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Crise au Niger : Jusqu’où ira le bras de fer entre la Cédéao et les putschistes ?

Par Redaction
04 août 2023
9 min

[Crise au Niger] : Les putschistes qui ont déposé le président Mohamed Bazoum ont jusqu’à dimanche prochain pour le rétablir dans ses fonctions. C’est en tout cas l’ultimatum de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao) qui n’exclut pas le recours à la force. Également dirigés par des juntes, le Mali et le Burkina ont affirmé que « toute intervention militaire contre le Niger s’assimilerait à une déclaration de guerre » à leur encontre tandis que la Guinée a mis en garde contre « un désastre humain dont les conséquences pourraient aller au-delà des frontières du Niger. »

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Par Sagaïdou Bilal et Youga Ciss


Où va le Niger ? Depuis le 26 juillet dernier, le pays est troublé par le coup d’État contre Mohamed Bazoum, démocratiquement élu en 2021. Le président déchu, toujours pas libre de ses mouvements, n’a pas encore démissionné. Mais l’étau s’est resserré autour de lui après que l’état-major des armées a accepté, dans un communiqué, le putsch afin, dit-il, de préserver l’intégrité physique du successeur de Mahamadou Issoufou ainsi que celle de sa famille et « d’éviter une confrontation meurtrière entre les différentes forces ».



Face à cette situation, la conférence des chefs d’État et de gouvernement de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao) a pris une batterie de mesures visant à contraindre les auteurs du coup de force à restaurer l’ordre constitutionnel. Ulcérés par la récurrence des changements antidémocratiques de régime dans la sous-région, les dirigeants ouest-africains, en sommet extraordinaire à Abuja (Nigeria), le dimanche 30 juillet, ont même brandi l’option militaire au Niger si les hommes en treillis, regroupés au sein du Conseil National pour la Sauvegarde de la Patrie (CNSP), ne reviennent pas à de meilleurs sentiments.

En janvier 2017, l’emploi de la force militaire a été nécessaire en Gambie pour rendre effectif le transfert du pouvoir entre l’actuel président Adama Barrow et le dictateur Yaya Jammeh. Le Sénégal, au nom de la Cédéao, avait saisi le Conseil de sécurité des Nations Unies.

La force en attente de la Cédéao prête à intervenir contre les putschistes

Le dimanche 9 juillet dernier en Guinée-Bissau, lors de la 63ᵉ session de la Conférence des chefs d’État et de gouvernement de la Cédéao, Umaro Sissoco Embaló a passé le témoin à son homologue nigérian pour assumer la présidence en exercice de l’organisation. Devant ses pairs, Bola Tinubu a notamment promis de faire de la consolidation de la démocratie une priorité. C’est dans ce sens que s’inscrit l’ultimatum d’une semaine pour le rétablissement de l’ordre constitutionnel au Niger.

« Différents contingents constituent la force de la Cédéao. Mais au-delà du Nigeria, les autres pays contributeurs n’ont pas vraiment les moyens de projeter des forces consistantes au Niger. Il y a des limites logistiques. Il est clair que le Nigeria, frontalier du Niger, a une capacité militaire largement au-dessus de celle des autres États de l’espace communautaire. C’est peut-être un pays ayant aussi intérêt à agir avec un chef politique qui veut imprimer sa marque en début de mandat », analyse Mouhamadou Lamine Bara Lo, spécialiste en défense et sécurité.

Pour autant, « ces capacités à elles seules ne suffisent pas. Il y a un contexte politique et social qu’il faut prendre en compte au Niger. Une intervention militaire dans un pays où l’armée n’est pas divisée et bénéficie d’un soutien populaire peut être très difficile. L’armée nigérienne combat le terrorisme depuis des années. Elle a l’expérience du terrain. Ses capacités ont été renforcées par les partenaires », prévient l’expert sénégalais formé notamment au Prytanée militaire de Kati, la ville garnison du Mali.

La bonne nouvelle pour la Cédéao, si on peut le dire, c’est que le coup d’État contre Bazoum a été vivement condamné par la plupart des membres de la communauté internationale. Ainsi donc, complète-t-il, l’organisation régionale peut compter sur « le soutien des forces françaises et américaines » dans le domaine « du renseignement surtout » car des actions sur le terrain poseraient « un problème politique important à évaluer dans les effets différés de cette crise ».

Niger, Burkina et Mali : solidarité de corps

Ces trois pays partagent la zone dite des trois frontières, dans le Liptako-Gourma. Un carrefour où se concentrent de nombreux acteurs des groupes terroristes. « Dans les espaces transfrontaliers, il y a une présence jihadiste qui ne facilitera pas le déploiement des forces de la Cédéao », souligne M. Lo. Critiquant l’approche du président Bazoum dans la guerre contre le terrorisme, le général de brigade Abdourahamane Tchiani, ex-chef de la Garde présidentielle nigérienne, a entre autres mis en avant, dans sa première déclaration en tant que président du CNSP, « l’absence de coordination » avec le Mali et le Burkina dans la gestion de la crise sécuritaire.

Dans une déclaration conjointe, publiée le 31 juillet, les autorités de transition maliennes et burkinabè ont exprimé « leur solidarité fraternelle au peuple frère du Niger qui a décidé en toute responsabilité de prendre son destin en main et d’assumer devant l’histoire la plénitude de sa souveraineté ». En outre, elles ont clamé leur refus d’appliquer les sanctions de la Cédéao jugées « illégales, illégitimes et inhumaines ».

À travers cette solidarité, explique Mouhamadou Lamine Bara Lo, les militaires au pouvoir au Mali et au Burkina « posent des actions pour la préservation de leurs régimes. C’est aussi une forme d’anticipation sur la constitution possible d’un bloc. Prendre ses distances avec la Cédéao, ce n’est pas évident individuellement. Mais le Mali, le Burkina, le Niger, et éventuellement la Guinée, peuvent créer une nouvelle forme de régionalisation ».

Conakry ne se sent « nullement » engagée par les décisions prises par la Cédéao et les menaces proférées lors du Sommet d’Abuja. « Au moment où les jeunes populations de l’espace communautaire vivent un drame humain en Tunisie et dans la Méditerranée, la préoccupation des dirigeants de la sous-région devrait être orientée vers les enjeux stratégiques et socio-économiques pour l’atteinte de leurs aspirations plutôt que de se pencher sur le sort de présidents déchus », a plaidé la junte guinéenne.

Si le pays de Mamadi Doumbouya s’est limité à tirer la sonnette d’alarme sur les éventuelles conséquences d’un usage de la force par la Cédéao, ceux d’Assimi Goïta et d’Ibrahim Traoré vont assimiler toute intervention militaire contre le Niger comme une déclaration de guerre avec au préalable un retrait du Burkina et du Mali de l’organisation ouest-africaine.

Le Mali et le Burkina Faso ont-ils les moyens d’une nouvelle guerre ?

Au Mali, la question de l’initiative de la guerre est prise en charge dans la nouvelle Constitution promulguée le 22 juillet 2023 : « La déclaration de guerre est autorisée par le Parlement réuni spécialement en Congrès à cet effet, à la majorité absolue de ses membres. Le président de la République en informe la Nation par un message », dispose l’Article 117 dudit texte. La charte révisée de la transition est, quant à elle, muette à ce sujet.

Tout comme le Burkina, le Mali est englué dans la guerre internationale contre le jihadisme. Selon les données de la Banque Mondiale, en 2019, les effectifs des deux armées étaient respectivement de 21.000 soldats (0,3 % de la population active) et 11.000 soldats (0,1 % de la population active). En 2021, les dépenses militaires de Bamako représentaient 2,8 % de son Produit Intérieur Brut (PIB). 309 milliards F CFA en valeur absolue. La même année, à Ouagadougou, elles culminaient à 254 milliards F CFA, soit 2,9 % du PIB.

Partant de là, M. Lo ne pense pas que ces deux pays puissent apporter un soutien militaire fort au Niger en cas d’intervention militaire de la Cédéao. « Ils peuvent partager des armes ou collaborer autrement. Cependant, cet appui ne pourrait être vraiment consistant » en raison de contraintes objectives.

Au Sahel, une semaine ne s’écoule sans que la presse ne fasse état d’une attaque jihadiste avec son lot de morts et de déplacés. Pour certains, il est donc inconcevable qu’une nouvelle guerre, évitable du reste, ne déstabilise davantage la zone. « Ce sont des voix qui ne manquent pas de pertinence. Mais il faut ramener les choses à leur juste proportion. Pour le cas des juntes au Mali et au Burkina, il y a une forme de préservation d’intérêts », devine le spécialiste en défense et sécurité.

Quant à la Cédéao, qui joue clairement sa crédibilité dans cette crise politique, Mouhamadou Lamine Bara Lo soutient que « les Nigériens comprendraient difficilement qu’elle soit capable de mobiliser assez de moyens pour déloger les putschistes alors que de tels efforts n’ont pas été fournis pour mettre fin à la menace terroriste. Ce serait incompréhensible pour les populations qui subissent les affres du terrorisme ».