Depuis le Togo où il vit en exil depuis le coup d’État mené par le capitaine Ibrahim Traoré, l’ex-président burkinabè de la transition, le lieutenant-colonel Paul-Henri Sandaogo Damiba, est sorti de son long silence dans un entretien accordé à nos confrères de RFI. Retour sur quelques grands sujets qu’il a abordés dans cette toute première sortie médiatique depuis son éviction du pouvoir.
« Nous sommes allés un peu trop vite dans certaines décisions »
Le lieutenant-colonel Paul-Henri S. Damiba était à la tête du groupe de militaires qui a renversé le régime démocratique du président Rock Marc Christian Kaboré, le 24 janvier 2022. Après ce coup de force militaire réussi par le Mouvement patriotique pour la sauvegarde et la restauration (MPSR), il a prêté serment le 16 février 2022 — devant le Conseil constitutionnel burkinabè — en tant que président de la transition dont la durée était plus tard fixée à 36 mois, soit 3 ans selon la Charte de la transition adoptée le 2 mars 2022. Mais entre le 1er et le 2 octobre 2022, il est poussé à son tour à la démission par un autre groupe de jeunes militaires conduit par le capitaine Ibrahim Traoré, l’actuel président de la transition. Depuis son départ négocié de la capitale burkinabè, Ouagadougou, le 2 octobre 2022, le désormais ex-président de la transition Paul-Henri Sandaogo Damiba vit en exil à Lomé, la capitale togolaise où il se montre depuis discret, loin des médias.
C’est un homme visiblement bien portant, qui réapparaît devant les caméras après plusieurs mois de silence. Dans son entretien accordé récemment à nos confrères de Radio France Internationale [RFI], au micro d’Alain Foka, l’ex-président burkinabè de la transition s’est exprimé sur de nombreux sujets : la genèse de son coup d’État contre le président Kaboré dans lequel il nie toute responsabilité des forces françaises, la coopération de son régime avec ces forces françaises, les résultats de son pouvoir qui n’ont pas été suivis d’une communication publique, son regard sur la difficile situation sécuritaire dans son pays, sont entre autres les grands points sur lesquels nous revenons.
Genèse du coup d’État contre le président Kaboré
Interrogé d’entrée sur les raisons qui les a poussés ( lui et ses hommes) à déposer le président Kaboré du pouvoir, l’officier supérieur de l’armée burkinabè soutient qu’ils se sont sentis obligés à un moment donné « de prendre [leurs] responsabilités [car ils] ne [voyaient] pas d’issue ». Il indique que l’un des facteurs qui les a poussés à agir se situe « au niveau de la nomination de certains responsables qu’on connaissait ». Pourquoi donc ? Il pointe du doigt l’incapacité de ces “responsables” à « donner une certaine dynamique à l’engagement opérationnel des forces [militaires burkinabè] ».
Mais comment ce coup de force a pu avoir lieu sous les yeux des forces militaires françaises — présentes à l’époque au Burkina, qui avaient exfiltré l’ancien président Blaise Compaoré en 2014 vers la Côte d’Ivoire — sans intervenir ? Il explique qu’ils n’ont bénéficié d’aucun soutien en-dehors de celui des différents corps militaires burkinabè.
« Notre action n’avait bénéficié du soutien ou de la contribution d’aucune autre force politique, étrangère, militaire en dehors des structures militaires nationales. », a-t-il répondu à la question du journaliste. Avant de poursuivre après une relance l’invitant à donner des éléments d’explication sur cette non-intervention des forces militaires françaises : « Je ne peux pas expliquer quel était le stade de la coopération entre le président Kaboré et ces forces. Et puis, je ne pense pas que ces forces soient sur notre territoire pour s’immiscer dans des événements pareils parce que nous n’avons eu la bénédiction d’aucune force française pour notre coup d’État. » Le lieutenant-colonel insiste donc à faire savoir que le coup d’État qu’il a dirigé était motivé véritablement par leur « engagement, la détermination et l’envie d’apporter des solutions pour stabiliser [leur] pays », le Burkina Faso.
Coopération avec les forces françaises
Damiba était également invité à s’exprimer sur la coopération de son régime avec les forces françaises — au moment où il était aux commandes du pays. Il relève « une coopération difficile » au début de sa prise du pouvoir. « Mais, ajoute-t-il, à force de discussions, on parvenait à travailler avec ces forces. »
Cette difficulté au début s’explique, selon lui, par la nouveauté de leur pouvoir, qui devait convaincre les partenaires afin de pouvoir les mobiliser à leurs côtés, notamment dans la lutte contre le terrorisme. « Au tout début, il faut convaincre pour que les gens comprennent la dynamique actuelle. Tant qu’on n’a pas convaincu un partenaire particulier, c’est difficile que le partenaire s’engage. Quoi qu’on dise, nous avons bénéficié [de leur appui]. Et c’est en toute honnêteté, ce n’est pas parce que j’aime particulièrement les Français au détriment d’une autre nationalité. », entonne-t-il comme une réplique aux différents mouvements qualifiés d’anti-français, manifestant ces derniers mois contre la présence française dans le pays. Lesquelles manifestations se sont soldées par la dénonciation des accords militaires liant Ouaga à Paris, en janvier dernier.
« Je disais que nous avons eu beaucoup d’incompréhensions au début notamment sur la communication et la coordination de la chaîne opérationnelle, rappelle-t-il. Chaque fois qu’il y a eu des incompréhensions, il y a eu des correspondances que nous leur avons transmises pour leur dire sur tel volet ou tel autre volet, nous ne sommes pas satisfaits. Mais, je pense que l’ensemble des militaires qui ont opéré véritablement dans les contrées de notre pays peuvent attester que nous avons eu des soutiens pour relever nos blessés, pour évacuer nos corps. Nous avons eu certains apports de renseignement, nous avons eu de l’appui feu par moment […] »
Pour rappel, les jours qui ont suivi la chute de Damiba ont été marqués par une vague de manifestations violentes contre la présence militaire française dans le pays et des intérêts français pris pour cible à Ouaga et à Bobo-Dioulasso.
Problème burkinabé « fondamentalement interne »
Invité cette fois-ci à donner son point de vue sur le fait que la crise sécuritaire demeure toujours malgré les efforts de l’armée du Burkina Faso, il soutient que le problème burkinabè est « fondamentalement interne ». Cela, bien qu’il y ait « l’influence des grands réseaux extrémistes », précise-t-il. Partant de son expérience, il estime que les terroristes qui se battent sont en majorité des Burkinabè de sang et résidant ou par moment au Burkina. « Quand une partie d’une population essaie de trouver les voies et moyens pour régler les problèmes, malheureusement, la solution à portée de main, c’est le combat armé », déplore-t-il. « Contrairement à ce qui est raconté, nous avons eu beaucoup de résultats. On n’a pas parlé de nos résultats », se défend-il.
A en croire ses propos, dès le mois de février 2022, l’armée a « commencé à faire des opérations de ciblage ». Mais il estime que celles-ci ne pouvaient pas être portées à la connaissance du public. « Mais il y a des groupes de personnes qui travaillent 24 heures sur 24 heures pour désorganiser les réseaux terroristes. On a comptabilisé pas moins de 170 à 175 sorties d’opérations de ciblage. Chacune de ces opérations a visé et détruit des éléments armés. »
Plus grande réussite : « la dynamique de démobiliser les groupes armés »
Leur ( lui ses hommes) plus grande réussite selon ses propres mots : « c’était la dynamique de démobiliser les groupes armés [terroristes] ». Pour preuve, il révèle que, pendant qu’il était au pouvoir, une centaine de combattants avaient déserté les rangs des groupes terroristes et accepté de déposer les armes. « On n’a pas fini les attaques mais on avait pu désorganiser les groupes [qui] étaient plus dans des logiques d’actions de représailles que d’actions d’attaques contre les forces [burkinabè]. Ils faisaient des sabotages d’infrastructures et ainsi de suite, mais on avait des résultats. », se défend toujours avec insistance l’auteur des Armées ouest-africaines et terrorisme : Réponses incertaines ? (éd. 3 Colonnes (Les), 2021).
Damiba se dit particulièrement convaincu que la solution que lui et ses hommes ont proposée, « ce sont des solutions qui peuvent aider le Burkina Faso ». C’est-à-dire l’approche militaire sans faire trop de dégâts et celle basée sur le dialogue afin de démobiliser les combattants djihadistes qui le souhaitent. Mais, avec le recul, il avoue dans son entretien être « incompris » et notamment du côté de la population et par des hommes politiques dont il s’est réservé de citer nommément. Pour lui, ces derniers « ont d’une manière ou d’une autre contribué » à faire tomber la transition qu’il dirigeait.
Damiba, l’incompris ?
Conscient que la population s’attendait à des résultats rapides en matière de sécurité, l’ancien président de la transition pense que « cette impatience qui s’est exprimée » a aussi précipité la chute de son régime. Derrière tout cela, le lieutenant-colonel note une manipulation de l’opinion publique — comme ce fut le cas au tour de la visite au pays de l’ex-président Compaoré, exilé en Côte d’Ivoire depuis sa chute en 2014. Visite dont Damiba assure ne pas être à l’initiative, néanmoins il affirme n’avoir aucun regret. Incompris ? « Seulement, parce que je pense que nous sommes allés un peu trop vite dans certaines décisions », tranche l’ex-président burkinabè de la transition.