Du 25 octobre au 4 novembre 2023, la 25e édition du Salon international du livre d’Alger (Sila) a réuni selon les organisateurs, dans la capitale algérienne, des acteurs du secteur venus de 60 pays du monde entier dont 18 africains. Ce grand rendez-vous du savoir a attiré un total de 1283 exposants. Mais l’engouement qui ne se démord pas pour le Sila cache les sérieux problèmes auxquels sont confrontées plusieurs maisons d’édition en Algérie. Pour sortir d’un « huis clos mortel », dans un domaine où la concurrence fait rage, elles se battent tant bien que mal. Reportage.
En ce jeudi 26 octobre 2023, les allées de la Foire internationale d’Alger sont pleines à craquer. Sous un soleil radieux, des centaines de personnes ont afflué vers ce temple des expositions inauguré à la fin des années 1960.
C’est le deuxième jour du Salon international du livre d’Alger (Sila). Une occasion pour découvrir les nouveautés de l’édition, acheter des ouvrages ou assister à des conférences thématiques comme celles portant sur la littérature africaine, la Palestine ou encore la publication digitale.
Au milieu du pavillon central, le plus imposant du palais des expositions, situé dans la commune de Mohammadia, à l’entrée Est d’Alger, Ali Laïb devise avec deux jeunes. Ce journaliste au long cours est à la tête des Éditions Le Chélif qui mettent environ dix ouvrages par an sur le marché.
Teint mat et sourire permanent aux lèvres, Ali publie également en français un journal hebdomadaire régional du même nom. L’homme est fier de présenter ses produits aux visiteurs. « J’essaie de publier ce que je peux », avance-t-il pour expliquer la modestie de son stand comparé à ceux plus spacieux d’autres maisons d’édition.
Pour lui, le métier d’éditeur est avant tout un acte militant visant notamment à sortir de l’anonymat des auteurs issus de zones enclavées. Originaire de Skikda, à l’Est du pays, Ali a choisi de travailler à Chlef, une ville conservatrice du Centre-Ouest, où l’activité culturelle est plutôt morose.
« Honnêtement, ce travail n’est pas facile. Nous souffrons de deux problèmes majeurs : en premier lieu, nous n’arrivons pas à capter les auteurs de renom. Ces derniers choisissent les grandes maisons d’édition. Par voie de conséquence, en second lieu, nous sommes très peu médiatisés. Cela ne nous permet pas de nous développer », regrette le journaliste qui ne baisse pas pour autant les bras.
Des difficultés, Ali Laïb n’est pas le seul à en connaître dans l’univers algérien de l’édition. À quelques mètres de son emplacement, Amar Inegrachen reçoit un public composé notamment de simples curieux. La quarantaine révolue, il a créé il y a une dizaine d’années les Éditions Frantz-Fanon. Malgré des moyens limités, elles sont pourtant devenues une référence au plan local grâce entre autres à la confiance d’écrivains célèbres.
M. Inegrachen, pas adepte de la langue de bois, identifie néanmoins des goulots d’étranglement : « Nous sommes dans un pays fermé où les rapports entre les éditeurs et leurs homologues étrangers n’existent presque pas. Nous évoluons dans un huis clos mortel. Le fait que nous soyons coupés du reste du monde a des répercussions négatives sur le plan économique ».
Pire, l’éditeur estime que, à l’instar de beaucoup d’États africains, « l’Algérie n’a pas une politique du livre. Et les éditeurs y sont traités avec indifférence ». De plus, renseigne-t-il, aucune ambassade algérienne ne dispose d’une « section culturelle » digne de ce nom.
Le risque de mettre la clef sous le paillasson
Comme le patron des Éditions Chélif, Amar Inegrachen se plaint également du système de distribution des bouquins. Mais il a une explication à cela. « Pour qu’il y ait distribution, il faut d’abord un marché. Un distributeur est un commerçant. Il doit répondre à un besoin. Il n’y a pas de distribution ici puisqu’il n’y a pas un besoin particulier », souligne-t-il.
Les éditions Koukou, par la voix de leur dirigeant Arezki Ait-Larbi, ont indiqué que « la distribution existe timidement dans les grandes villes algériennes. Et c’est plus compliqué dans l’arrière-pays ».
À l’unisson, les trois éditeurs posent en outre la problématique du financement. « Face à la cherté du papier, nous ne recevons aucune aide financière de l’État, contrairement à certaines maisons d’édition algériennes », fulmine M. Aït-Larbi. De l’avis de M. Inegrachen, l’Algérie doit adopter « une politique volontariste de soutien au livre » comme « le font tous les grands pays à travers le monde ».
Dans cet environnement, il arrive parfois que des éditeurs soient dans le viseur des politiques. C’est le cas des éditions Koukou qui n’ont pu participer cette année au Salon international du livre d’Alger, l’un des plus importants au monde. Une sanction que le Comité d’organisation a motivée par la publication d’« ouvrages interdits » sans les citer.
« Alors que de nombreux livres, manuels scolaires et autres ouvrages prêchant l’intolérance, la haine, l’exclusion et le racisme pullulent dans les stands du Sila, c’est sur Koukou Éditions que s’abat l’arbitraire. L’objectif est d’étouffer la maison d’édition proche du lectorat algérien », peste Arezki Ait-Larbi.
« Cette décision exclut, par là même, tous les auteurs publiés par cette maison d’édition et dont les ouvrages sont en vente dans les meilleures librairies du pays. On les empêche d’aller à la rencontre de leur lectorat. Le Sila constitue une des meilleures opportunités pour les différents publics de rencontrer les auteurs », a dénoncé une pétition signée par des intellectuels, journalistes et autres personnalités. Les organisateurs du Salon et le ministère algérien de la Culture, de leur côté, n’ont pas voulu réagir à ces accusations.
Prises en tenaille, les Éditions Alpha, gérées durant une dizaine d’années par Lazhari Labter, ont fini par mettre la clef sous la porte. « Il fallait beaucoup de moyens financiers et logistiques pour poursuivre l’activité. Pour moi, ce n’était plus possible », nous a confié l’éditeur il y a quelques mois. Ce triste sort est hélas celui de plusieurs maisons d’édition et de librairies dans le pays.
Le Sila, une opportunité malgré tout
Les rideaux sont tombés, le 4 novembre dernier, sur le Salon international du livre d’Alger. Nacer, un amoureux de la lecture rencontré devant le stand des Éditions Frantz-Fanon, est « venu acheter des livres d’Histoire ». Ceux de didactique ont expliqué le déplacement d’Ahcen, professeur d’université établi à Biskra, dans le Sud-Ouest, où « il ne reste plus qu’un seul libraire ».
Algérois, Ali, responsable d’une association islamique, est à la recherche de livres religieux, très prisés ces dernières années, pour garnir les rayons de la bibliothèque de l’organisation. L’évènement a également permis à Djamel Kharchi, auteur de « Les statues de la discorde », édité chez les Presses du Chélif, de rencontrer son public. « C’est très important », dit-il, tout en résumant son ouvrage pour pousser des visiteurs à l’achat.
Pendant ce temps, Amar Aba, ancien ambassadeur de l’Algérie à Moscou (Russie) et Londres (Royaume-Uni), dédicace son dernier livre consacré à la diplomatie de son pays aux Éditions Frantz-Fanon. Un peu plus loin, le journaliste Mustapha Benfodil présente son roman « Terminus Babel », paru aux Éditions Barzakh.
Dans l’espace occupé par les Éditions Sedia, la jeune romancière, Manel Benchouk, résidant à Mostaganem (Ouest), est « toute émue » de communiquer sur son premier roman « Sans l’ombre d’un remords » sorti chez les Éditions Dalimen. Tout comme elle, des écrivains arabophones, berbérophones… ont dédicacé leurs ouvrages et discuté avec des lecteurs à la passion débordante.