Le candidat de substitution de l’opposant Ousmane Sonko n’a laissé que des miettes à la concurrence. Sur presque toute l’étendue du territoire national, un vent de changement a soufflé fort. La victoire au premier tour de Bassirou Diomaye Diakhar Faye a été une évidence dès les premières heures de la soirée électorale. Récit d’un jour historique.
« Hey rosa, rosa, rosa yé. Hey rosa, rosa yé… ». Au rythme de cette chanson vibrante de l’artiste Élage Diouf, des Patriotes africains du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité (Pastef), le sourire aux lèvres, chantent et dansent gracieusement à leur quartier général de Yoff, à Dakar.
En ce dimanche 24 mars 2024, dans les rues de cette commune où plus de 21.000 personnes ont voté en faveur de Bassirou Diomaye Faye contre environ 9000 pour Amadou Ba, le candidat de la mouvance présidentielle, l’ambiance est carnavalesque : drapeau national brandi, ballet de voitures, de motos, klaxons, cris stridents, etc.
Au milieu d’individus en pleine jubilation, dans une pièce étroite aux murs décorés des photos de l’Américain Martin Luther King, du Congolais Patrice Lumumba, du Sénégalais Mamadou Dia ou encore du Burkinabè Thomas Sankara, Ndèye Penda Ka, portant un polo à l’effigie de son champion et un bracelet estampillé Pastef au poignet droit, tient le bulletin de vote grand format du 5e président de la République du Sénégal.
« Nous avons brisé aujourd’hui les chaînes de l’esclavage. C’est un nouveau Sénégal qui voit le jour. Je rends grâce à Dieu. Ce succès éclatant est le fruit de longues années de lutte. Je suis à la fois contente et soulagée. Nous avons tout pour développer notre cher pays. Ousmane Sonko a éveillé les consciences. Si tout le monde se met sérieusement au travail, nous atteindrons nos objectifs. On doit donc se retrousser les manches pour offrir un meilleur avenir à nos enfants », a expliqué cette commerçante convaincue depuis 2019 par le projet de société plébiscité dans les milieux urbain et rural.
L’effervescence s’est emparée de Yoff au crépuscule, le moment au cours duquel les musulmans ont rompu leur jeûne. Les écouteurs mis dans les oreilles pour écouter la radio ou les yeux fixés sur la télévision, les gens ont suivi avec un stress perceptible les résultats des dépouillements relayés en temps réel par la presse locale déployée aux quatre coins du pays.
Une déferlante
Très rapidement, le bras droit de Sonko, écarté de cette élection à cause d’une condamnation à six mois de prison avec sursis pour « diffamation et injure publique » envers le ministre Mame Mbaye Niang, a creusé l’écart avec les 16 autres candidats. La plupart d’entre eux sont passés pour du menu fretin.
Habib Sy et Cheikh Tidiane Dièye, alliés de Pastef dont les bulletins étaient tout de même disponibles dans les bureaux de vote, se sont désistés avant le jour de vérité au profit de Diomaye. Excepté le Nord, bastion de l’Alliance Pour la République (APR, parti au pouvoir), la razzia n’a épargné aucune partie du territoire national.
Sachant que la messe est dite, des artisans de la troisième alternance politique du Sénégal, après 2000 et 2012 avec les élections d’Abdoulaye Wade et de Macky Sall, sont sortis spontanément pour laisser exploser leur joie à travers parfois des scènes de liesse cocasses. Une chaussure à la main, un homme fait mine de balayer la chaussée. Son geste, loin d’être anodin, fait écho à un balai censé nettoyer le Sénégal. Offert par un cousin à plaisanterie, dans la Casamance naturelle, il a été agité par Bassirou Diomaye Faye lors de sa caravane à Fatick (Centre), la ville de naissance du président sortant.
À minuit, les tendances lourdes ont crédité l’Inspecteur des Impôts et Domaines d’un matelas d’avance confortable. « Nous ne sommes pas surpris de ces résultats. Nous avons vu ce qui s’est passé sur le terrain durant les 12 jours de campagne. Nous avons rencontré la population et discuté avec elle. On savait que les Sénégalais, dans leur écrasante majorité, aspirent au changement. Nous félicitons le peuple, particulièrement les jeunes. C’est leur victoire », a fait savoir Mbène Faye, Coordonnatrice de la section de Pastef à Yoff, au reporter de Tama Média.
Sur le toit ouvrant de sa SUV, la dame qui occupe également le poste de vice-présidente du mouvement jigeeni (les femmes, en langue wolof) de Pastef, après une tournée de communion, s’est adressée avec un mégaphone à ses camarades, des jeunes majoritairement, émus aux larmes devant la permanence de la formation politique.
« Notre projet met en avant l’intérêt général. Nous sommes conscients des enjeux. Les attentes sont multiples. Il y a beaucoup à faire pour que l’espoir renaisse dans ce pays. Nous comptons exécuter le programme que nous avons vendu aux Sénégalais. Nous n’allons pas les décevoir. On va gouverner par priorités pour soulager la population », a promis Mbène Faye, par ailleurs adjointe au maire de Yoff.
Nette et sans bavure
Compte tenu des forces en présence, certains analystes politiques ont affirmé que cette élection présidentielle ne pouvait pas se jouer à un seul tour. Bassirou Diomaye Faye a déjoué leur pronostic au final. Des adversaires, battus à plate couture, n’ont pas hésité à le congratuler sur le réseau social X (ex-Twitter) alors que le processus de dépouillement était toujours en cours.
« Le peuple sénégalais a parlé. Sa volonté de changement, exprimée clairement dans les urnes, est le reflet d’une aspiration à une nouvelle alternance, à un renouveau politique que nous appelons tous de nos vœux », a indiqué Thierno Alassane Sall de la République des Valeurs.
« Diomaye a gagné au premier tour. Il devient le 5e président du Sénégal. Je le félicite chaleureusement ainsi qu’Ousmane Sonko. Qu’Allah les guide pour le bien-être des Sénégalais », a ajouté Mamadou Lamine Diallo du mouvement Tekki (Se réaliser, en langue wolof).
Unique femme en lice dans la course au palais de l’avenue Roume, Anta Babacar Ngom, cheffe de file de l’Alternative pour la relève citoyenne (Arc), a souhaité au président élu « plein succès » et espéré que « son mandat apportera prospérité et harmonie à notre nation. »
Le directoire de campagne de Mahammed Boun Abdallah Dionne, souffrant et évacué en France avant la tenue de la joute, a souligné que « cette victoire est une confirmation de la solidité de la démocratie et de la maturité du peuple sénégalais. Le scrutin a eu lieu dans un climat apaisé, serein et transparent, démontrant une fois de plus l’attachement du Sénégal aux valeurs démocratiques. »
Amadou Ba, le dauphin de Macky Sall, a lui tenté de s’accrocher à un mince espoir : effectuer un carton plein dans le Nord pour refaire son retard et s’inviter au second tour. Gonflé à bloc, essentiellement par des thuriféraires, l’ancien Premier ministre a quitté tard son domicile, au cossu quartier des Almadies, pour se rendre au siège de l’APR, situé à une quinzaine de minutes en voiture.
Face à des militants désarçonnés, l’ex-Directeur Général des Impôts et Domaines a juste donné rendez-vous quelques heures plus tard. Le temps d’y voir plus clair. En amont, le chef de l’État sortant a mis en garde contre l’annonce précitée de résultats par un camp ou un autre.
La nuit portant conseil, à travers un communiqué diffusé le matin du 25 mars, Amadou Ba a fini par reconnaître sa cuisante défaite. « Au regard des tendances des résultats et en attendant la proclamation officielle, je félicite le président Bassirou Diomaye Diakhar Faye pour sa victoire dès le premier tour. Je prie le Tout-Puissant de lui accorder l’énergie et la force nécessaires pour assumer cette haute fonction à la tête de notre pays », a-t-il énoncé.
Macky Sall, de son côté, a magnifié « le bon déroulement » du vote et « la victoire de la démocratie sénégalaise. » Accompagné de ses pairs de plusieurs pays de la sous-région, Abdoulaye Sylla, le président de la Commission électorale nationale autonome (Céna), a supervisé à la mi-journée les opérations de vote à l’école japonaise de Nord Foire, à la périphérie de Yoff.
« Les gens sont venus nombreux, ont fait la queue calmement, ont voté puis sont rentrés chez eux dans la concorde. C’est ça le Sénégal. Cette élection est historique parce que, pour la première fois, le président en exercice organise le scrutin sans être candidat. Elle l’est aussi en raison des péripéties qui font que le monde entier nous regarde. Mais les Sénégalais feront honneur à leur pays, à l’Afrique de l’Ouest et au reste du continent », avait prédit M. Sylla.
El Hadj Sèye, debout, en face du portail de l’établissement public, a voté dans la localité voisine des Parcelles Assainies. « Il y avait du monde dans mon centre. J’ai patienté une trentaine de minutes avant de pouvoir glisser mon bulletin dans l’urne. Tout s’est déroulé normalement néanmoins. J’espère que le peuple fera un bon choix. Pour moi, c’est Diomaye. Il a toutes les qualités pour construire le Sénégal », avait prétendu cet homme de grande taille.
Aux Cours Privés Ababacar Laye où votent des résidents d’Ouest Foire, Amadou Thiam, président du bureau de vote N°2, a pris les devants pour ne pas avoir de mauvaises surprises le jour-J. « J’étais là samedi pour vérifier si tout le matériel a été acheminé. Nous avons démarré dimanche à 8h03. Six des dix-neuf candidats ont été représentés dans ce bureau. La Céna aussi. Nous avons reçu des électeurs détenant des cartes supposées leur permettre de voter ici, mais leurs noms ne figuraient pas sur la liste d’émargement mise à ma disposition. C’est une dizaine de cas. Finalement, les concernés ont pu voir leurs noms sur les listes d’autres bureaux de vote et accomplir leur devoir civique », a relevé M. Thiam, directeur d’école.
Les priorités du nouvel homme fort
Bassirou Diomaye Diakhar Faye, incarcéré pendant 11 mois pour une publication sur Facebook dans laquelle il fustigeait la « clochardisation » de la justice, a fêté son 44e anniversaire au lendemain de son couronnement.
Jamais auparavant, un opposant au pays de la téranga (hospitalité, en langue wolof) n’a conquis le pouvoir au premier tour. Le plus jeune président de l’Histoire du Sénégal, le plus jeune chef de l’État élu d’Afrique, est resté muet jusqu’au 26 mars.
En conférence de presse, le natif de Ndiaganiao, à environ 110 kilomètres de la capitale, a remercié le peuple sénégalais, attaché « à la démocratie, à la justice et à l’égalité », pour le choix porté sur sa personne et au-delà sur le projet qu’il partage avec moult compatriotes.
Poursuivant, le Secrétaire Général de Pastef a salué « la posture des autres candidats qui, sans exception, ont honoré une tradition bien sénégalaise, sans même attendre la publication des résultats officiels par les instances habilitées. Leurs messages de félicitation sont le témoignage éloquent de leur grandeur, de leur humilité, de leur attachement aux valeurs républicaines et aux principes démocratiques. »
Diomaye, en outre, n’a pas manqué d’adresser des mots de gratitude à Macky Sall « dont la vigilance et l’engagement ont permis de garantir un scrutin libre, démocratique et transparent, assurant ainsi un résultat reconnu par tous les protagonistes. »
Titulaire d’une Maîtrise de droit et diplômé de l’École nationale d’administration (Éna), celui qui va présider aux destinées du Sénégal pendant les cinq prochaines années a esquissé sa feuille de route.
« En m’élisant président de la République, le peuple a fait le choix de la rupture. Pour donner corps à l’immense espoir suscité par notre projet de société, je m’engage à gouverner avec humilité, dans la transparence et à combattre la corruption à toutes les échelles. Dans les prochains jours, je mettrai en place mon premier gouvernement. Il sera composé d’hommes et de femmes de valeur et de vertu. De Sénégalaises et Sénégalais de l’intérieur et de la diaspora connus pour leur compétence, leur intégrité et leur patriotisme », a-t-il déclaré.
Selon Bassirou, « au vu des urgences et de l’espérance » du peuple, il faut travailler « de manière acharnée, diligente et méthodique autour de chantiers prioritaires : la réconciliation nationale et la reconstruction des bases de notre vivre-ensemble ; la refondation des institutions ; l’allègement sensible du coût de la vie pour atténuer les fardeaux du quotidien ; les concertations nationales inclusives sectorielles sur l’évaluation et la relance des politiques publiques. »
Ce mercredi 27 mars, la Commission nationale de recensement des votes a procédé à la proclamation des résultats provisoires de l’élection présidentielle. Bassirou Diomaye est crédité de 54,28 % des voix contre 35,79 % pour Amadou Ba, 2,80 % pour Aliou Mamadou Dia, 1,56 % pour Khalifa Ababacar Sall. Les quinze autres candidats, parmi lesquels Idrissa Seck, ont respectivement récolté moins de 1 %.
Au total, 7.371.890 personnes sont inscrites sur le fichier électoral, 4.519.253 citoyens ont accompli leur devoir civique et 33.991 bulletins nuls ont été dénombrés. Par conséquent, 4.485.165 suffrages ont été valablement exprimés pour un taux de participation de 61,3 %.
Dans la foulée, le Conseil constitutionnel, « eu égard aux circonstances exceptionnelles ayant justifié la compression de tous les délais relatifs à l’élection présidentielle », a invité « les candidats désirant déposer une requête, aux fins de contestation des opérations électorales, de la faire parvenir à son greffe, au plus tard, le jeudi 28 mars 2024 à minuit. »
Une course contre la montre est enclenchée dans la mesure où le mandat du président sortant arrive à terme le 2 avril 2024. Tout est alors mis en œuvre pour qu’il passe le témoin à son successeur avant l’échéance.
« En vue de l’installation, dans les meilleures conditions, du nouveau président élu, le chef de l’État a demandé au gouvernement, au ministre, Secrétaire Général de la Présidence de la République et au ministre, Secrétaire Général du gouvernement de faire prendre toutes les dispositions requises pour assurer, notamment, la préparation des dossiers de passation de pouvoirs », a détaillé le communiqué du Conseil des ministres de ce mercredi.
Le président élu, en compagnie d’Ousmane Sonko, s’est rendu jeudi au palais de la République pour « une séance de travail ». La rencontre, « empreinte de courtoisie », a permis à Macky Sall et son successeur de discuter « des grands dossiers de l’État, ainsi que de la cérémonie de prestation de serment et de passation de service. » C’est la fin d’une ère entamée en 2012 et la promesse d’une aube nouvelle.