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Tchad : dans les rangs des « Transformateurs », la déprime post-présidentielle

02 juin 2024
7 min

Au Tchad, le chapitre de la transition est désormais clos avec la tenue de l’élection présidentielle du 6 mai et remportée par le général Mahamat Idriss Déby Itno. Ce retour à l’ordre constitutionnel, qui marque la mise en route effective de la 5e République dont la Constitution a été promulguée le 29 décembre 2023, est considéré par les détracteurs du pouvoir comme « un passage en force qui consacre le règne de la dynastie Déby ». Les militants du parti d’opposition « Les Transformateurs » qui voyaient arriver à travers cette élection la « Transformation » ont été servis par la désillusion.

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Premier Conseil des ministres post-élection présidentielle, le 30 mai 2024, au Palais Toumaï.

Depuis la proclamation des résultats définitifs de la Présidentielle,  D. Théo, un fervent Transformateur, habitant du quartier Boutalbagar, dans le 7e arrondissement de la capitale N’Djamena, n’arrive toujours pas à digérer la victoire sans partage de Mahamat Idriss Déby Itno au scrutin du 6 mai 2024. Lui qui espérait, avec cette élection, vivre une alternance par la voie démocratique, a vu ses espoirs douchés. « Ce n’est plus la peine de croire à un changement de régime par la voie des urnes dans ce pays », lâche-t-il dépité.

Né en 1994, D. Théo n’a connu que le régime du défunt président, Maréchal Idriss Déby Itno. Soit trois décennies de pouvoir (1990 – 2021). Cet enfant de Mbalbakra, dans la province du Logone occidental, s’imagine mal continuer à vivre sous la dynastie Déby. L’aventure dans un autre pays est devenu son crédo. « J’ai fini avec la licence à l’université mais je suis au chômage. En plus des conditions de vie, difficiles, on nous traque pour notre engagement politique dans l’opposition. Il vaut mieux aller se chercher ailleurs », confie-t-il.

À l’image de D. Théo, les militants et sympathisants du parti Les Transformateurs ne croient pas aux résultats de la Présidentielle qui donnent Mahamat Idriss Déby Itno gagnant dès le 1er tour. Le fils du défunt président a remporté le scrutin haut la main avec 61%. Il devance largement son principal challenger, Dr. Succès Masra, candidat du parti sus-indiqué qui n’a récolté que 18,54%. « Ces résultats sont des résultats préfabriqués. Même les sourds-muets le savent. C’est une véritable mascarade, un hold-up, un braquage électoral », a déclaré après la publication des résultats provisoires le vice-président de cette formation politique, Dr. Sitack Yombatinan Béni.

« Succès Masra a contribué à la fabrication des monstres institutionnels »

Du regard des observateurs de la scène politique tchadienne, la victoire du président de transition à cette élection est une évidence. « Il ne faut pas être surpris des résultats et surtout qu’on savait que les dispositions à garder le pouvoir étaient bien manifestées depuis le début de la transition et le président des Transformateurs est suffisamment intelligent pour ne pas l’avoir vu venir, analyse Dr. Evariste Ngarlem Toldé, juriste-politologue et recteur d’une université privée à N’Djamena. Succès Masra a contribué à la fabrication des monstres institutionnels (Agence nationale de gestion des élections et Conseil constitutionnel) qui sont en train de le dévorer maintenant. »

Sollicité par Tama Média, le journaliste politique et observateur, Mbaindang-roa Djekornondé Adelph, abonde dans le même sens : « Les résultats ne surprennent guère, leur contraire aurait étonné les observateurs politiques avertis. Ces résultats témoignent de la realpolitik car toutes les conditions matérielles et contextuelles étaient réunies pour assurer la victoire de Mahamat Idriss Déby Itno. »

Dans un direct sur Facebook le 9 mai, Dr. Succès Masra, candidat perdant et ex-chef du dernier gouvernement de transition, a affirmé que la « victoire du peuple lui a été volée » tout en appelant ses partisans au calme. Un message que l’analyste politique M. Djekornondé Adelph juge embarrassant.  « Dr. Succès Masra a contribué à l’élaboration du système électoral et garanti, par le biais de son gouvernement, la crédibilité des institutions qu’il a lui-même défendues devant l’Assemblée nationale. Il n’est pas bien placé pour contester les résultats émanant de ces institutions », estime-t-il.

« Le changement dont on a besoin »

Le changement. Ce mot polysémique est sur toutes les lèvres. Classe politique, société civile, religieux, chacun indique être pour le changement même si c’est un Déby qui est au pouvoir. « Il faut un changement radical. Il faut couper avec les vieilles méthodes. Le changement dont on a besoin doit se trouver dans le mode de gouvernance, dans la justice, dans des conditions de vie sociale. Plus de népotisme, d’impunité, de justice à géométrie variable », clame un étudiant de la Faculté des Sciences Juridiques de N’Djamena.

Le changement dont réclament les Tchadiens, le président élu en a vraisemblablement conscience. « Je travaillerai avec ma coalition à l’exécution de mon projet de société pour que le changement dont les Tchadiens ont tant besoin soit une réalité », a promis le général Mahamat Déby lors d’un dîner offert le 19 mai dans sa résidence privée. Déjà, le désormais président de la République a imprimé ses marques en nommant un Premier ministre totalement inconnu du grand public et en remplacement de son challenger Dr. Succès Masra. « En nommant Allah-Maye Halina au poste de Premier ministre, le président s’inscrit dans la rupture. Allah-Maye est un homme qui est resté loin de la politique donc il ne sera pas trop sous l’influence des hommes politiques », pense Désiré Mbairamadji, président de l’Association des jeunes arc-en-ciel pour la stabilité sociale en Afrique (Ajassa).

Le Tchad des cinq prochaines années ?

Comment voit-on le Tchad dans les cinq prochaines années ? La question a été posée au directeur du Centre de Recherche en Anthropologie et en Sciences Humaines (Crash). « On va poursuivre avec la transition », se convainc Dr. Yamingué Bétinbaye du Crash. Pour ce juriste et analyste politique, le chantier de la transition est terminé sans être achevé. Et les cinq prochaines années seront consacrées à la poursuite de la transition.

Les défis de celle-ci ne sont pas totalement relevés, donc, il faut se donner du temps pour aller jusqu’au bout. « On aura un pays qui sera en train de travailler à la réconciliation nationale, pour poser les bases d’une gouvernance responsable et démocratique. Les défis sociaux montent. Et comme on clame que la transition est terminée, le Tchad n’aura pas à bénéficier des facilités des partenaires financiers avec ce retour à la normalité », argumente-t-il.

Quant à l’animation du jeu démocratique, le chercheur Bétinbaye exprime de grosses inquiétudes : « Dans les deux ou trois années qui vont suivre, on sera peut-être dans un pays où il n’y aura pas une opposition forte. Quand il n’y a pas de contre-pouvoir, c’est un risque pour la démocratie. Là déjà, tout ce qui reste de l’opposition, même l’exécutif ne leur laisse pas la possibilité de jouer ce rôle. » Avec le départ de Dr. Succès Masra de la Primature et des Transformateurs du gouvernement, certains chefs des partis politiques de la majorité présidentielle annoncent déjà la fin politique du leader de cette formation d’opposition. Mais lui a le regard tourné vers les prochaines échéances électorales à savoir les législatives et les sénatoriales dont les dates ne sont pas encore connues. Ces élections pourraient être une occasion pour eux de conforter leur place de deuxième force politique.