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5 questions pour comprendre le projet de nouvelle Constitution au Mali

18 juin 2023
10 min

Au Mali, environ huit-millions d’électeurs sont attendus dans les urnes, ce dimanche, pour le scrutin du référendum constitutionnel. Si le projet est adopté, le pays se dirigera alors vers une IVe République ? Mais que contient concrètement ce projet de nouvelle Constitution au Mali ? Nous avons posé 5 questions à l’enseignant-chercheur malien, Dr. Abdoul Sogodogo.

Mali referendum 1

Ce dimanche 18 juin, les Maliens sont appelés dans les urnes pour un référendum, consistant à doter du pays d’une éventuelle nouvelle Constitution. Pour ces échéances électorales, l’AIGE, Autorité indépendante de gestion des élections, estime le nombre d’électeurs à 8 463 084 votants [4 071 508 femmes et 4 391 576 hommes] répartis entre 24 416 bureaux de vote. Pour davantage inciter les électeurs à retirer leurs cartes d’électeur, les autorités avaient déclaré le jeudi 15 juin “Journée citoyenne”, donc “payée et chômée”. A noter que d’autres pièces d’identité officielles maliennes [Cartes d’identité, passeports, permis de conduire…] sont par exception acceptées pour ce référendum constitutionnel sur lequel les avis sont partagés au sein de l’opinion publique, certains appelant à voter “un oui massif” et d’autres défendant le “non”.

Enseignant-chercheur à l’Université des Sciences Juridiques et Politiques de Bamako [USJPB], Vice-Doyen de la Faculté des Sciences Administratives et Politiques [FSAP] de la même université, Docteur Abdoul Sogodogo analyse pour Tama Média, dans une démarche volontairement pédagogique, le contenu du projet de Constitution, la nécessité d’un référendum constitutionnel pour un État souhaitant faire de reformes institutionnelles profondes, les débats autour du projet de loi fondamentale et, enfin, exprime son avis, avec réserve, sur la tenue du référendum.

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Dr. Abdoul Sogodogo au Centre international de conférences de Bamako (CICB), où il nous a accordé cet entretien, samedi 3 juin 2023, en marge d’une de ses occupations professionnelles.

1-Tama Média : Votre première impression après lecture du projet de Constitution ?

Dr. Abdoul Sogodogo : J’ai retenu quelques avancées. En premier lieu, on a les avancées sur les droits humains. Pratiquement, toutes les libertés et tous les droits fondamentaux consacrés par la Constitution de février 1992 ont été maintenus. Certaines dispositions ont été renforcées. De façon spécifique, on voit que les droits de l’Enfant sont énoncés et protégés à l’article 3 [« L’Etat assure la protection de l’enfant contre le trafic de personnes et les infractions assimilées et contre l’enrôlement dans les groupes extrémistes violents. »]. La question des femmes et des personnes vivant avec le handicap se retrouve cette fois-ci dans le préambule. Ce qui n’est pas le cas dans la Constitution de février 1992, qui est encore en vigueur jusqu’à ce qu’une autre soit adoptée.

Ensuite, les données à caractère personnel qui sont protégées (art. 12). Cela a tout son sens puisque nous sommes aujourd’hui dans le monde du numérique. Il est donc important que les données que nous y mettons, les cartes biométriques, etc., soient protégées et qu’on puisse en faire un droit constitutionnel.

Comme le pays traverse une crise sécuritaire — et qui demande une forte participation des populations pour arriver au bout de cette situation — si jamais cette crise devait s’envenimer (on ne le souhaite pas), l’État pourrait faire appel aux populations. Donc, il y a un pouvoir de mobilisation du peuple qui est accordé au président de la République par le texte de projet de Constitution (cf. art. 24 et art. 63). Ce qui a tout son sens dans le contexte malien actuel.

Il faut noter la levée de toute ambiguïté autour d’un troisième mandat, car il est écrit : « En aucun cas, nul ne peut exercer plus de deux mandats de Président de la République » (art.45).

En plus, le mode de désignation des membres de la Cour constitutionnelle et le mandat unique renforce leur indépendance. Surtout le citoyen pourra saisir la Cour constitutionnelle à l’occasion d’un procès pour inconstitutionnalité d’une loi.

J’ai retenu aussi une volonté de donner la chance aux autorités traditionnelles et coutumières de jouer un rôle dans la gouvernance parce qu’ils vont se retrouver au niveau du Sénat. On note également la reconnaissance de la justice traditionnelle. Ce sont quelques avancées qu’on peut souligner.

« J’avais souhaité que l’AIGE soit une institution consacrée pour réaffirmer son indépendance vis-à-vis des pouvoirs publics. »

Force est de reconnaitre qu’aucune Constitution n’est parfaite. De ce fait, il y a des points qui peuvent être aussi soulignés comme étant des points d’inquiétudes. J’avais souhaité que l’AIGE soit une institution consacrée pour réaffirmer son indépendance vis-à-vis des pouvoirs publics. Parce que dans une démocratie libérale, l’élection est une des questions principales [qui se posent]. Donc, les élections doivent être organisées par un organe assez indépendant pour les recouvrir de la transparence et de la crédibilité.

Malheureusement, l’AIGE [Autorité indépendante de gestion des élections] est restée une CENI [Commission électorale nationale indépendante] renforcée par l’absorbation de la DGE [Délégation générale aux élections]. On comprend que la situation sécuritaire du pays, le retard dans les réformes institutionnelles et la crise de ressources humaines ne plaident pas en faveur d’un organe électoral totalement indépendant comme au Ghana [un pays anglophone ouest-africain dont sa démocratie est citée ces dernières décennies en exemple].

Je pense aussi que le projet de Constitution consacre beaucoup de pouvoirs au président de la République. C’est peut-être le contexte qui a fait qu’on a renforcé les pouvoirs du président de la République au lieu de renforcer d’autres institutions comme le Parlement [composé deux chambres, l’Assemblée nationale et le Sénat (cf. art. 95)].

Le contexte actuel du Mali peut justifier cela parce que, dans la pensée collective, il semble que le président de la République, s’il dispose de pouvoirs importants, peut peser véritablement sur le destin de la Nation. Même si cela n’est pas forcément évident, j’ai l’impression que les présidents passés avaient aussi d’importants pouvoirs. Du coup, je me dis : ce n’est pas seulement les pouvoirs constitutionnels, mais ça va être la capacité de mobilisation de ce président à allier le Peuple derrière lui, qui va être déterminant.

Au vu des insuffisances de la Constitution de 1992, je pense globalement que c’est une occasion unique que nous avons de passer à une nouvelle République parce qu’on ne peut pas espérer faire une refondation de l’État sans passer à un nouveau pacte qui permettra aux Maliens de se reconstruire sur la base des valeurs les plus partagées.

2Une nouvelle Constitution est donc nécessaire selon vous ?

Une nouvelle constitution est nécessaire. La question peut se poser au niveau du contenu. Certains acteurs peuvent ne pas retrouver des dispositions ou des façons de faire qui ne sont pas dans ce projet. Mais l’opportunité, à mon avis, c’est faire moins de débats [sur cette question de nécessité] parce que la nécessité y est. Nous savons que, depuis 1997, les insuffisances de la Constitution de février 1992 ont suffisamment été mises en évidence.

C’est pourquoi d’ailleurs plusieurs présidents démocratiquement élus [Alpha Oumar Konaré (AOK), Amadou Toumani Touré (ATT) et Ibrahim Boubacar Kéïta (IBK)] ont tenté de réviser cette Constitution, mais sans succès. Car il y a cette intention que l’on prête à tous les présidents : qu’ils veulent faire un troisième mandat ou qu’ils veulent renforcer leurs pouvoirs. Donc, les gens se sont tous les temps opposés aux différentes tentatives de révision constitutionnelle pour telle ou telle raison. Je pense qu’une grande partie des Maliens est d’accord aujourd’hui qu’il faut des changements profonds. Ce qu’on a appelé la refondation. On ne peut pas parler de refondation sans une nouvelle constitution en fait.

3Vous comprenez l’appel récent des magistrats, membre du mouvement hétéroclite « Appel du 20 février », attirant « l’attention de la Cédéao sur les conséquences d’un référendum illégal » ?

C’est leur droit. C’est le droit de tout citoyen pendant la période de campagne de dire aux uns et aux autres de voter oui ou non avec ses arguments. Que ce soient les organisations civiles ou les partis politiques, ils ont le droit de dire ce qu’ils pensent de ce projet de Constitution. D’ailleurs, c’est cela même la démocratie. Celle-ci veut qu’on permette à tout un chacun de participer à la gouvernance et au débat public dans la limite du droit évidemment. Le débat, c’est peut-être les arguments sur lesquels les autres vont se fonder. Ceux qui disent qu’il faut voter oui doivent avoir un certain nombre d’arguments pour convaincre l’électorat. Ceux qui disent qu’il faut voter non, je suis sûr qu’ils ont aussi des arguments pour convaincre leur électorat. Bref, je n’en vois pas une difficulté particulière.

4-Une fois le projet de Constitution adopté, qu’est-ce qui pourrait changer concrètement ?

Beaucoup de choses vont changer. Si le projet de Constitution est adopté, cela veut dire qu’on passe alors à une IVe République. Il y a de nouvelles institutions, une nouvelle répartition des pouvoirs… Il y a toutes ces institutions qu’il faudra opérationnaliser. Ça va avoir une influence importante sur le Mali dans les jours à venir. Déjà, la loi électorale sera forcément modifiée. Il y a certains secteurs d’activités qui seront revus. Le gouvernement va disposer de pouvoirs plus importants qu’avant (le Président). Tant mieux si cela peut lui permettre de mieux juguler la crise que le Mali traverse. En tout cas, ce qu’on ne souhaitera pas voir, c’est la suppression des libertés et des droits fondamentaux. Les Maliens sont fatigués parce que la crise a duré. Cela fait plus de dix ans [depuis 2012] que le pays est dans cette situation compliquée. Tout ce que les populations veulent entendre, c’est la sortie définitive de cette situation difficile.

5-Comment voyez-vous la tenue du référendum ?

Je crois que le débat peut être mené autour du contenu, sinon l’opportunité d’adopter une nouvelle Constitution ne fait pas l’objet d’aucun doute pour moi. Et c’est le bon moment d’aller à une quatrième République. Est-ce qu’on va pouvoir voter sur l’ensemble du territoire national ? Je ne sais pas, parce que je ne dispose pas d’assez d’informations pour l’apprécier. Mais il serait quand même intéressant de trouver les moyens pour que le maximum de Maliens puisse voter pour un oui ou un non.

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