect prêté à qui connaît et mémorise le Coran. À tel point que c’était devenu une question qu’on leur posait : « Tu en es où du Coran ? Tu en as mémorisé combien ? ». Ils nous répondaient : « La moitié, un peu plus. » Ceux qui connaissaient tout le Coran par cœur étaient très respectés. Je leur ai demandé comment on progressait dans leur organisation. Et ils m’ont dit que ce n’était pas qu’une question militaire. La connaissance religieuse comptait aussi.
Est-ce qu’ils débattaient de religion ?
Je dirais que c’est 70 à 80 % de ce dont ils parlent. Ils m’ont fait penser à des supporters de foot. Les supporters de foot parlent tout le temps de foot. Ils connaissent leurs équipes par cœur, les moindres détails, les transferts… Eux, c’est pareil. Ils connaissent le who’s who djihadiste par cœur. Ils adorent parler de ça. Ils sont dans une sorte de bulle. Sur leur portable, ils ont des applications pour lire le Coran. Toutes les vidéos qu’ils regardent sont des vidéos d’attaques, d’exactions, d’interviews, beaucoup de vieux reportages de France 24 datant de l’occupation du nord du Mali, en 2012. Ils guettent aussi tout ce qui se dit sur eux dans les médias. Quand j’écoutais RFI, ils me demandaient si on parlait d’eux et ils ne me croyaient pas quand je leur rapportais que des djihadistes avaient été tués ici ou là. « Non, c’est pas possible, ils sont sur le chemin d’Allah ! » Ils n’y croient pas tant que leur propre radio ne l’annonce pas.
« Ils ont des planques un peu partout »
Est-ce qu’ils vivent avec le risque de la mort à l’esprit ?
La mort est présente dans toutes les phrases. Au début, ça me frappait : « Si je ne suis pas mort ; si je suis encore là… » Mais la mort n’est pas vécue comme pour nous. Après, il y a la deuxième vie, qu’ils sont en train de préparer. Je les ai aussi beaucoup interrogés sur les shahid (martyrs). Donner sa vie au projet, c’est le stade ultime réservé aux plus braves.
Vous décrivez une structure très organisée. Que pouvez-vous nous en dire ?
On était gardés par des équipes de deux à quatre hommes, relevés tous les quinze jours. Il y avait du matériel sur place, de quoi faire à manger, des armes. Le matériel reste et les geôliers bougent. Tous les quinze jours, on nous livre un bog [une citerne de mille litres d’eau, NDLR], et une à deux fois par mois un mouton ou une chèvre, qui nous donne de la viande fraîche pour deux jours. Puis on larde cette viande et on la fait sécher au soleil. Ils ont un rizzou, un messager, qui vient régulièrement transmettre les informations et en collecter auprès d’eux et qui fait l’intermédiaire entre la hiérarchie, la chaîne logistique et le camp.
Le carburant ?
Ils ont des planques un peu partout. Ça nous est arrivé d’être à court de carburant pendant un déplacement. Ils entrent dans un bois, le mec ressort avec un bidon et on remplit les réservoirs. Il remet le bidon dans le bois et on repart.
Les télécommunications ?
La chaîne radio, c’est hyper important. Je le comprendrai d’ailleurs après ma dernière évasion [Olivier Dubois a tenté à quatre reprises de s’évader, NDLR]. L’un d’eux me dira : « Dès que tu t’es évadé, on l’a su par la radio. À 80 km à la ronde, tout le monde était informé et tout était bouclé. » C’est une chaîne de communication très efficace, qui fonctionne avec des talkies-walkies Motorola et d’une marque chinoise dont j’ai oublié le nom. Il paraît qu’il y a des bornes relais là où il n’y a personne.
« On sait comment ça se passe avec ton gouvernement »
Et vous, vous aviez votre poste radio…
En octobre, on me donne une radio, je ne sais pas pourquoi. Après ma sortie, évidemment, j’ai pu reconstituer les événements et j’ai su qu’il y avait eu des messages, qu’ils les avaient entendus, et ils ont dû se dire que les gens commençaient à s’intéresser à moi.
Leur intérêt, n’est-ce-pas d’alimenter la chaîne de solidarité pour mettre de la pression sur les États ?
C’est ce que me dira l’un d’eux. Le 8 mars 2022, j’ai un problème avec un djihadiste qui me tire dessus [sans le blesser, NDLR.]. Trois jours après, un autre m’apporte des photos de mes enfants. J’éclate en sanglots. Et il me dit : « Tu sais quoi ? Tu vas leur répondre. On va faire une vidéo. » Moi, la vidéo, ça me posait un vrai problème. Je lui dis : « Mais les vidéos, enfin, c’est un truc éculé ! Tu crois que ça marche encore ? » Et il me répond : « Les vidéos, c’est pas pour ton gouvernement. C’est pour ta famille. Elle sera très émue et elle fera pression sur ton gouvernement. Et là, les choses bougeront. » Il me dit ça froidement. Et il ajoute : « On sait très bien comment ça se passe avec ton gouvernement. C’est pas la première fois. »
Comment étiez-vous transporté ?
Surtout à moto. Comme un Touareg : le chèche qui tombe au-dessous des sourcils, les lunettes de soleil, puis le chèche sur la bouche. Pas de manches retroussées, il faut qu’elles couvrent les tatouages. J’ai des tatouages mais Gerco en avait encore plus. Il faut avoir la barbe parce que les rares habitants qu’on croise, ils n’ont pas l’habitude de voir grand monde et ils scannent tout ! Donc une barbe courte, dans cette zone, ça va attirer leur attention. On se déplace en pick-up quand on transporte du matériel. Dans ces cas-là, on sait qu’on part pour longtemps.
Un Guantánamo au milieu des sables
Vous faites une description saisissante de ce que vous appelez « la prison des sables », où vous côtoyez d’autres prisonniers.
La nuit où je suis arrivé, ça m’a fait penser à Guantánamo. Les prisonniers avançaient au ralenti, enchaînés au cou, aux poignets, à la taille. J’entendais des cliquetis de chaînes, je voyais des ombres déambuler au ralenti et je me demandais vraiment où j’étais.
On était une dizaine de prisonniers en tout et j’ai bien vu qu’on n’était pas tous traités pareil. Gerco et moi, on était mieux lotis que les autres, à l’exception d’un type dont on disait qu’il faisait partie de l’État islamique et que lui aussi avait la radio. On lui amenait du thé, il avait accès à du lait en plus de la distribution du matin. Ses relations avec les geôliers étaient houleuses.
Moi, j’étais sous une tente. Mais pas les autres. Ils avaient quatre morceaux de bois, de moins d’un mètre de haut, avec une bâche pour se protéger du soleil. Ils s’allongeaient dessous, dans la fournaise.
Vous avez su qui étaient vos codétenus ?
On a pu échanger avec certains. Il y avait un contrebandier de cigarettes entre la Libye et le Mali, un combattant du Mouvement national de libération de l’Azawad, qui s’était fait prendre à Kidal. Et puis il y avait un indic de Barkhane. On venait le chercher, apparemment pour des interrogatoires. On ne le voyait plus pendant deux nuits puis il revenait.
Vous racontez que des drones bourdonnent très souvent au-dessus de vous.
Quand la zone est surveillée par un drone, vous restez sous un arbre ou dans les rochers et vous ne bougez pas de toute la journée. Donc on en vient à souhaiter nous-mêmes que le drone disparaisse. Au début de ma captivité, je rêvais d’une intervention, je la visualisais. Et puis après, j’ai commencé à la redouter. Parce que si tout est perdu, le risque, c’est l’élimination physique des otages.
« Ce n’est pas possible qu’ils ne nous voient pas ! »
En présence de ces drones, il y a des moments où vos geôliers vous cachent et d’autres où tout le monde déménage.
Les drones sont signalés par radio. Ils les appellent des bedou, bedoun (bidons) ou kashifa. Donc on a le temps de s’y préparer. Si on est en train de faire du feu, on l’éteint. S’il y a de la farine ou des boîtes de conserve par terre, il faut les faire disparaître. Quand le drone s’attarde, ils se mettent en alerte et il faut partir très vite.
Est-ce que ces drones étaient français ?
Pour mes geôliers, ils étaient français. Ils disaient « Mirage, kashifa, bedoun ». Cette zone est très surveillée. La nuit, il y a beaucoup d’« étoiles » qui bougent dans le ciel de Kidal.
Vous deviez vous demander s’ils vous cherchaient.
Je me posais la question. Et je me la pose toujours. Est-ce qu’ils m’ont vu ? Nous, on a essayé de les alerter. On a essayé de faire des signaux de fumée. On prétextait d’aller uriner pour dessiner petit à petit un grand SOS dans le sable. Mais il y avait le vent qui effaçait tout. Ça marchait pas. Au bout d’un moment, on se disait : « Mais ce n’est pas possible qu’ils ne nous voient pas ! »
Qu’est-ce que vous avez appris sur le business des otages et les rançons ?
On m’a surtout parlé des ex-otages, des sommes d’argent versées, par exemple, pour la sœur Gloria Narvaez, Serge Lazarevic, Pier Luigi Maccalli et Nicola Chiacchio, et un peu Sophie Pétronin aussi. Eux, ce qu’ils espéraient, c’était évidemment de l’argent ou des libérations de prisonniers ou un mélange des deux. Après, ils disaient – mais pour moi, c’est un mensonge – que tout ça pouvait être remis en question en cas de conversion. Pourtant, il y a beaucoup d’otages qui se sont convertis et qui ont tout de même été libérés contre de l’argent.
À la poursuite de l’interview impossible
Vous avez été pris en otage dans le cadre d’une interview que vous aviez sollicitée auprès d’un chef de zone djihadiste. Vous n’avez jamais tout à fait élucidé cet épisode. Mais vous avez persisté dans votre projet d’interview pendant toute votre captivité. Et elle a fini par vous être accordée.
Au début de ma détention, dans ma tête, j’étais victime d’une méprise : j’avais une lettre d’invitation et ils étaient censés m’amener et me ramener en sécurité. Donc j’étais persuadé que les gens qui me détenaient n’étaient pas au courant, qu’ils m’avaient enlevé par erreur. À tel point que je demande du papier, un crayon, et j’écris au chef : je parle du respect de la parole donnée. Je lui demande une interview, à la place de celle que je n’ai pas pu faire. Un mois et demi plus tard, on me confirme que ma lettre est bien arrivée. En novembre 2022, je reçois un message, dont j’ai su plus tard qu’il émanait d’Iyad Ag Ghali, me disant : « Nous accéderons à ta demande de communication peu de temps avant que ne tu sois libéré. »
Le 6 mars, j’apprends ma libération imminente par un message audio de Seidane Ag Hita. Il me rappelle et me dit : « Le vieux est d’accord pour l’interview. Mais prépare des questions courtes et n’en fais pas trop. » Et le fameux jour arrive. Je vois une cohorte de véhicules, beaucoup de poussière, et je me dis : « Ça y est, c’est parti ! » Seidane Ag Hita sort d’un véhicule mais je ne vois pas Iyad Ag Ghali. Il vient vers moi et me dit que le chef ne viendra pas mais qu’il l’a mandaté pour répondre à mes questions. Il ajoute qu’il est venu avec Abdallah Ag Albakaye, celui que j’étais parti interviewer le jour de mon enlèvement à Gao.
Il voulait, apparemment, se défendre de m’avoir trompé. Albakaye m’a affirmé qu’il ne me connaissait pas. Qu’il n’avait jamais reçu aucun de mes messages et qu’il ne m’avait jamais envoyé de lettre d’invitation.
Comment s’est-elle déroulée, cette interview ?
Seidane Ag Hita, qui parle français mais n’est pas confiant dans notre langue, me dit : « Tu va nous donner tes questions. On va les traduire en arabe et on t’apportera les réponses demain matin sur une carte SD. » Moi, je tombe des nues et je réponds : « D’accord, mais pour que j’aie une idée de ce que vous allez me dire en arabe, on fait quand même l’interview maintenant en français. Et demain, on vérifiera. » Et on a procédé comme ça. Le soir, quand ils sont partis, j’ai pris des notes. Et le lendemain, ils m’ont remis l’interview officielle sur la carte SD.
Pourquoi ne publiez-vous pas cette interview dans le livre ?
J’en ai juste utilisé des passages. À la lecture, je me suis rendu compte que c’était plein de références coraniques assez hermétiques et que l’entretien était trop compliqué à reproduire dans un livre. D’ailleurs, je dois le dire, l’interview n’est pas à la hauteur de ce que j’espérais. Mais, même décevante, cette interview m’a fait tenir et résister pendant toute ma captivité. Elle m’a donné un but. C’était comme une revanche. Ils m’avaient pris deux années de ma vie. Il fallait que je reparte avec quelque chose.
Tama Média a republié cet entretien avec l’autorisation d’Afrique XXI. Lire l’article original ici.