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Sénégal : Ousmane Sonko placé en garde à vue et nouveau débat juridique 

30 juillet 2023
8 min

Ousmane Sonko, arrêté vendredi après-midi par la gendarmerie, a été placé en garde à vue. L’opposant politique est poursuivi pour « appel à l’insurrection, association de malfaiteurs, atteinte à la sûreté de l’État, complot contre l’autorité de l’État, acte et manœuvre à compromettre la sécurité publique et à créer des troubles politiques graves, association de malfaiteurs en lien avec une entreprise terroriste, mais également de vol à l’arraché. »

sonko
L’opposant Ousmane Sonko

Reprise des déboires judicaires de l’opposant Ousmane Sonko

Au moment où une partie des Sénégalais digérait encore le couscous mangé la veille pour commémorer l’Achoura (fête musulmane célébrée le 10e jour du Mouharram, premier mois du calendrier lunaire islamique,) une scène digne d’un scénario hollywoodien s’est déroulée à la Cité Keur Gorgui, un quartier résidentiel de Dakar, où habite Ousmane Sonko.

« De retour de la prière du vendredi, les agents des renseignements généraux postés devant mon domicile 24 heures sur 24 se sont mis à me filmer. J’ai personnellement arraché le téléphone puis demandé à la personne de le déverrouiller pour effacer les images qu’elle a prises. Ce qu’elle refusa », a expliqué le chef de file des Patriotes africains du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité (Pastef).

Selon un communiqué du Procureur de la République, Abdoul Karim Diop, publié juste après, l’individu en question est « une femme gendarme dont le véhicule était tombé en panne aux abords » de la maison de l’ancien Inspecteur des Impôts et Domaines. Pour ce fait, l’arrestation d’Ousmane Sonko a été ordonnée et exécutée manu militari.

Le Bureau politique national de Pastef a, dans la foulée, indiqué que son candidat déclaré à l’élection présidentielle du 25 février 2024 sort d’une « séquestration illégale de 55 jours » et « continue de subir l’acharnement de Macky Sall », qui était à Saint-Pétersbourg pour prendre part au Sommet Russie-Afrique.

Yewwi Askan Wi (Libérer le peuple, en langue wolof), la principale coalition de l’opposition, par le biais de sa Conférence des leaders, a affirmé que « le respect des droits du président Ousmane Sonko ne saurait faire l’objet d’aucune concession. »

Comme à son habitude ces derniers mois, Al Hassan Sall, le Gouverneur de Dakar, invoquant « des raisons de sécurité », a interdit sur toute l’étendue de la région « la circulation des motocyclettes et cyclomoteurs du vendredi 28 juillet à minuit au lundi 31 juillet 2023 à minuit » ainsi que « la vente de carburant en vrac du vendredi 28 juillet 2023 à minuit au samedi 5 août 2023 à minuit. »

Les charges du Procureur

Tel un rouleau compresseur, Abdoul Karim Diop a convoqué, samedi matin au palais de justice de Dakar, les journalistes pour « un point de presse essentiellement axé sur les motifs de l’arrestation d’Ousmane Sonko. »

En guise d’introduction, le représentant du ministère public a souligné que « des séries de manifestations violentes ont fortement troublé l’ordre public » avec des pillages et la destruction de biens publics ou privés. Et l’opposant est accusé d’en être le principal responsable : « Les investigations menées l’ont identifié comme l’élément instigateur de tous ces troubles », soutient Abdoul Karim Diop.

Poursuivant, il a fait savoir que « l’histoire du téléphone portable n’est que l’élément déclencheur de son arrestation qui était imminente pour appel à l’insurrection. »

Dans son exposé, ayant notamment nécessité la diffusion d’une compilation de vidéos, le Procureur de la République a reproché à Sonko d’avoir tenu « des discours au contenu incitatif à l’insurrection » en février 2021, juin 2022, mars 2023, mai 2023 et juillet 2023.

Les déclarations du maire de Ziguinchor (Sud) ont eu comme conséquences la constitution des dossiers « Mortal Kombat », « Force spéciale », « Commando », « Cocktail Molotov » et « Combat final » dans le cadre desquels des dizaines de personnes ont déjà été emprisonnées.

À en croire le Procureur, toutes ces procédures convergent vers le parti Pastef dirigé par Ousmane Sonko : « Ce dernier, en garde à vue, sera poursuivi pour appel à l’insurrection, association de malfaiteurs, atteinte à la sûreté de l’État, complot contre l’autorité de l’État, acte et manœuvre à compromettre la sécurité publique et à créer des troubles politiques graves, association de malfaiteurs en lien avec une entreprise terroriste, mais également de vol à l’arraché. ». Le lundi 31 juillet, une audition est programmée avec le doyen des juges, Maham Diallo.

Une nouvelle affaire qui annule la condamnation à deux ans de prison ferme pour « corruption de la jeunesse » ?

Ousmane Sonko a demandé au « [ peuple] de se tenir prêt pour faire face à ces abus sans fin. » Le Pastef a aussi exigé « sa libération immédiate », appelé « les Sénégalais à résister » et incité « toutes les structures du parti à se mobiliser sans délai pour défendre et protéger la candidature du président Ousmane Sonko. »

Le collectif des avocats de l’opposant, classé 3e à la Présidentielle de 2019 avec un score de 15, 67 %, soit 687.523 votes, a assuré que « ces nouvelles accusations, dépourvues de fondement, seraient risibles si elles n’avaient pas de si lourdes implications. Le devenir de M. Ousmane Sonko, personnalité politique de premier plan, engage celui du pays. La multiplication de procédures fantasques à son encontre constitue une instrumentalisation inacceptable de l’appareil judiciaire. »

Selon ce collectif d’avocats d’Ousmane Sonko, les nouveaux chefs d’inculpation à son encontre ainsi que son arrestation constituent un motif d’annulation de facto de sa condamnation le 1er juin dernier à deux ans de prison ferme pour « corruption de la jeunesse » sur une masseuse d’un salon dakarois, conformément aux dispositions du Code de procédure pénale. 

« Les accusés non détenus, s’ils ne défèrent pas à la citation prévue à l’article 257 du présent Code, sont jugés par contumace par la chambre criminelle. S’ils se constituent ou viennent à être arrêtés avant les délais de prescription, l’arrêt de condamnation est anéanti de plein droit et il est procédé à nouveau dans les formes ordinaires à moins que le contumax déclare expressément, dans un délai de dix jours, acquiescer à la condamnation », prévoit l’article 307 du texte visé. Mais le Procureur de la République, sans entrer dans les détails, a réfuté cette thèse en arguant que les affaires sont distinctes.

Grève de la faim d’Ousmane Sonko

Sénégal : Ousmane Sonko placé en garde à vue et nouveau débat juridique 
Ousmane Sonko

Quoi qu’il en soit, ce nouveau feuilleton met fin à la brève accalmie notée ces dernières semaines. Sur les réseaux sociaux, en particulier Twitter où le hastag #FreeSenegal est en tête des tendances dans le pays avec près de 40 mille tweets, des appels à la résistance dans la rue sont lancés. Ils sont suivis d’effets, de manière sporadique, dans certaines localités.

« Face à tant de haine, de mensonges, d’oppression, de persécution, j’ai décidé de résister. J’observe à compter de ce dimanche une grève de la faim. J’invite tous les détenus politiques à en faire de même. J’appelle une fois encore le peuple à rester debout et à résister au complot contre le projet et à l’oppression. Ce n’est surtout pas le moment de faiblir car la victoire n’a jamais été aussi proche », a posté Ousmane Sonko sur les réseaux sociaux.

Présence à Dakar de l’avocat Juan Branco

Son pool d’avocats a tenu aujourd’hui une conférence de presse pour engager la bataille de l’opinion. Juan Branco y a participé à la surprise générale. Car l’avocat français de Sonko est, depuis le 14 juillet 2023, sous le coup d’un mandat d’arrêt international requis par le Procureur de la République pour « des déclarations, écrits et posts (…) qui, manifestement, sont de nature à engager sa responsabilité pénale ». Le Procureur avait, en outre, décidé de l’ouverture d’une information judiciaire à son encontre pour « plusieurs faits qualifiés de crimes et délits ».

La réponse de Juan Branco, un brin provocateur, a été sèche : « Monsieur le Procureur, nous sommes venus ici pour vous dire que nous n’avions pas peur. Nous sommes venus, ici au Sénégal, où s’engage le devenir humain. Ousmane Sonko, porteur de l’espoir du grand peuple des déshérités, est actuellement détenu. (…) Cet espoir, aucune digue, aucun Procureur ne saurait l’arrêter. Je suis venu vous dire, Monsieur le Procureur, qu’une masse sombre et obscure vous toise, vous et vos décisions d’apparence si fermes. Au Sénégal, s’engage mon devenir, puisque vous avez décidé de m’y faire arrêter, signifiant au monde entier que j’étais recherché. Monsieur le Procureur de la République, me voilà. Je n’ai pas l’âme  d’un fugitif. Voyez, Monsieur le Procureur, nous n’avons pas peur. Et nous sommes venus vous le dire, ici, au cœur de ce que vous croyez être votre principauté. »