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Soudan : quelle chance pour le dialogue inter-soudanais supervisé par l’UA et l’Igad ?

10 août 2024
7 min

Selon un récent rapport de Médecins Sans Frontières (MSF), 24,8 millions de Soudanais ont besoin d’assistance et 10,5 millions de la population se sont déplacés à l’intérieur du pays contre deux millions réfugiés dans les pays voisins. Pour mettre fin à la guerre fratricide au Soudan, en cours depuis plus d’un an, les initiatives se multiplient. Du 10 au 15 juillet, 47 représentants politiques et de la société civile, soutenant pour la plupart l’armée régulière, se sont réunis à Addis-Abeba sous l’égide de l’Union Africaine (UA) et de l’Autorité intergouvernementale pour le développement (Igad). Le processus ne pourra toutefois aboutir sans le ralliement des mouvements plus neutres ou proches des Forces de soutien rapide (FSR). Reportage.

Soudan dialogue

Les confidences s’échangent autour de tasses de café et d’assiettes de snacks, debout, autour des tables hautes, ou bien au creux des banquettes en demi-cercle qui ornent le hall du siège de l’Union Africaine (UA), à Addis-Abeba, en Éthiopie. En ce mercredi après-midi, ils sont 47 Soudanais issus d’une vingtaine de partis politiques ou de groupes de la société civile à avoir répondu à l’invitation conjointe de l’instance panafricaine et de l’Autorité intergouvernementale pour le développement (Igad).

« Nous ne pouvons pas soutenir une guerre à durée indéterminée ! », confie Modawi Fadoul, qui représente l’Association nationale indépendante des compétences du Soudan basée à Londres (Angleterre). Comme la plupart des participants, ce professeur de finances et de droit a choisi son camp dans la guerre qui oppose les Forces armées soudanaises (FAS) du général Abdel Fattah al-Burhane aux paramilitaires des Forces de soutien rapide (FSR) du général Mohamed Hamdan Dagalo alias « Hemeti », depuis le 15 avril 2023. « Nous soutenons l’armée, qui doit néanmoins respecter tout accord de paix », précise Modawi Fadoul. Les précédentes tentatives de trêves ont en effet systématiquement été bafouées par les deux rivaux.

Le refus catégorique d’échanger avec l’ancien régime

Pendant cinq jours, l’UA et l’Igad ont proposé aux civils de poser les bases d’un dialogue inter-soudanais. Redoutant la participation de membres de l’ancien régime d’Omar el-Béchir (1989-2019), et se plaignant, pour certains, de ne pas être assez représentés au sein des convives, les groupes plus neutres ou proches des FSR se sont désistés. Cela inclut la vaste coalition Taqaddum, présidée par l’ex-Premier ministre Abdallah Hamdok.

« L’UA et l’Igad ont dit qu’elles inviteraient tous les partis politiques sans exception, ce qui signifiait que le Parti du congrès national (NCP, selon l’acronyme anglais) de Béchir pourrait être présent. Nous ne sommes pas prêts à les rencontrer », résume Ammar Amoun, le secrétaire général du Mouvement populaire de libération du Soudan-Nord dirigé par Abdelaziz Al-Hilou, qui a également boudé ce rendez-vous. Même si le NCP n’avait pas de représentants directs, deux ministres ayant exercé sous Béchir ont assisté à la réunion.

Mais aussi, par exemple, un intellectuel (Mohamed Mahgoub Haroon) et un journaliste (Gaml Eldin Angra) sont reconnus proches des mouvements islamistes. Or ces nostalgiques de l’ère Béchir n’ont eu de cesse de saper tous les efforts de médiation depuis le début du conflit.

Les participants à la réunion préparatoire au siège de l’UA balaient ces arguments. « Les représentants de Taqaddum ont demandé à voir la liste des invités. Ce n’est pas une manière de faire. Lorsqu’on est invité, on se rend sur place avant de s’enquérir des autres convives ! », estime Magdah Abdelrahman, de l’Alliance nationale des femmes soudanaises, rencontrée quelques minutes avant la session de clôture, le 15 juillet. « Nous avons beaucoup de désaccords avec Taqaddum mais nous préférons fermer les yeux afin de sortir notre pays de cette impasse », complète Mubarak Abdelrhman, l’ex-directeur de la Sudanese Mineral Resources Company, plus connu sous le nom de « Mubarak Ardol ».

Deux lectures du conflit radicalement opposées

Celui qui s’est rapproché des militaires au moment du coup d’État d’octobre 2021, ayant interrompu la transition démocratique amorcée après l’éviction de Béchir, dément en outre l’emprise des islamistes.

Ces derniers ont tué son frère et emprisonné son père malade, pendant la guerre du Darfour qui a éclaté au début des années 2000. Même son de cloche du côté d’Abdelaziz Osher, le demi-frère du ministre des Finances Gibril Ibrahim qui est, lui aussi, un ex-rebelle du Darfour. « Les islamistes ont quitté la scène politique depuis la chute de Béchir », prétend-il.

Bon nombre d’entre eux ont toutefois retrouvé leurs postes au lendemain du putsch et exercent leur influence sur les généraux des FAS dans le cadre de la guerre.

Les partisans de la dictature militaro-islamiste sont d’ailleurs régulièrement cités comme étant à l’origine du conflit, notamment par les membres de la Coordination des forces civiles démocratique dite « Taqaddum ». Dans une déclaration politique lue par l’activiste Magdah Abdelrahman à l’issue de la cérémonie de clôture, 14 « groupes soudanais » attribuent au contraire le déclenchement des hostilités à « la rébellion des Forces de soutien rapide ».

Pour rapprocher ces deux lectures radicalement opposées, l’UA et l’Igad prévoient d’organiser une deuxième session, avec les formations qui n’ont pas rejoint cette première rencontre. Le 25 juillet, Taqaddum et l’UA ont cependant échoué à trouver un accord sur le format et les participants de cette rencontre, censée se tenir en août.

Même en cas de ralliement de cette coalition et des autres groupes absents mi-juillet, le dialogue inter-soudanais n’est pas pour tout de suite. Il interviendra seulement après la cessation des hostilités, d’après la vision remise le 15 juillet à Mohamed Ibn Chambas, le président du haut panel de l’organisation panafricaine sur la résolution de la crise soudanaise. Le document de quatre pages « Vision des forces politiques et civiles pour préparer le dialogue soudano-soudanais » stipule que ce processus permettra de trancher les « problèmes urgents » liés à la période de transition, comme le type d’infrastructures et les arrangements constitutionnels. Puis, dans un second temps, « les causes profondes de la crise soudanaise » seront analysées.

La menace de l’escalade ethnique et de la fragmentation de la nation

« Il y a désormais un consensus parmi ces groupes sur l’arrêt de la guerre, ce qui était déjà le cas du côté de Taqaddum. Nous voudrions à présent que les deux coalitions s’entendent sur la façon de mettre fin à la guerre », résume Nureldin Satti, invitant de fait à ne pas attendre le lancement du dialogue inter-soudanais pour agir. Cet ancien ambassadeur du Soudan aux États-Unis a été nommé à la tête d’un comité de cinq membres chargé de piloter la rencontre qui vient de s’achever. Refusant de choisir entre les deux belligérants, il exhorte à « éviter tout dérapage qui pourrait aboutir à une escalade ethnique et à la fragmentation du pays et de la société ».

Des nettoyages ethniques sont déjà intervenus depuis le début de la guerre, notamment envers le peuple Massalit au Darfour-Occidental lors d’un massacre qui a fait jusqu’à 15.000 morts d’après un groupe d’experts de l’ONU. « Les actes de violence directs et les abus commis par des forces contre la population en général – que ce soit dans l’intimité de leur foyer ou lorsque ces personnes fuient – semblent être des caractéristiques constantes du conflit », écrit MSF dans son rapport publié lundi 22 juillet, qui documente en outre les violences à caractère ethnique, sexuel et sanitaire voire humanitaire. La crainte d’une division du territoire entre deux gouvernements possédant chacun son armée, comme en Libye voisine, est également dans tous les esprits.