Avec la libération des 49 soldats ivoiriens au Mali, le Togo enregistre un nouveau coup diplomatique conforme à sa politique de médiateur « constructeur de paix », malgré les nombreux enjeux internes auxquels le pouvoir de Faure Gnassimgbé est toujours confronté. Décryptage.
Le lundi 18 juillet 2022, le ministre togolais des Affaires étrangères Robert Dussey était « en visite de travail et d’amitié » au Mali. Après un tête-à-tête à Koulouba avec le président malien de la transition, le chef de la diplomatie malienne Abdoulaye Diop a déclaré face aux médias que le colonel Assimi Goïta a souhaité que « le Togo mène une mission de bons offices [entre le Mali et la Côte d’Ivoire] », dans la résolution de l’affaire des 49 soldats ivoiriens. A son tour, aux côtés de son homologue malien, le ministre Dussey avait rassuré de la disponibilité du président Faure Gnassimgbé « d’aider et d’user de ces bons offices pour résoudre définitivement ce problème entre nos deux pays ».
Cette enième visite du ministre togolais Robert Dussey à Bamako, sanctionnée par un point de presse et un communiqué conjoint, est intervenue quelques jours après l’arrestation des 49 soldats ivoiriens à l’aéroport international Bamako-Senou le 10 juillet 2022, à leur descente d’avion. Ils sont considérés à l’époque par le pouvoir de Bamako comme des « mercenaires » alors qu’Abidjan a juré que ce sont des militaires de l’armée ivoirienne, devant apporter un appui au contingent ivoirien de la Minusma.
En prenant ce rôle de facilitateur, le pays de Gnassimgbé était conscient de l’ampleur de cette tâche : « Le Togo n’a pas vocation à prendre parti pour l’un des deux camps. Notre objectif est d’apaiser les relations entre les deux pays en obtenant la libération des 49 soldats arrêtés », avait confié Robert Dussey à nos confrères de Jeune Afrique.
Le Togo, l’image d’un pays « constructeur de paix »
Ce choix des autorités maliennes, selon l’avis de la journaliste Caroline Chauvet, correspondante de l’AFP et TV5MONDE au Togo, peut s’expliquer par le fait que « le Togo dispose d’une politique de médiateur international ou du moins sous-régional depuis plusieurs années ». Le pays ne cache pas ses ambitions de paraître comme un « constructeur de la paix », notamment dans la région ouest-africaine où plusieurs pays connaissent des instabilités politiques. En dehors du dossier des militaires ivoiriens qui étaient détenus au Mali, le pays a joué ces dernières années un rôle de médiateur dans plusieurs crises, et accueille très régulièrement des grands évènements sous- régionaux sur la question de la paix.
Lors de sa recente traditionnelle présentation du bilan annuel de l’action diplomatique togolaise, le ministre Dussey n’a pas manqué de citer entre autres : le colloque international de Lomé sur la gestion des transitions politiques et le renforcement de la résilience face aux extrémismes violents du 06 mars 2022, la 3ème réunion du groupe de soutien à la transition au Mali (GST-Mali), tenue à Lomé le 06 septembre 2022 et la co-organisation de la 3ème édition du forum régional sur l’éducation à la paix à travers le dialogue intra et interreligieux qui a d’ailleurs consacré Lomé « la capitale de la paix, de la médiation, du dialogue et de la tolérance ».
Pour le professeur de philosophie politique, à la tête de la diplomatie togolaise depuis 2013, toutes ces actions « s’inscrivent dans cette dynamique d’affirmation du leadership de [leur] pays sur ces thématiques. Il en est de même du lancement à Lomé par la commission de l’Union africaine, de l’édition 2022 du mois de l’amnistie. » C’est ce qui fait dire à la journaliste Caroline Chauvet que « c’est donc naturellement que le Togo s’est rapproché du Mali pour une médiation dans cette affaire des militaires ivoiriens ».
Dénouement heureux au final
En grand diplomate, le ministre togolais des affaires étrangères appelle affectueusement le colonel Assimi Goïta « grand-frère ».
Mais malgré les efforts de médiation déployés, les parties ne sont pas parvenues vite à se comprendre. Le 14 août, l’affaire est judiciarisée au Mali : les militaires ont été inculpés par la justice malienne et placés en détention. Bamako avait officiellement demandé à Abidjan de lui remettre des anciens dignitaires du défunt régime d’Ibrahim Boubacar Kéïta en contrepartie d’une éventuelle libération. Abidjan a rejeté cette demande, la qualifiant de « chantage ». La tension monte d’un cran entre les deux pays voisins.
Mais après plusieurs mois de médiation, dans la plus grande discrétion possible, la diplomatie togolaise, avec d’autres acteurs évidemment, est parvenue finalement à rapprocher les différentes parties. Au mois de Septembre, trois soldates ont été libérées pour raisons humanitaires et rentrées à Abidjan après un bref escale à Lomé où elles ont été remises aux autorités ivoiriennes. En décembre dernier, la signature d’un « accord secret » entre Bamako et Abidjan sous la médiation togolaise a ensuite été obtenue. C’est cet accord qui a permis la libération des militaires ivoiriens suite à la grâce présidentielle dont ils ont bénéficié après leur condamnation par la justice malienne le 30 décembre 2022.
“Un coup de maître diplomatique” du Togo qui sera salué sur la scène sous-régionale et internationale.
Réaction de la société civile togolaise
Au Togo, plusieurs organisations de la société civile s’en réjouissent, notamment à travers un communiqué du 9 Janvier 2023 signé par le patron de l’Association des victimes de torture au Togo (ASVITTO), Atacholi Kao. Mais ces organisations ont aussi saisi l’occasion pour interpeller le président Faure Gnassimgbé, à la tête du pays depuis 2005, l’appelant à consacrer la même énergie « aux priorités nationales notamment les crises sécuritaire et sociopolitique, avec la lancinante question de prisonniers politiques au Togo ».
Pour ces organisations de la société civile togolaise, « il va sans dire que par définition, aucune diplomatie ne peut réellement et effectivement être agissante, si elle n’est protectrice des intérêts des populations du pays qui la mène, à moins d’être une diplomatie de façade. Les missions de bons offices offertes à l’étranger par le Togo ne doivent ni prendre le pas sur, ni occulter les intérêts et besoins vitaux des Togolais. »