Quelles sont les origines, la durée de séjour et les conditions de vie des étrangers et des travailleurs subsahariens en Algérie ? Pour la première fois depuis son indépendance, le pays dispose d’une étude académique sur l’émigration avec des chiffres clés issus du terrain.
Cette étude menée par le CREAD, le Centre de recherche en économie appliquée et développement dépendant de l’Université d’Alger, a concerné trois wilayas (départements), à savoir Alger (Nord-Centre), Oran et Tlemcen (Nord-Ouest), Bejaia (Centre-Est) et Tamanrasset (Extrême Sud). Les chercheurs ont précisé qu’il s’agit d’une étude « empirique » puisqu’elle n’a concerné que 309 travailleurs étrangers, dont seulement 25% de femmes. « Les femmes ne participent pas souvent » aux sondages, ont précisé les chercheurs dans le document dont Tama Média détient une copie.
Baisse du nombre de travailleurs migrants ces dernières années
Selon le document, le nombre de travailleurs migrants a baissé en Algérie ces dernières années. « Depuis le début de ce millénaire, une tendance à la baisse des travailleurs migrants en situation régulière et une hausse sensible des travailleurs étrangers sans aucune couverture sociale se confirme », note l’étude. De début des années 2000 à aujourd’hui, le nombre de travailleurs émigrés en Algérie a varié. Mohamed-Saïb Musette, l’un des chercheurs qui ont mené cette enquête et l’un des plus grands spécialistes des migrants en Algérie, rappelle qu’en 2016, un pic de 100 000 travailleurs étrangers avait été atteint. « Fin 2020, le nombre de permis en cours de validité était divisé par cinq, soit moins de 20 000 étrangers bénéficiaires », fait-il remarquer.
La nationalité des travailleurs étrangers
L’étude du CREAD s’est également intéressée à la nationalité des travailleurs étrangers. Sans surprise, les Subsahariens, les Syriens et les Chinois sont les origines qui se distinguent le plus avec un nombre important de Chinois au début des années 2000, recrutés essentiellement comme travailleurs dans des entreprises de leurs pays qui avaient décroché des contrats dans des secteurs du BTP, Bâtiment et travaux publics, qui a connu un grand essor durant la deuxième moitié de la décennie 2000. Ce secteur employait également beaucoup de Turcs venus dans ce cadre, les entreprises de leur pays étant en deuxième position à construire des dizaines de milliers de logements en Algérie depuis une vingtaine d’années. L’étude montre d’ailleurs que la majorité de ces travailleurs regagnaient leurs pays ou du moins quittaient l’Algérie à la fin du projet pour lequel ils étaient recrutés.
En revanche, si les migrants en provenance des pays subsahariens sont beaucoup plus nombreux ces dernières années, leur nombre et leurs habitudes sont difficiles à cerner parce qu’ils viennent souvent dans un cadre informel, précise le document.
Les seuls « vrais » chiffres vérifiables sont en revanche ceux du Centre national des Registres de Commerce (CNRC) qui fournit des données précises sur le nombre d’étrangers exerçant dans le domaine du commerce. « S’agissant des personnes morales, les nationalités des gérants les plus répandues sont : Française (15,7%), Turque (11,1%), Syrienne (10,2%), Tunisienne (9,3%) et Chinoise (9,0%) », note l’étude du CREAD qui précise également que concernant les personnes physiques, elles sont comme suit: Syrienne (31,6%), Tunisienne (25,4%), Marocaine (14,3%), Égyptienne (7,6%) et Palestinienne (7,5%).
Le profil des migrants et leurs conditions de vie
Les migrants venus des pays d’Afrique subsaharienne, dont beaucoup ne souhaitent pas forcément résider de manière permanente en Algérie selon plusieurs études d’organismes algériens et internationaux, sont les plus touchés par la précarité. Mais l’étude ne fournit pas de données précises sur le sujet. Elle a contrario ressorti que les nouveaux migrants (ceux qui ont passé moins de trois mois dans le pays, contre plus de 5 ans pour les « anciens ») « sont moins instruits que les anciens, avec près de 40% qui ont un niveau primaire, dont 14% des analphabètes ». Le profil des migrants qui ont plus de 5 ans en Algérie est assez différent : « aucun analphabète et plus de 50% ont un niveau secondaire ou supérieur », note le document.
Cet écart se mesure également au niveau des revenus. « (…) l’estimation de leur revenu mensuel semble être plus forte pour les anciens que pour les nouveaux : 27% contre 40% ont moins de 40 000 DA/mois (250 euros) ; tandis que les montants supérieurs à 40 000 DA sont à l’avantage des anciens (50% contre 34%) ».
C’est également dans le logement que les disparités sont très visibles. «(…) près de 80% des anciens habitent dans des appartements, des villas et de studio, à l’inverse des nouveaux, 40% logent encore dans des garages, des baraques et autres lieux de vie… », note le document. Cette situation montre en effet des problèmes d’intégration, voir de discrimination. « Notre étude montre que 16 % des étrangers affirment être victimes de discrimination, laquelle est plus intense à l’égard des Subsahariens (32 %) que des Arabes ou des Asiatiques. L’Algérien oublie parfois qu’il est aussi africain. Plus que la discrimination, le racisme noir-blanc est latent », se désole Mohamed-Saïb Musette.
C’est entre autres à cause de cette situation que beaucoup de travailleurs migrants ne comptent pas passer toute leur vie en Algérie. « Les nouveaux migrants envisagent (65%), plus que les anciens (47%), à quitter l’Algérie, bien qu`ils sont en moyenne globalement plus de la moitié (57%) qui ne pensent pas rester dans le pays encore longtemps », note encore l’étude du Cread qui recommande de « tenir compte de l’importance de la présence des nouveaux migrants dont la durée de présence est de moins de cinq ans » (qui sont) en majorité, originaires des pays de l’Afrique Subsaharienne. « Ils possèdent un niveau d’instruction faible, une expérience professionnelle limitée et une mauvaise situation financière. Ils sont peu intégrés ».