Catégories
Explique-moi Économie La Une de l'actualité africaine par Tama Média Le Labo des chercheurs Monde Politique Tama Média site d'actualité africaine blog

Relations Chine-Afrique : Pékin le plus grand gagnant, les raisons de ce déséquilibre

06 septembre 2024
7 min

Le neuvième Forum sur la coopération sino-africaine qui se tient à Pékin a pour thème : “S’associer pour promouvoir la modernisation et construire une communauté d’avenir partagé Chine-Afrique de haut niveau”. Mais dans quelle mesure cet avenir peut-il être partagé entre le géant économique asiatique et l’Afrique ?

sommet chine afrique
Le neuvième forum sur la coopération sino-africaine (Focac) a débuté en Chine mercredi 4 septembre, avec la présence de plus de cinquante chefs d’État africains. Un événement diplomatique majeur pour Pékin qui entend consolider son influence en Afrique.

Bhaso Ndzendze, Professeur associé à University of Johannesburg


Les huit sommets depuis 2000 n’ont pas abouti à des gains mutuels, notamment en matière de commerce et d’industrialisation pour l’Afrique. La Chine a récolté la plupart des bénéfices. La faute en revient à l’absence de stratégie d’engagement de l’Afrique vis-à-vis de la Chine.

Je suis un spécialiste des relations internationales et je fais des recherches sur les relations Afrique-Chine depuis plusieurs années.

Le forum de coopération Chine-Afrique est devenu l’événement le plus important du calendrier des relations internationales africaines. Plus de dirigeants y assistent que lors de l’Assemblée génétale. Les données montrent que le forum attire 40 à 50 chefs d’État et de gouvernement africains, soit bien plus que n’importe quel autre sommet régulier avec un seul pays. Le Sommet des dirigeants États-Unis-Afrique de décembre 2022 a vu la participation de 45 chefs d’État et de gouvernement et de 49 pays, mais il est beaucoup moins fréquent. Le précédent s’est tenu en 2014.

Bien que l’UE, la France, la Corée du Sud et les États-Unis soient importants pour le continent africain, ils n’ont pas la même ambition que la Chine. Ils n’ont pas non plus les coudées franches que le système autoritaire de la Chine permet à ses dirigeants. Le Forum sur la coopération sino-africaine est donc important pour les dirigeants africains, car il débouche souvent sur de grandes promesses qui dépassent tout ce qui peut être promis par d’autres partenaires en une seule fois.

L’objectif défini du forum est de servir de plateforme pour

des discussions d’égal à égal, un renforcement de la compréhension mutuelle, un élargissement du consensus, un renforcement de l’amitié et la promotion de la coopération.

Cependant, il est devenu évident que le forum est une plateforme permettant à la Chine de distribuer de l’aide et des prêts aux pays africains, et d’articuler des priorités qui servent ses propres ambitions. La voix de l’Afrique est peu influente dans la définition de l’agenda en raison de la diversité des Etats africains, de la faiblesse de l’Union africaine et des intérêts concurrents des pays africains.

L’Afrique a besoin d’une approche concertée vis-à-vis de la Chine et de tous ses partenaires dits stratégiques. La Commission de l’UA devrait négocier et définir l’orientation générale dans ces forums.

Les relations Afrique-Chine depuis 2000

Depuis sa création, le Forum sur la coopération sino-africaine a vu la Chine promettre des dizaines de milliards de dollars d’aide, d’investissements et de prêts aux États africains. Le chiffre le plus souvent cité ces dernières années est celui de 60 milliards de dollars à débourser sur trois ans, d’abord entre 2015 et 2018, puis entre 2018 et 2021.

Cependant, il existe une certaine ambiguïté concernant ce montant engagé. Il n’est pas clair combien de ce montant a été effectivement déboursé, ce qui indique que la Chine n’a peut-être pas tenu ses promesses. Aucune statistique officielle n’a été publiée et la partie africaine n’a pas insisté sur une approche plus transparente. Pékin a donc un pouvoir quasi absolu sur l’information et le discours concernant la relation. La Chine aurait également élargi les définitions de ce qui est considéré comme de l’aide (en incluant les prêts sans intérêt dans cette catégorie, par exemple) pour répondre à ses intérêts politiques.

Ce qui est observable, cependant, c’est le niveau de coopération en matière d’infrastructures et d’industrie entre l’Afrique et les entreprises chinoises, avec la participation de l’État chinois dans certaines d’entre elles.

Les entreprises chinoises ont collaboré avec les gouvernements africains pour construire des chemins de fer, des aéroports, des ports, des ponts et des infrastructures de technologie de l’information et de la communication. Toutefois, ces projets sont le fruit d’un engagement bilatéral entre la Chine et des pays africains pris individuellement, qui poursuivent leur propre politique étrangère, et non d’une stratégie africaine collective. Cet engagement au coup par coup renforce le pouvoir de négociation de la partie chinoise.

Mes recherches montrent que les gains des accords bilatéraux profitent largement à la Chine : l’équipement, le personnel de haut niveau et les experts techniques viennent de Chine. Il n’y a eu que peu ou pas de transfert de technologies et de compétences de la Chine vers l’Afrique. Les populations locales participent principalement aux travaux de main-d’œuvre et aux relations gouvernementales dans le cadre des projets.

L’absence de stratégie de l’Afrique

La Chine dispose depuis longtemps d’une stratégie pour l’Afrique, publiée en 2006. Près de vingt ans plus tard, l’Afrique n’en a pas.

La stratégie présente la Chine comme un partenaire du développement de l’Afrique, tout en reconnaissant la valeur minérale et stratégique du continent. Ainsi, plus que toute autre grande puissance, la Chine a poursuivi ses relations avec l’Afrique de manière concertée et à long terme.

Pour sa part, l’Afrique n’a pas été proactive et continue de s’engager avec Pékin de manière individuelle et désordonnée.

L’un des nombreux obstacles à l’adoption d’une stratégie africaine unique à l’égard de la Chine est le nombre de pays sur le continent. Le forum englobe presque tous les pays africains à l’exception de l’Eswatini, qui entretient des relations diplomatiques avec Taïwan. À première vue, il s’agit d’un avantage pour l’Afrique : plus de 50 États contre un seul. Cependant, l’avantage va à la Chine, qui opère comme un acteur unique et peut avoir un ensemble cohérent d’objectifs à travers les gouvernements sur une longue période.

Ensuite, il y a la faiblesse de l’Union africaine.

La partie africaine dispose, du moins sur le papier, d’une entité unique. La Commission de l’UA, dirigée par un président élu par l’Assemblée des chefs d’État et de gouvernement de l’UA pour un mandat de cinq ans (renouvelable une fois), est habilitée à élaborer la position de l’Afrique dans les négociations internationales.

Toutefois, la réalité est que la plupart des États africains préfèrent la souveraineté individuelle à une approche commune. Le président de la Commission de l’UA n’a pas de privilèges spéciaux ni de pouvoirs directifs sur la position africaine au sein du forum chinois.

Des gains inégaux qui risquent de perdurer

L’absence de stratégie africaine se traduit par un déséquilibre des termes de l’échange entre la Chine et les pays africains. Cela se traduit notamment par l’excédent commercial dont jouit la Chine : tout récemment estimé à 64,1 milliards de dollars US en 2023 et qui semble encore augmenter (après avoir été de 46 milliards de dollars US l’année précédente et de 42 milliards de dollars US en 2021).

Au cours des dix dernières années, la structure de ce commerce n’a pas changé non plus, malgré la promesse de la Chine d’aider l’Afrique à s’industrialiser.

Les pays africains exportent encore largement des minéraux bruts et des produits agricoles vers la Chine, tandis que celle-ci leur renvoie des produits manufacturés de pointe, tels que l’électronique, les machines et les véhicules. En l’absence d’une stratégie africaine, il semble que ce schéma est appelé à se maintenir.

Bhaso Ndzendze, Associate Professor (International Relations), University of Johannesburg

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.