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Sénégal : violences entre pêcheurs, symbole de la raréfaction du poisson 

23 mai 2023
7 min

En avril dernier plusieurs communautés de pêcheurs se sont affrontées dans les villes côtières de Kayar et Mboro. La bataille rangée avait fait au moins un mort et plusieurs blessés. Au cœur des tensions : l’utilisation par certains acteurs de filets interdits. Ce conflit vient mettre à jour la raréfaction du poisson dans les eaux sénégalaises.

“La pêche traverse une crise sans précédent”, en raison d’une “surexploitation de la plupart des stocks halieutiques et la présence récurrente dans nos eaux de navires pirates s’adonnant à la pêche illicite, non déclarée, non réglementée, des moyens importants sont en train d’être mobilisés pour renforcer l’équipement de la Marine nationale afin d’accroître la surveillance sur l’ensemble du littoral”, avait promis en 2014 le président Macky Sall.

En 2018 le pays se fait alors remarquer en refusant ses eaux à des dizaines de chalutiers étrangers, après une campagne conjointe des défenseurs de l’environnement et des pêcheurs locaux en lutte pour leur survie et celle de la ressource face à la surpêche asiatique et européenne.

Le secteur vital de la pêche sénégalaise, qu’il s’agisse des petits pêcheurs, très majoritaires, des plus gros professionnels ou des femmes transformatrices du poisson, faisait cause commune avec les défenseurs de l’environnement et Greenpeace depuis qu’ils avaient appris en que le gouvernement examinait les demandes de permis de 54 armements étrangers. Les demandes avaient finalement été rejetées. Ce refus “contribue à assurer la subsistance des communautés côtières et donne une chance à l’océan de se régénérer, après une décennie où l’industrie de la pêche industrielle avait menacé d’épuiser nos stocks de poissons”, a déclaré le Dr Ibrahima Cissé, responsable de la campagne océans de Greenpeace Afrique. 

Un enjeu alimentaire

En avril dernier plusieurs communautés de pêcheurs se sont affrontées dans les villes côtières de Kayar et Mboro. La bataille rangée avait fait au moins un mort et plusieurs blessés. Au cœur des tensions : l’utilisation par certains acteurs de filets interdits. Ce conflit vient mettre à jour la raréfaction du poisson dans les eaux sénégalaises.
Des pêcheurs sénégalais

Arrivés ces dernières décennies avec leurs vastes filets et leurs équipements automatisés, les bateaux usines étrangers attirés par la richesse des fonds atlantiques écument les mêmes eaux que la flotte sénégalaise, essentiellement constituée d’étroites pirogues traditionnelles. Certains opèrent avec des permis tarifés par les autorités suivant la taille des bateaux, qui paient moins cher s’ils sont sénégalais. Beaucoup d’autres agissent clandestinement, disent les experts. Les quelque 50.000 pêcheurs sénégalais doivent s’éloigner chaque année davantage de la côte pour des prises de plus en plus maigres. Or, la pêche fait vivre directement ou indirectement environ 500.000 Sénégalais pour une population d’environ 16 millions, selon l’ONU. Au Sénégal, le poisson représentait environ 17% des revenus des exportations sénégalaises en 2018, selon des chiffres gouvernementaux.

La pêche est aussi un mode de vie dans le pays de la Teranga. Tout le long des rivages d’Afrique de l’Ouest, ce sont des communautés entières qui dépendent de la ressource halieutique. Elles sont affectées par l’activité de ces chalutiers qui prélèvent plus de sardines, de thons et de maquereaux que la nature n’en produit, pour satisfaire l’appétit des consommateurs asiatiques et européens ou alimenter les usines de farine, notamment chinoises. “La mer n’est plus productive”, se désole Moustapha Senghor, pêcheur à Mbour, au sud-est de Dakar, à qui sa pirogue de 10 m rapporte 5.000 francs CFA par jour (7,6 euros), à partager avec ses trois employés. Plus du tiers des réserves de poisson, du Sénégal jusqu’au Nigeria, est frappé de surpêche et la moitié des prises au large des côtes ouest-africaines pourraient être illégales, dit l’Organisation de l’Onu pour l’alimentation (FAO). Le président sénégalais Macky Sall s’était attiré les louanges des pêcheurs et des défenseurs de l’environnement en 2012 en retirant à des dizaines de bateaux, dont neuf russes, des permis décernés dans des circonstances troubles.

La pêche illégale, un phénomène régional 

Ces dernières années en Gambie, l’ONG Sea Sheperd a aidé les autorités à lutter contre la pêche illégale en menant des opérations conjointes avec la Marine gambienne qui s’occupe ensuite des arrestations. Une coopération que salue les autorités. “Nous avons besoin de plus gros bateaux qui puissent rester en mer pendant un ou deux mois. Mais grâce à Sea Sheperd, nous pouvons faire notre travail”, raconte un Sergent de la Marine gambienne. “Les arrestations sont accompagnées d’amendes qui engendrent d’importants revenus pour le gouvernement. Ces arrestations et la présence de patrouilles dans les eaux gambiennes permettent de dissuader et d’empêcher les navires de pêche industrielle de pénétrer dans la zone réservée aux pêcheurs artisanaux”, précise Peter Hammarstedt, Directeur des campagnes internationales de Sea Sheperd et capitaine du Bob Barker.

Côté sénégalais la surveillance des eaux et la lutte contre la pêche illégale se fait notamment en coopération avec la marine française qui dispose dans le pays d’un Falcon 50. Celui-ci décolle au moins une fois par semaine pour surveiller les activités de pêche dans les eaux sénégalaises. “Nous embarquons un inspecteur de la DPSP (Direction de la Protection et de la Surveillance des Pêches ndlr.) sénégalaise à bord pour allier effectivement notre savoir-faire au sein de l’aéronef, la vitesse du vecteur et aussi la connaissance de la zone de l’inspecteur des pêches sénégalais. Donc, il y a vraiment un travail de coopération et de coordination qui fonctionne très bien jusqu’à maintenant. Donc on reporte les éléments factuellement nous de notre côté et ensuite l’inspecteur des pêches, au travers la DPSP, choisit de la suite à donner si toutefois il y a des infractions qui sont remontées sur ces vols”, raconte Lieutenant de vaisseau Mathieu, chef de bord du Falcon 50 à nos confrères de l’AFP.

“Pour le Capitaine de vaisseau Djibril Diawara, commandant de la base navale centre de la marine sénégalaise, cette coopération a “un apport substantiel sur l’effort de surveillance des pêches et également au plan qualitatif parce que c’est des aéronefs qui disposent de capteurs, de capacités d’observation qui lui permettent de renforcer nos performances en matière de détection et d’identification des navires qui contreviennent à la réglementation des pêches. Ces patrouilles permettent de mieux connaître les activités de pêche qui se déroulent dans nos eaux et le cas échéant de faire des arraisonnements. Donc lorsque nous ferons face à des infractions au règlement de la pêche, principalement des arraisonnements qui sont liés à des cas de pêche non autorisée ou de pêche dans des zones interdites”.

Les Falcon détachés à tour de rôle à Dakar ont contrôlé près de 600 bateaux en 2022, selon la Marine française. Ils ont aussi mené 25 missions de secours dans la sous-région depuis 2020 et participent à la lutte contre le trafic de drogue. Les experts reconnaissent les efforts fournis par le Sénégal pour combattre la pêche illégale. Mais ils s’alarment de l’inadéquation des moyens face à l’ampleur d’un phénomène qui, selon l’ONG Environmental Justice Foundation, “fait perdre plus de 270 millions de dollars de revenus au Sénégal chaque année” et “menace la sécurité alimentaire et les moyens de subsistance de centaines de milliers de personnes”