Le 25 février 2024, le Sénégal élira son cinquième président de la République. Pour la première fois de l’Histoire du pays, le chef de l’État sortant n’ira pas à la rencontre de son peuple. Au pouvoir depuis mars 2012, Macky Sall s’est adressé à ses concitoyens le soir du 31 décembre 2023 à l’occasion du traditionnel discours du nouvel an. L’ultime message à la nation a sans surprise pris les contours d’un bilan final.
Le 3 avril 2012, neuf jours après sa victoire éclatante au second tour de l’élection présidentielle avec 65,8 % des suffrages valablement exprimés, Macky Sall parlait pour la toute première fois aux Sénégalais en tant que chef de l’État. C’était à la veille de la célébration de la fête de l’indépendance. À la fin de cette année-là, il formulait aussi à leur endroit ses premiers vœux de nouvel an.
Du haut de ses 62 ans, le natif de Fatick, dans le Centre du Sénégal, a sacrifié au rituel dimanche dernier. « Ce soir, je vous ferai en même temps mes adieux. C’est le dernier message solennel de fin d’année que je vous adresse », a-t-il énoncé d’emblée.
En Costume bleu nuit assorti d’une chemise bleu ciel, le locataire du palais de l’avenue Roume jusqu’au 2 avril prochain a entamé son propos par « les graves violences ayant causé des morts et des blessés, la destruction de biens publics et privés, dont des lieux de culte, des consulats et ambassades, des établissements scolaires et universitaires ; en plus d’une cyber attaque contre des sites stratégiques de l’État et de services vitaux, tels que l’eau et l’électricité, et un attentat mortel au cocktail Molotov contre un bus » en juin 2023 au Sénégal.
La condamnation à « deux ans de prison ferme » et une amende de « 600.000 F CFA (910 euros) » pour « corruption de la jeunesse » de l’opposant Ousmane Sonko, accusé de « viols répétitifs » et « menaces de mort » par une masseuse d’un salon dakarois, a mis le feu aux poudres. Ses partisans, en majorité les jeunes, ont investi les rues de la capitale et d’autres villes comme Ziguinchor (Sud) dont il est le maire.
Des manifestations de colère sévèrement réprimées par les forces de l’ordre, mais surtout par des hommes en civil tirant à balles réelles. Si le bilan officiel fait état de 16 décès, CartograFreeSenegal, une initiative de journalistes et data scientists, a dénombré au moins 29 morts dont 26 par balles (8 décès le 1er juin, 18 le 2 juin, 2 le 3 juin et 1 le 4 juin). En mars 2021, une dizaine de personnes avaient déjà perdu la vie à cause de cette affaire de mœurs.
Diatribe contre l’opposition radicale
L’épreuve de force entre Macky Sall, décidé à réduire l’opposition à sa plus simple expression, et Ousmane Sonko, prêt à mourir pour la survie de la démocratie sénégalaise, a fait vivre des épisodes sombres à ce pays autrefois cité en exemple dans le monde entier. « L’État a tenu bon, la justice suit son cours. Nous gardons le cap dans l’œuvre de construction nationale, de développement économique et social », a nuancé le président sortant.
Sonko, Inspecteur des Impôts et Domaines radié sous l’actuel régime, a été arrêté le 28 juillet avant d’être incarcéré trois jours plus tard pour sept chefs d’accusation dont « appel à l’insurrection ». Dans la foulée, le ministre de l’Intérieur Antoine Félix Antoine Diome a annoncé la dissolution par décret de son parti dénommé Patriotes africains du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité (Pastef).
« Tout peut basculer quand la paix est rompue, quand l’extrémisme, le populisme et la manipulation s’emparent des esprits, banalisent la violence, et imposent le faux à la place du vrai. L’extrémisme, la manipulation et le populisme sont les ennemis mortels de la démocratie, de l’État, de la République et de la nation », a affirmé Macky Sall peu avant le passage en 2024.
« Ce soir, mes chers compatriotes, je voudrais aussi vous dire, de façon insistante et solennelle, combien il importe de préserver la paix, la sécurité et la stabilité de notre pays. J’appelle instamment à la préservation de notre vivre ensemble pour que notre pays reste une nation unie dans sa diversité, dans la paix, la sécurité, la stabilité et la protection de notre héritage spirituel et socioculturel », a ajouté le chef de file de l’Alliance Pour la République (APR, parti au pouvoir).
Pour Alioune Tine, président du think tank Afrikajom Center, Macky Sall « est satisfait de laisser un État intact suite aux tragiques violences politiques de 2021 et 2023 qui l’ont durement affecté. Il faut néanmoins dire qu’il n’a pas hésité à user sans limites d’un présidentialisme exacerbé et de sa majorité pour combattre ses opposants. Le chef de l’État, dans l’inventaire de ses 12 ans à la tête du Sénégal, a fait émerger cette figure politique ambiguë qu’il a toutes les peines du monde à dissimuler ».
Le Sénégal des infrastructures
Dans le sillage du bâtisseur Abdoulaye Wade (2000-2012), Macky Sall a entrepris « la transformation structurelle » du Sénégal pour accélérer sa marche vers l’émergence. « Nous sommes sur le chemin avec la densification de nos infrastructures routières, autoroutières, et la modernisation de notre système de transport urbain, interurbain. Nos progrès sont réels et visibles à travers tout le pays. Les faits et chiffres parlent d’eux-mêmes », a soutenu le géologue de formation passé par l’Institut des Sciences de la Terre (IST) de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar (Ucad).
« En 2012, notre linéaire routier était de 1500 kilomètres contre 2900 en 2023. De 32 kilomètres d’autoroutes, nous en sommes à 189 et bientôt 500 kilomètres à la fin des chantiers Mbour (Ouest) – Fatick (Centre) – Kaolack (Centre) et Dakar (Ouest) – Tivaouane (Ouest) – Saint-Louis (Nord). La 2e phase du Train express régional (Ter), Diamniadio (Ouest) – Aéroport International Blaise Diagne de Diass (AIBD, Ouest), s’achève dans quelques mois. Une commande de 7 nouveaux trains s’ajoutera aux 15 actuels. Le Bus Rapid Transit (BRT) sera inauguré ce 14 janvier avec une flotte de 121 bus électriques alimentés par voie solaire, climatisés et avec Wifi à bord. Dakar Dem Dikk (la société nationale de transport public, NDLR) a fait peau neuve avec 370 bus de dernière génération », a détaillé celui ayant tour à tour occupé les fonctions de Premier ministre, président de l’Assemblée nationale puis chef de l’État.
Dans un contexte de coupures intempestives, des émeutes de l’électricité avaient éclaté au Sénégal en juin 2011. « Aujourd’hui, nous avons plus que triplé nos capacités électriques avec 1787 MW (contre 500 MW avant 2012) et un réseau de lignes électriques porté à 1552 kilomètres (contre 501 kilomètres auparavant). Le taux d’électrification rurale est passé de 27 à 61 % entre 2012 et 2023. Avec l’exploitation prochaine de nos ressources gazières et pétrolières, nous réaliserons à l’horizon 2025 l’accès universel à l’électricité à des coûts plus abordables. Le Sénégal émergent, ce sont nos nouvelles centrales électriques à énergie propre, entre autres à Bokhole (Nord), Malicounda (Ouest), Taïba Ndiaye (Ouest), Méouane (Ouest) et Mérina Dakhar (Ouest) », s’est félicité Macky Sall.
Le Sénégal émergent, a-t-il poursuivi, « c’est le lancement prochain du premier satellite de notre pays conçu et réalisé par nos propres ingénieurs. Ce sont nos aéroports régionaux réhabilités au Cap Skirring (Sud), à Kaolack (Centre), Kédougou (Sud-Est), Sédhiou (Sud), Tambacounda (Est), Saint-Louis (Nord), en attendant la livraison en 2024 des chantiers de Kolda (Sud), Linguère (Nord-Est), Ourossogui-Matam (Nord) et Ziguinchor (Sud). Ce sont nos parcs industriels et nos zones économiques spéciales. Ce sont nos nouvelles infrastructures sportives : Dakar Arena, Arène nationale de lutte, stade Me Abdoulaye Wade et les chantiers des Jeux Olympiques de la Jeunesse (JOJ) de 2026. Ce sont nos hôpitaux clefs en main à Touba (Centre), Kaffrine (Centre), Sédhiou (Sud), Kédougou (Sud-Est), Agnam (Nord) et les chantiers en cours à Ourossogui (Nord), Saint-Louis (Nord), Tivaouane (Ouest) et Dakar (Ouest), notamment la Polyclinique de l’hôpital Principal et le nouvel hôpital Aristide Le Dantec ».
Dans le secteur de l’eau, « nous avons multiplié les forages en milieu rural avec la première phase du Programme d’Urgence de Développement Communautaire (PUDC) et construit une 3e usine à Keur Momar Sarr (Nord-Ouest). Notre taux d’accès à l’eau potable est passé à 98 % en milieu urbain et périurbain et à 96 % en milieu rural. L’accès universel est désormais à notre portée avec deux projets de dessalement d’eau de mer : un en construction aux Mamelles de Ouakam (Ouest) et un autre en cours de montage technique et financier, plus la 2e phase des forages du PUDC qui va démarrer en début 2024 », a indiqué le président Sall.
Un Sénégal par tous et pour tous
Pour que nul ne soit laissé en rade, le souci d’équité territoriale et de justice sociale a habité l’époux de Marième Faye : « Voilà pourquoi j’ai mis en place des instruments comme le PUDC, le Programme de modernisation des axes et territoires frontaliers (Puma), le Programme de modernisation des villes (Promovilles), le Programme Xëyu Ndaw Ñi (emploi des jeunes en langue wolof), la Délégation à l’entreprenariat rapide des femmes et des jeunes (Der/FJ), le Fonds de Financement de la Formation Professionnelle et Technique (3FPT), les Domaines agricoles communautaires (Dac), la Couverture Maladie Universelle (CMU) et les bourses de sécurité familiale dont l’allocation est passée de 25 à 35.000 F CFA (38 à 53 euros) par trimestre ».
Ainsi, a fait savoir Macky Sall, « grâce à tous ces instruments actifs sur l’étendue du territoire national, nous avons amélioré le cadre de vie de nos villes, construit et réhabilité des lieux de cultes, créé des emplois et autres activités génératrices de revenus. Nous avons financé des milliers de jeunes et femmes porteurs de projets dont 250.000 attributaires de prêts de la Der/FJ. Et nous avons permis à des millions de bénéficiaires d’accéder à des services sociaux de base, y compris la couverture maladie dont le taux est passé de 20 à 53,2 % entre 2013 et 2023 ».
En plus de la hausse générale des salaires dans la fonction publique, a-t-il souligné, l’État continue de soutenir les prix des denrées de première nécessité, du transport, de l’eau et de l’énergie, dont la subvention, à elle seule, s’élève cette année à plus de 600 milliards F CFA (9,3 milliards d’euros). « Alors que la science et la technologie dessinent les nouvelles frontières entre les nations, l’éducation et la formation, qui occupent le premier poste budgétaire de notre pays, restent une priorité élevée des politiques publiques. Du primaire au secondaire, nous avons considérablement élargi la carte scolaire, recruté 40.000 enseignants et porté les salaires à un niveau sans précédent. L’État poursuit son soutien à la communauté éducative des daaras (écoles coraniques) dont l’apport multiséculaire à la formation spirituelle de notre peuple est inestimable », a déclaré l’auteur du livre « Le Sénégal au cœur ».
« Nos efforts pour l’Enseignement supérieur restent également constants. De l’indépendance à 2012, soit 52 ans, notre pays comptait deux universités : Cheikh Anta Diop (Ouest) et Gaston Berger (Nord), et trois Centres universitaires régionaux (Cur) à Bambèye (Centre), Thiès (Ouest) et Ziguinchor (Sud). Sur une décennie, nous avons érigé les Cur en universités logées dans leurs propres locaux et construit trois nouvelles universités : Amadou Makhtar Mbow (Ouest), El Hadj Ibrahima Niasse du Sine Saloum (Centre), l’Université numérique Cheikh Hamidou Kane ; sans compter le Campus franco-sénégalais. La construction des universités Souleymane Niang de Matam (Nord) et Sénégal oriental démarre en janvier. En même temps, nous avons beaucoup investi dans les équipements pédagogiques, le recrutement d’enseignants, la revalorisation du traitement et autres avantages des personnels, toutes catégories confondues, et la construction d’infrastructures d’hébergement et de restauration des étudiants. Chaque année, l’État octroie plus de 82 milliards F CFA (137 millions d’euros) en bourses et aides aux étudiants », a renchéri Macky Sall.
Tout compte fait, a salué M. Tine, ancien Directeur Régional d’Amnesty International en Afrique de l’Ouest et du Centre, « la construction des infrastructures qui ont modernisé le pays ainsi que les efforts pour atténuer les fractures sociales et territoriales ».
Les derniers actes du président sortant
Les candidats à l’élection présidentielle du 25 février 2024 passent actuellement devant le Conseil constitutionnel pour le contrôle des parrainages (des citoyens, des parlementaires ou des élus locaux). Un filtre censé éviter la pléthore de candidatures. « Le 2 avril 2024, s’il plait à Dieu, je transmettrai le pouvoir à mon successeur », a rappelé Macky Sall.
Avant d’en arriver là, le quatrième chef de l’État de l’Histoire du Sénégal a remercié ses concitoyens qui, par deux fois et à une majorité confortable, l’ont investi de leur confiance. « Cet honneur, je l’ai toujours considéré non comme une source de privilèges, mais comme une éminente responsabilité et un devoir sacré d’être à votre service, de travailler jour et nuit pour mériter votre confiance. Toute œuvre humaine est imparfaite. Mais quels que soient les critères d’évaluation, le Sénégal de 2023 est sans commune mesure avec le Sénégal de 2012. Je suis fier d’avoir réalisé avec vous cette séquence de notre Histoire. Un legs qui témoignera pour nous demain », a-t-il affirmé.
Jurant d’aimer le Sénégal d’un amour inconditionnel et inépuisable, le président sortant s’est engagé à faire en sorte que le scrutin se déroule, comme les précédents, de façon paisible et dans les meilleures conditions d’organisation. Par ailleurs, il a invité « tous les candidats à œuvrer dans le même esprit. En allant tous, ensemble, aux urnes dans le calme, la sérénité et le fair-play ».
« Si Macky Sall veut léguer un Sénégal de stabilité et de sécurité, il doit absolument se faire violence, faire preuve de dépassement par un acte absolu de sublimation pour pardonner, réconcilier le Sénégal avec la démocratie, l’État de droit et les droits humains. Quand il dit vouloir organiser une Présidentielle apaisée et transparente, il faut le prendre au mot. Il faut maintenant que l’administration soit impartiale. Elle doit respecter les décisions de justice. (…) Il nous faut repenser les effets pervers des enjeux du pouvoir et des ressources sur notre vivre ensemble, notre capacité à coexister pacifiquement, à faire nation. Dialoguer est indispensable pour construire un pacte républicain consolidé. Dialoguer est nécessaire pour que tous les citoyens votent librement pour le candidat de leur choix. Il faut laisser s’exprimer la souveraineté du peuple », a conseillé Alioune Tine, membre de la société civile.
Après la transmission du pouvoir, « je mettrai en place une fondation dédiée à la paix, au dialogue et au développement pour continuer à m’investir dans des causes qui me sont chères : la coexistence pacifique des peuples, le dialogue des cultures et des civilisations, le développement durable et inclusif, la justice climatique, le financement de la santé, en particulier la santé maternelle et infantile, le soutien à la jeunesse, le développement des infrastructures en Afrique et la réforme de la gouvernance mondiale qui a mobilisé avec succès notre diplomatie lors de mon mandat à la tête de l’Union Africaine (UA) », a dévoilé Macky Sall.
Toutefois, il a aussi fait part de sa disponibilité et de sa bonne volonté pour son pays : « J’ai le Sénégal chevillé au corps. Mon cœur battra toujours pour notre pays parce que ce qui nous lie – notre Histoire et notre destin communs – transcende mes fonctions officielles ».