« Mon pays réaffirme son attachement à la Cédéao et ne sortira pas de l’Union ». Cette déclaration a été attribuée au général Mamadi Doumbouya par plusieurs internautes, notamment sur X et Facebook. Les publications relayant la déclaration circulent depuis le dernier sommet de la Cédéao qui s’est tenu le 7 juillet à Abuja, au Nigeria. Mais le président de la transition en Guinée a-t-il vraiment prononcé ces mots ? Nous avons vérifié.
Le contexte – C’est un court texte largement publié sur les réseaux sociaux et accompagné d’une photographie du président guinéen de transition, le général Mamadi Doumbouya. Dans ce message, il aurait lui-même réaffirmé l’attachement de son pays à la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest dans un contexte où les pays membres de l’Alliance des États du Sahel (Burkina Faso, Mali, Niger), dirigés eux aussi par des putschistes, ont annoncé en janvier dernier leur retrait de l’organisation sous-régionale.
« 🇬🇳 Le Général Mamadi Doumbouya président de la république de Guinée : “[…] Mon pays réaffirme son attachement à la Cedeao et ne sortira pas dans l’union […] La Guinée prône l’union entre les africains et non la division. A qui profite en réalité cette division ? Une union est une œuvre humaine. Elle s’améliore toujours et toujours parce que les générations évoluent […] Je ne serai pas à la base de la division ni de la Cedeao, ni de l’Afrique ….” »
Cette déclaration attribuée au tombeur de l’ex-chef de l’État Alpha Condé a été publiée par le compte X dénommé « Abidjan Post », suivi par plus de 4.000 abonnés. Avant de la retirer le lundi 15 juillet dans l’après-midi, date à laquelle nous en avons fait une capture d’écran.
En lisant le texte, plusieurs éléments ont attiré notre attention et permettent de douter de son authenticité. On peut y noter quelques coquilles comme le vocable « république » écrit avec un « r » (minuscule) au lieu d’un « R » (majuscule), « ne sortira pas dans l’union » (lire plutôt ne sortira pas de…), ou encore le nom commun « les africains » dont la première lettre (la voyelle a) s’écrit toujours en majuscule (les Africains), différent de son adjectif commençant par petit a et s’accordant en genre et en nombre.
On remarque également que le contexte dans lequel il aurait fait cette déclaration n’est pas précisé, encore moins la date ou le canal utilisé pour ce faire.
Ainsi, pour vérifier son authenticité, nous avons consulté rapidement les plateformes digitales de la présidence guinéenne (X, Facebook et site internet) sans trouver la moindre trace. Après cela, nous avons effectué des recherches par mots-clés via Google et X. “Mon pays réaffirme son attachement à la Cedeao et ne sortira pas dans l’union” : avec cette phrase utilisée comme citation dans la barre de recherche de Google, avec les guillemets anglais (griffes), nous avons retrouvé plusieurs publications reprenant le même texte, mais visiblement peu fiables (voir captures d’écran ci-dessous).
Une réaction de l’activiste autoproclamée panafricaine, Nathalie Yamb
Outre le moteur de recherche de Google et les plateformes digitales de la présidence guinéenne, nous avons continué avec le même procédé dans la barre de recherche du réseau social racheté par le milliardaire américain Elon Musk, où nous avons utilisé la même phrase susmentionnée entre griffes et trouvé dans les résultats des publications de nombreux comptes assez suivis (1,2, 3, 4, 5, 6, 7,…).
Ces posts X ont recueilli des milliers d’engagements et suscité maintes réactions. « Tonton Général, personne ne t’a demandé de quitter la Cédéao. Et surtout, continue bien tes business avec (Alassane) Ouattara, le capo. Toi-même tu sais, dans les affaires-là, on entre vite, mais on sort rarement debout. Demande à Hambak… », a réagi l’activiste autoproclamée panafricaine, Nathalie Yamb, suivie par plus de 439.500 abonnés sur l’ex-Twitter. « Hambak » est le surnom du défunt Premier ministre ivoirien Hamed Bakayogo. Il est décédé le 10 mars 2021, étant à la tête de la Primature. Son décès est survenu moins d’un an après celui de son prédécesseur Amadou Gon Coulibaly le 8 juillet 2020, ayant lui aussi tiré sa révérence étant chef du gouvernement du président Alassane Ouattara et tous les deux des suites de maladie.
« Y’a des buzz qui se passent entre les trolls de l’AES et ceux de la Cédéao sur la Guinée, même les Guinéens ne sont pas au courant de ces infos.😄 », a ironisé sous la même publication de « FirstNiger » ce compte identifié « Lanciné Bir KourOuma » qui est suivi par un peu plus de 3.000 followers et localisé en Guinée, se décrivant comme étant « passionné par la politique et la philosophie » mais aussi « intéressé par la poésie et l’art ».
Démenti formel de la présidence guinéenne et rappel des faits
Le lundi 15 juillet, l’équipe de Vérificateurs de Tama Média a contacté le directeur général de la direction de l’information et de la communication de la présidence guinéenne, Moussa Condé. Nous lui avons partagé via WhatsApp une capture d’écran du post supprimé du compte X « Abidjan Post » et son lien, en lui demandant si la déclaration était authentique. Dans sa réaction, il apporte un démenti formel à cette déclaration attribuée au général Mamadi Doumbouya, ce qui confirme les résultats de nos recherches faites en ligne. « Elle (la déclaration) est fausse ! Le président ne s’est jamais prononcé sur ça », a-t-il confirmé.
Cette vague de publications est intervenue après la tenue à Niamey (Niger) du premier sommet de l’Alliance des États du Sahel (AES) le samedi 6 juillet 2024, ainsi que celle de la soixante-cinquième (65e) session ordinaire de la Conférence des chefs d’État et de gouvernement de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao), le dimanche 7 juillet, à Abuja, au Nigeria.
« En ce qui concerne le processus de transition en Guinée, la Conférence se félicite des progrès relatifs réalisés, parmi lesquels figure la tenue prévue d’un référendum constitutionnelle (sic) en 2024. Elle se félicite des interactions en cours entre la Commission (de la Cédéao, NDLR) et les autorités de transition et félicite les autorités guinéennes pour avoir réaffirmé leur appartenance indéfectible à la Communauté de la Cédéao », lit-on dans le communiqué final de ce sommet d’Abuja. « La Conférence demande à la Commission de dépêcher une mission technique pour approfondir la collaboration avec la Guinée dans le cadre de la transition. Elle exhorte les autorités de transition à accorder la priorité à la facilitation d’un dialogue inter-guinéen inclusif impliquant tous les acteurs politiques afin d’assurer un processus de transition consensuel et pacifique. »
Pour rappel, la Guinée est dirigée par le lieutenant-colonel devenu général Mamadi Doumbouya depuis son coup d’État du 5 septembre 2021 contre l’ancien président Alpha Condé (2010-2021). En début février 2023 (les 8 et 9), les ministres des Affaires étrangères du Mali (Abdoulaye Diop), du Burkina Faso à l’époque (Mme Olivia Ragnaghnewendé Roumba) et de la Guinée (Dr. Morissanda Kouyaté du gouvernement d’alors) étaient réunis dans la capitale burkinabè (Ouagadougou) et ont publié un communiqué conjoint. Dans celui-ci, la concertation tripartite se dit alors être « engagée à répondre aux aspirations des populations des pays respectifs et à faire de l’axe Bamako-Conakry-Ouagadougou, un domaine stratégique et prioritaire ».
Lorsque le coup d’État contre Mohamed Bazoum est survenu le 26 juillet 2023 et que la Cédéao avait menacé la junte du général Abdourahmane Tiani de faire usage de la force en dernier recours pour réhabiliter le président nigérien déchu, Conakry s’est contenté d’attirer la sonnette d’alarme sur les conséquences de cette intervention militaire qui n’est plus à l’ordre du jour et a affirmé n’être « nullement » concerné par les décisions de la Cédéao prises au sommet extraordinaire d’Abuja du 30 juillet 2023.
Alors que le Mali du colonel Assimi Goïta et le Burkina Faso du capitaine Ibrahim Traoré ont affirmé, dans un communiqué conjoint, que « toute intervention militaire contre le Niger s’assimilerait à une déclaration de guerre » à leur encontre. Ces deux pays du Sahel ont mis sur pied avec le Niger du général Abdourahmane Tiani, en septembre 2023, l’Alliance des États du Sahel (AES) et tenu leur premier sommet le 6 juillet 2023, à Niamey. À l’issue duquel ils ont créé la Confédération de l’AES avec une présidence tournante d’un an et comprenant les trois États ayant annoncé en janvier dernier leur retrait de la Cédéao.
Ce qu’il faut retenir
En conclusion, bien que la Guinée n’ait pas annoncé son retrait de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest contrairement aux pays membres de l’AES (Burkina, Mali et Niger), il faut noter que cette déclaration devenue virale, objet de cet article de fact-checking, a été faussement attribuée au général Mamadi Doumbouya. Contacté par Tama Média, le directeur général de la direction de l’information et de la communication de la présidence guinéenne, Moussa Condé, ne reconnaît pas son authenticité.
Toutefois, il s’avère que l’organisation de l’espace communautaire ouest-africain a félicité, sans mentionner des noms, « les autorités guinéennes pour avoir réaffirmé leur appartenance indéfectible à la Communauté de la Cédéao ». Tout en les invitant « à accorder la priorité à la facilitation d’un dialogue inter-guinéen inclusif impliquant tous les acteurs politiques afin d’assurer un processus de transition consensuel et pacifique », selon le document final de la soixante-cinquième session ordinaire de la Conférence des chefs d’État et de gouvernement de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest.
Cet article fait partie d’une série d’articles consacrés à la lutte contre la désinformation en Afrique francophone. La production est réalisée avec le soutien de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) dans le cadre du projet « Jumelage entre initiatives francophones de lutte contre la désinformation ». Tama Média, La Voix de Mopti et Sétanal Média ont formé un consortium pour postuler à cet appel à projets et ont ainsi obtenu le soutien de l’OIF pour la réalisation du projet suivant : « Mali, Sénégal : l’intelligence artificielle et les contenus audiovisuels en langues locales au service de la lutte contre la désinformation auprès des personnes analphabètes et auprès de la diaspora sénégalaise et malienne en Europe ».