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RDC : Judith Suminwa et son gouvernement à l’heure du grand défi

Par Redaction
12 juin 2024
11 min

En RDC, le gouvernement de Judith Suminwa Tuluka, première femme désignée au poste de Premier ministre dans le pays, a été investi à l’Assemblée nationale dans la nuit du mardi au mercredi 12 juin 2024. Sur les 405 députés présents, 397 ont approuvé son programme chiffré à 92 milliards Usd sur cinq ans. Aucun n’a voté contre, alors que huit se sont abstenus. Son équipe de 54 membres, contre 57 pour le précédent gouvernement, doit s’atteler à mettre en exécution les engagements pris du chef de l’État Félix Tshisekedi à la Présidentielle de fin décembre 2023. Analyse.

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Par Trésor Mutombo


Kinshasa, la capitale congolaise, était dans un profond sommeil lorsque Tina Salama, porte-parole du chef de l’État, a procédé à la lecture de l’ordonnance portant nomination des membres du gouvernement, le 29 mai. Le 1ᵉʳ avril, plusieurs mois après sa réélection à la tête du pays, avec 73,47%, Félix Tshisekedi a pris de court quasiment tout le monde en désignant Judith Siminwa Tuluka comme Première ministre, la première dans l’Histoire de la RDC. Peu connue du grand public, la quinquagénaire occupait le poste de ministre du Plan dans le gouvernement sortant. Depuis sa nomination, elle a mené de nombreuses consultations en vue du nouvel attelage gouvernemental, qui comprend 18 femmes sur un total de 54 ministres.

Me Eliane Kibubi, coordonnatrice de la fondation Pakadjuma Résilience, apprécie ce seuil de représentativité féminine. « Il faudra que tous les membres du gouvernement (femmes et hommes) travaillent main dans la main pour améliorer la situation sécuritaire, sociale, la justice ainsi que pour stabiliser le cadre macro-économique », lance-t-elle le lendemain de la publication de la liste du gouvernement.

À l’opposé, Me Hervé Diakiese, porte-parole du parti Ensemble de Moïse Katumbi, lui, vocifère dans un entretien téléphonique et indique n’attendre rien de l’équipe de Judith Siminwa Tuluka. « Ce gouvernement n’est pas à la hauteur des défis auxquels notre pays est confronté. C’est un gouvernement de partenaire d’un braquage électoral qui a pris l’État en otage », dit-il.

Parmi les changements notables de la nouvelle équipe gouvernementale : Christophe Lutundula est écarté des Affaires étrangères, remplacé par Thérèse Wamba Wagner, détentrice d’une maîtrise en administration publique de la prestigieuse université américaine Havard. Elle a travaillé dans les systèmes des Nations Unies et est experte des affaires politiques et de la planification stratégique, spécialisée dans la région des Grands lacs. Sans doute, elle va trouver sur sa table l’épineux dossier de la rébellion du 23 Mars (M23) qui a brouillé les relations entre Kinshasa et Kigali (Rwanda).

Jean-Pierre Bemba, de la Défense aux Transports

Patrick Muyaya, actif sur le front médiatique depuis le début de la crise entre la RDC et le Rwanda, a conservé son poste. Jean-Pierre Bemba, par contre, est permuté aux Transports. À la Défense, il est remplacé par Guy Kabombo Muadiamvita, combattant de première heure de l’Union pour la Démocratie et le Progrès Social (UDPS), parti au pouvoir. Avant sa nomination, il était le directeur du Journal officiel de la République démocratique du Congo (RDC).

Au sein même de sa formation politique, il est loin de faire l’unanimité. « Pour désigner Guy Kabombo, le président de la République (Félix Tshisekedi) a usé de son pouvoir discrétionnaire. Son nom ne figurait pas sur la liste des ministrables du parti. En réalité, c’est lui-même (le président, NDLR) qui est le ministre de la Défense. Il n’a pas voulu d’une personne qui pouvait lui faire de l’ombre et faire passer les injonctions qu’il ne pouvait, peut-être, pas passer avec Jean-Pierre Bembe », affirme un cadre de l’UDPS, sous couvert d’anonymat.

Prince Epenge est un leader de la coalition d’opposition de Martin Fayulu Lamuka, arrivé en troisième position à la dernière Présidentielle avec 4,92% des voix. « Compte tenu des défis d’ordre sécuritaire, le peuple aurait souhaité voir un homme d’expérience à la tête du ministère de la Défense. Un homme qui connaît la Défense nationale et le fonctionnement de l’armée. Malheureusement, on trône à la tête du ministère de la Défense quelqu’un qui n’a aucune expérience de comment organiser l’armée », regrette l’opposant.

Contacté lui aussi, après la nomination de l’équipe de Judith Suminwa, Christian Moleka, coordonnateur de la Dynamique des politologues congolais (Dypol), estime qu’il y avait des tiraillements et quelques mésententes entre le sérial présidentiel et le ministère de la Défense sur des questions fondamentales. « La permutation de Jean-Pierre Bemba prouve que le camp du sérial rapproché a gagné cette bataille. La nomination de Jean-Pierre Bemba aux Transports est d’éviter une frustration et de garder la main sur lui », analyse-t-il.

Le désormais ex-directeur du Journal officiel, Guy Kabombo, prend ce poste clé dans un contexte sécuritaire tendu et marqué par des combats sanglants entre l’armée et les rebelles du M23, qui occupent des localités dans les territoires de Masisi et de Rutshuru, dans la province du Nord-Kivu, et de l’activisme d’autres groupes armés en Ituri (Est de la RDC).

Un opposant à la tête de la Justice et Garde des sceaux

Jacquemain Shabani, un des directeurs de la campagne électorale du président Tshisekedi intègre le gouvernement. Il prend l’Intérieur en remplacement de Peter Kazadi.

Jusque-là directeur de cabinet du chef de l’État, Guylain Nyembo a quant à lui été nommé ministre du Plan.

Nicolas Kazadi, au cœur de soupçons de détournement de fonds publics dans le dossier de l’installation des forages et des lampadaires, n’a pas été reconduit. Il est succédé par Doudou Fwamba Likunde aux Finances.

Kizito Pakabomba lui conduira le ministère des Mines et devra donc gérer l’exploitation des réserves minières importantes que possède le pays dont le coltan, essentiel à la fabrication notamment de nos téléphones portables et ordinateurs.

La grande surprise : c’est sans doute la nomination de l’opposant Constant Mutamba, candidat malheureux au dernier scrutin présidentiel, au poste de ministre de la Justice et Garde des sceaux. Quelques jours avant sa nomination, il a concouru avec Dominique Munongo au fauteuil de rapporteur adjoint de l’Assemblée nationale, réservé à l’opposition. « Il y a quelques mois encore, il s’est positionné comme opposant et, de manière assez étrange, il a rejoint l’équipe gouvernementale », constate l’analyste Christian Moleka de Dypol.

Dans ce gouvernement, le parti présidentiel et ses mosaïques se sont taillés la part du lion. Ils ont au moins dix ministres, sans compter les ministres délégués et vice-ministres. Mais au sein de l’Union sacrée, coalition au pouvoir, tout le monde n’est pas content après la sortie de l’équipe de Judith Suminwa Tuluka.

Au lendemain de la nomination du gouvernement, les députés ressortissants du Maniema, province située au Centre-sud de la RDC qui a pour chef-lieu Kindu, ont, dans une déclaration, déploré le fait qu’aucun ressortissant de cette localité ne figure dans l’équipe de Judith Suminwa Tuluka. Pour eux, le Maniema doit être remis dans ses droits pour respecter l’équilibre géopolitique dans la formation.

Tout comme le député Eliezer Ntambwe, leader du parti Action Commune pour la République (ACR), qui digère mal que sa plateforme composée de 13 députés, n’a pas été prise en compte dans la formation du gouvernement. « Le président de la République m’a en tout cas rassuré que la province du Maniema, qui était oubliée, va être finalement reprise dans le gouvernement », a déclaré Vital Kamerhe, président de l’Assemblée nationale, au sortir d’une audience avec le président Tshisekedi à la Cité de l’Union Africaine, lundi 3 juin dernier. Le ministre chargé des Relations avec le Parlement n’est pas encore nommé. C’est un poste créé, en effet, pour représenter la province du Maniema.

Judith Suminwa investie à l’Assemblée nationale

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Le samedi 8 juin, Judith Suminwa Tuluka a déposé le programme de son gouvernement au bureau de l’Assemblée nationale. Trois jours plutôt, elle a eu une rencontre de prise de contact avec son équipe à l’Hôtel du gouvernement. Judith Suminwa veut prendre ses marques. « Nous avons travaillé sur la base de six engagements du chef de l’État tels qu’il les a libellés au moment de sa campagne électorale et de son investiture. Dans nos priorités, il y a la nécessité de créer plus d’emplois, d’améliorer le pouvoir d’achat de la population congolaise, d’avoir plus d’infrastructures en terme de routes terrestres, voies fluviales et aériennes, mais aussi d’améliorer les questions en rapport avec le renforcement des capacités humaines », a déclaré cette ancienne du Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD) après avoir déposé son projet au bureau de l’hémicycle. Elle promet aussi de « lutter contre la corruption » et « d’améliorer le climat des affaires ».

Judith Suminwa a présenté le programme de son gouvernement devant les députés, mardi dans l’après-midi, et elle a été investie dans les premières heures de la matinée du mercredi 12 juin. La séance plénière a duré 11 heures. La sécurité, la stabilité de l’économie, la création d’emplois, la protection du pouvoir d’achat des ménages, l’accès aux services sociaux de base, et la gestion de l’écosystème de la RDC face aux changements climatiques. Telles sont les priorités de son gouvernement.

La Première ministre assure vouloir matérialiser les engagements pris par le président Tshisekedi lors de la campagne électorale avec un budget chiffré à 92 milliards Usd sur cinq ans. Et qui devra être totalement financé par des ressources étatiques et non étatiques, du pouvoir central et des provinces ainsi que des entités territoriales décentralisées.

Pour elle, l’action gouvernementale continuera à mettre l’accent sur l’Homme, qui doit être considéré comme la ressource principale, le principal moteur du développement et le destinataire du fruit de ce progrès. « Ce programme ambitieux et détaillé, soutenu par une planification rigoureuse et une gestion transparente, vise à répondre aux défis auxquels notre nation est confrontée tout en tirant parti de nos atouts naturels et humains », a argué la Première ministre devant les députés.

En fait, 30% du budget devra être alloué à la lute contre le chômage et la protection du pouvoir d’achat des ménages. « Nous avons établi des bases solides pour la croissance économique, la stabilité sociale et l’inclusion de tous les citoyens dans le processus de développement », a-t-elle soutenu avant de faire face aux questions des députés.

Son gouvernement est très attendu et doit relever d’énormes défis dans ce pays 80 fois plus grand que la Belgique, l’ancienne puissance coloniale, où il y a un manque criant d’infrastructures routières.

Suminwa

Le pays est confronté à l’inflation galopante et à l’extrême pauvreté. « La RDC figure parmi les cinq nations les plus pauvres du monde. En 2023, environ 74,6% des Congolais vivaient avec moins de 2,15 dollars par jour. Environ une personne sur six vivant dans une extrême pauvreté en Afrique subsaharienne habite en RDC », a indiqué la Banque mondiale dans une publication mise à jour le 11 avril 2024. « Le déficit du compte courant s’est détérioré à 6,3 % du PIB en 2023, contre 4,9 % en 2022, en raison de la hausse des prix à l’importation, ajoute la même source. Le taux de change s’est déprécié de 21,6 % en 2023 et l’inflation a accéléré à 19,9 % en moyenne en 2023 (contre 9,2 % en 2022). »

Ce pays doté de ressources naturelles exceptionnelles (minéraux tels que le cobalt et le cuivre, un potentiel hydroélectrique, des terres arables importantes) est, surtout, rongé par la crise sécuritaire dans sa partie orientale depuis plusieurs décennies. Les combats entre les forces gouvernementales et les combattants du M23 continuent de faire rage. « Le peuple attend une réponse sécuritaire énergique pour l’Est du pays, mais également une réponse aux nombreuses attentes sociales, à savoir : maîtriser la perte du pouvoir d’achat, la flambée des prix de denrées alimentaires de base, la politique monétaire, payer régulièrement les salaires, donner vie aux routes qui sont en état de délabrement dans la capitale tout comme dans beaucoup d’autres régions du pays », relève l’analyste Christian Moleka de Dypol.


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